Tunisie : Marzouki, Jebali, Ben Jaafar… trois hommes à l’unisson
Nature de la Constitution tunisienne, agenda électoral, charia, identité, justice, sécurité… Autant de sujets sur lesquels Moncef Marzouki, Hamadi Jebali et Mustapha Ben Jaafar affichent, par-delà leurs différences, une identité de vues. Interviews croisées.
Tunis, fin mars. Ambiance crispée : islamistes ou salafistes défilent dans le centre de la capitale pour réclamer l’application de la charia et condamner la profanation du Coran, à Ben Guerdane, ou de lieux religieux. La dernière manifestation s’est déroulée le 25 mars et a rassemblé près de 8 000 personnes. Quelques jours plus tôt, avenue Habib-Bourguiba, leurs adversaires défilaient à l’occasion du 20 mars, jour de célébration de la fête de l’indépendance, pour défendre un État civil, moderniste et démocratique et s’opposer aux « esprits rétrogrades ». Ils étaient près de 30 000… Ainsi va la Tunisie, en proie au doute et aux divisions. Pourtant, malgré la révolution et le saut dans l’inconnu qu’elle représente, malgré la crise économique et la conjoncture internationale, malgré le flot continu de rumeurs et d’« intox », malgré la communication chaotique des autorités, sous pression permanente, qui peinent à rassurer, malgré les prix qui flambent et la grogne sociale quasi permanente, elle tourne ! Il n’empêche, les Tunisiens ont besoin d’être éclairés sut toute une série de sujets : la teneur de leur Constitution, le temps que prendra sa rédaction, les dates des élections présidentielle et législatives, le positionnement de leurs dirigeants par rapport aux débats en cours sur la charia – malgré l’engagement pris par Ennahdha d’y renoncer -, l’identité nationale, la justice, la sécurité, leur pouvoir d’achat en chute libre… Ils veulent être rassurés et savoir où ils vont. Leur impatience est à la hauteur de leurs exigences. Ils n’ont pas fait tomber un régime réputé indéboulonnable pour échouer. Ils se savent observés, par leurs voisins comme par la communauté internationale, et sont, pour la plupart, conscients de leurs responsabilités. Ils sont les pionniers du Printemps arabe et progressent sur une voie forcément délicate car jusqu’ici inexplorée.
Du palais de Carthage à celui du Bardo en passant par la Kasbah, nous avons posé les mêmes questions aux trois « chefs » du pays, Moncef Marzouki, le président, Mustapha Ben Jaafar, à la tête de la Constituante, et Hamadi Jebali, le Premier ministre. Pour qu’ils répondent, de manière commune mais non concertée, aux multiples interrogations des Tunisiens. Entretiens croisés.
Jeune Afrique : Un peu plus de cinq mois après l’élection de la Constituante, comment se porte la Tunisie ?
Moncef Marzouki : De mieux en mieux. Le système politique fonctionne, la démocratie est installée – les débats sont d’ailleurs houleux au sein de l’Assemblée constituante -, le gouvernement et la présidence travaillent. La machine économique, elle, est en train de reprendre, doucement il est vrai. J’envisage donc l’avenir avec un optimisme raisonné.
Mustapha Ben Jaafar : Mieux qu’avant, c’est indéniable. Elle dispose désormais d’institutions légitimes comme la présidence, le gouvernement ou l’Assemblée. En revanche, nous restons confrontés aux mêmes défis, dont le plus important est la question sociale. Les attentes demeurent légion, mais nous devons expliquer à nos concitoyens que nous ne sommes pas des faiseurs de miracles.
Hamadi Jebali : Cela ne fait que trois mois que nous avons pris nos fonctions et sommes opérationnels, mais nous avons pu mesurer réellement l’ampleur des dégâts provoqués par la dictature. Au-delà de cela, les attentes, essentiellement sociales, sont chaque jour plus impérieuses. Ce qui m’inquiète, c’est la division, idéologique plus que politique, que nous constatons dans notre société, ces extrémismes qui se développent.
Quand s’achèveront les travaux de la Constituante et quand pourrons-nous enfin lire cette future Constitution ?
M.M. : Nous n’en savons rien pour le moment. C’est d’ailleurs un problème. L’indétermination n’est pas bonne pour le moral du pays. C’est pourquoi j’insiste en ce moment même auprès de toute la classe politique pour que nous fixions une date. Nous ne pouvons rester éternellement dans ce flou artistique et devons être clairs avec les Tunisiens.
M.B.J. : La Constitution devrait être bouclée et adoptée avant la fin de 2012.
H.J. : Nous devons fixer une date, même approximative. D’ici à la fin de cette année, je pense.
À quelle date, selon vous, les scrutins présidentiel et législatif pourront-ils se tenir ?
M.M. : L’alternative est simple. Soit nous allons aux élections extrêmement rapidement, dans les trois prochains mois si cela est possible, soit nous prenons le temps, de manière à stabiliser l’action politique, conduire les réformes attendues par les citoyens et qui ne peuvent se faire en un tournemain, surtout si l’on change de gouvernement tous les x mois. J’ajouterais qu’il faut également organiser, en urgence, des élections municipales. Aujourd’hui, le pays est mal gouverné à l’échelon local, car nos municipalités sont illégitimes. L’idéal, selon moi, ce serait d’organiser les municipales très rapidement, le plus vite possible, puis la présidentielle et les législatives d’ici un an et demi. De telle manière que la période intermédiaire n’aura ainsi pas dépassé deux ans.
M.B.J. : Si, comme je le pense, la Constitution est adoptée avant la fin de l’année, il faut compter un minimum de deux à trois mois pour organiser ces scrutins, donc vers la fin du premier trimestre 2013. Pour le symbole, je dirais le 20 mars [fête de l’indépendance, NDLR] ou le 9 avril [commémoration d’une manifestation nationaliste réprimée dans le sang par la France, en 1938].
H.J. : Nous devrions pouvoir les organiser au printemps 2013, en mars peut-être, au plus tard en juin.
L’inscription de la charia ou des valeurs de l’islam comme source du droit dans la Constitution fait débat, notamment au sein de l’Assemblée. Êtes-vous personnellement pour ou contre ?
M.M. : Ce débat est empoisonné et empoisonnant. Une partie des Tunisiens le souhaite, l’autre pas. Faut-il que ces deux camps s’affrontent pour que l’un des deux l’emporte ? L’objectif de cette Constitution est d’être celle de tous les Tunisiens. Nous devons donc chercher un consensus, rassurer ceux qui souhaitent consolider l’identité arabo-musulmane de notre pays mais aussi tous ceux, dont les laïques, qui ont peur que cette référence à la charia soit interprétée dans un sens extrêmement restrictif, aujourd’hui ou demain.
M.B.J. : Depuis le 14 janvier, j’ai toujours lutté contre toute forme de bipolarisation politique. Je constate que, après les élections, les mêmes erreurs sont commises : cette focalisation sur la question identitaire est dangereuse. Et ne correspond en rien aux préoccupations des Tunisiens, qui réclament du travail et un pouvoir d’achat meilleur. Enfin, faut-il le rappeler à certains, la révolution n’a pas été menée pour introduire la charia dans la Constitution, mais pour obtenir la liberté, la dignité et le travail. La charia n’a pas sa place dans notre loi fondamentale, est loin d’être consensuelle et ouvre la porte à différentes interprétations, qui peuvent incarner la bonne direction, celle de l’islam des Lumières, comme la mauvaise, celle du salafisme le plus radical. Nous vivons depuis plus d’un demi-siècle avec une Constitution dont l’article premier a su trouver les équilibres requis. Pourquoi, dès lors, soulever une question qui sera source de divisions et de troubles ?
H.J. : Cela n’a aucun sens. Ce n’est ni un problème ni une priorité, et cela nous détourne de l’essentiel : les réformes économiques et structurelles, l’emploi. L’article 1 de notre Constitution est clair et net, et suffit amplement. Il n’y a donc aucune raison de le modifier.
Depuis le 14 janvier et plus encore depuis les élections du 23 octobre 2011 avec la victoire d’Ennahdha, nous assistons à l’émergence d’un discours de plus en plus religieux, marqué, parfois, par des déclarations extrêmes, y compris au sein de l’Assemblée constituante. Face à cela, une partie des citoyens se sont mobilisés. Ils rejettent tout lien entre islam et politique et défendent l’idée d’un État laïque, sinon séculier. La crispation est évidente. Peut-on concilier ces deux visages de la Tunisie ?
M.M. : C’est mon rôle, celui de président de la République. On peut et on doit le faire. Même si, pour cela, je dois mettre de côté mes convictions personnelles, connues de tous. J’ai toujours défendu les valeurs de la laïcité et les droits de l’homme.
M.B.J. : Oui, bien sûr. Mais pour cela, il nous faut chercher en permanence le consensus, à commencer par le caractère civil de l’État futur qui ne doit nous entraîner ni vers un excès ni vers un autre.
H.J. : Les Tunisiens sont ouverts et attachés au progrès. Notre histoire est marquée par la quête permanente de positions médianes et du rassemblement. Les deux visages que vous évoquez ne sont pas ceux de la Tunisie, mais représentent des extrêmes qui sont exacerbés par les problèmes sociaux que nous traversons. Certains utilisent cette situation comme un cheval de Troie pour développer des messages qui n’ont qu’un objectif : la division. Attachons-nous à régler le fond du problème, la crise économique et sociale, et ces deux camps, ceux qui ont une vision préhistorique et erronée de notre religion comme les ultralaïques, deviendront très minoritaires.
Nous ne sommes pas là pour promettre du vent mais pour dire la vérité, en ne cédant pas à la pression.
Mustapha Ben Jaafar
La question de l’identité nationale cristallise l’attention et suscite des tensions. Selon vous, que signifie être tunisien aujourd’hui ?
M.M. : J’utiliserai une métaphore culinaire : nous avons le lablabi [plat populaire tunisien à base de pois chiches, de pain et d’une soupe parfumée au cumin], que consommaient les soldats d’Hannibal il y a plus de deux mille ans, mais aussi le couscous, qui incarne notre origine amazighe, puis le méchoui, amené par les Arabes, le baklava et le brick par les Turcs, ou les pâtes, dont nous sommes très friands, qui nous viennent d’Italie. C’est ça la Tunisie, ces couches géologiques de l’identité que nous devons assumer et qui façonnent ce que nous sommes aujourd’hui. Nous sommes le produit de cette addition et non pas l’une ou l’autre de ces composantes.
M.B.J. : Cela signifie que nous sommes enracinés dans notre histoire millénaire, de culture arabe, musulmans pour la plupart, ouverts à l’autre, Tunisien ou étranger, adhérant aux valeurs universelles des droits de l’homme. J’ajouterai aussi que nous sommes bons vivants [rires].
H.J. : Notre culture est arabo-musulmane, nous sommes attachés à l’ouverture et au progrès, valeurs prônées par l’islam, et enrichis par notre longue histoire.
Ce débat vous semble-t-il essentiel ? Ne vaudrait-il pas mieux se préoccuper de ce que l’on va devenir plutôt que de ce que l’on est ?
M.M. : Je ne vais effectivement pas passer ma vie à me demander « qui suis-je ? ». Nous sommes dans un monde où règne la compétition, plein de défis, parfois cruel. Nous devons d’abord nous battre pour trouver notre place, fournir des emplois, asseoir notre indépendance économique, technologique et culturelle. Pour moi, ce débat ne concerne que ceux qui ont du temps à perdre.
M.B.J. : C’est effectivement comme si nous ne savions pas d’où nous venons ni où nous allons. Cela ressemble à un débat malsain qui, à mon avis, ne vient pas de chez nous. Quand on se lève le matin, on ne commence pas par se demander qui nous sommes ! En outre, d’une époque à l’autre, cette question identitaire évolue : je me sens aussi tunisien que mon grand-père, mais nous ne vivons pas de la même manière.
H.J. : Il n’a aucun intérêt. Encore une fois, les vrais problèmes sont ailleurs.
La sécurité est une préoccupation d’importance pour les Tunisiens. On entend même parfois certains regretter, de ce point de vue-là, l’avant-14 janvier. Comment les rassurer ?
M.M. : Cette perception est totalement fausse. Tous les matins, quand j’arrive à mon bureau, ma première préoccupation est de consulter les rapports de la police et de l’armée. Ce que je constate, c’est que dans 90 % des régions il n’y a rien à signaler. Quatre ou cinq gouvernorats posent effectivement problème, mais cela concerne un faible pourcentage de la population. La Tunisie est un pays sûr, où le niveau d’insécurité n’est pas plus élevé que dans n’importe quel autre État démocratique. La fameuse sécurité du temps de Ben Ali était un leurre. Les crimes et les délits n’étaient même pas consignés pour ne pas alourdir les statistiques. Comparez à ce qui se passe ailleurs, surtout chez ceux qui ont aussi connu une révolution…
M.B.J. : Toute révolution a un prix. Et, objectivement, celui payé par la Tunisie reste modeste. La sécurité est rétablie dans une très large mesure. Maintenant, certains comportements demeurent, comme les blocages constatés au sein d’entreprises tunisiennes, par exemple, que nous ne pourrons plus tolérer, même si nous pouvons les expliquer. Les pouvoirs publics doivent désormais émettre des signaux de fermeté et faire respecter la loi.
H.J. : Le niveau d’insécurité n’a rien d’alarmant, compte tenu d’où nous venons et du fait que nous vivons désormais dans une société démocratique. La Tunisie est un État de droit, la police n’est plus autorisée à faire ce que bon lui semble sans aucune limite et doit respecter la loi. Faire évoluer les mentalités nécessite du temps et des moyens. Les manifestations et les sit-in sont autorisés, à condition bien sûr qu’ils respectent eux aussi la loi. Quant aux délits ou aux violences, les statistiques démontrent qu’ils sont en diminution.
Sur le plan économique, le projet de loi de finance complémentaire table sur un taux de croissance de 3,5 % en 2012. Pour l’instant, on en est loin. La relance patine dans un contexte international difficile, la confiance est absente, les investisseurs demeurent frileux, les touristes peu présents. Pensez-vous sincèrement pouvoir remplir cet objectif ?
M.M. : Ce qui m’intéresse, ce sont moins les chiffres actuels que les tendances lourdes, même si je sais que la situation n’est guère florissante. La population est prête à travailler, notre niveau de sécurité est tout à fait acceptable, nous disposons de la matière grise, nos partenaires sont conscients du fait que nous devons absolument réussir et sont à nos côtés. Nous avons d’excellentes cartes en main, mais nous avons besoin de temps. Nous travaillons actuellement sur les ruines d’un système qui a détruit le pays pendant deux décennies, ne l’oubliez pas. Le vrai bilan de la révolution sera à faire au bout de cinq ans. Personne n’est capable d’accomplir des miracles en quelques mois. Ceux qui exigent des résultats aussi vite, comme si l’on réglait les problèmes de cinquante ans en trois mois, sont de mauvaise foi.
M.B.J. : La confiance revient petit à petit, nos entrepreneurs se mobilisent, nous disposons d’un capital sympathie certain auprès de nos partenaires. Il n’y a donc aucune raison de ne pas atteindre ces objectifs, que j’estime raisonnables. Il suffit d’une bonne récolte et d’une reprise du tourisme pour que notre situation s’améliore considérablement.
H.J. : Après une année 2011 négative, l’ensemble des taux de croissance, secteur par secteur, sont passés au vert, dans le textile, l’agriculture, l’industrie, la chimie… Il n’y a aucune raison, en dehors d’aléas extérieurs imprévisibles, de ne pas remplir cet objectif. Même avec un baril au-dessus de 100 dollars, comme c’est actuellement le cas.
Les habitants du centre de la Tunisie, à Gafsa, Sidi Bouzid ou Kasserine, ont l’impression d’être les grands oubliés de la révolution. Les comprenez-vous ?
M.M. : Bien sûr, mais c’est totalement faux. Nous avons du mal à leur dire « soyez patients », puisqu’ils attendent depuis des lustres. Mais nous n’avons pas d’autre solution. Entre le moment où nous identifions un projet, celui où nous réunissons les fonds, lançons l’appel d’offres, puis celui où arrivent les pelleteuses, il faut parfois plus d’un an et demi ! Les gens imaginent que, puisqu’il y a eu une révolution, hop ! on construit une usine tout de suite… Ma frustration est quotidienne. L’argent et les ressources humaines sont là, mais pour les transformer en concret, il faut passer par ce maudit pipeline de procédures complexes. La Tunisie est maintenant un État de droit, il faut évidemment les respecter.
M.B.J. : Ils sont surtout les oubliés de la période que l’on qualifiait de « miracle économique »… Une démocratie prospère ne se construit pas en un jour. Nous avons mis fin à une dictature, mais il reste tant à faire pour mettre fin aux disparités qui se sont accumulées en vingt ans ! Nous ne sommes pas là pour promettre du vent mais pour tenir un langage de vérité en ne cédant pas à la pression, aussi forte soit-elle, tout en préparant l’avenir.
H.J. : Les chiffres le démontrent, pour ce qui est du passé. Nous mettons tout en oeuvre, notamment en termes de budget de développement, pour combler ce fossé. Avant, 80 % de ce budget était consacré à la bande côtière. Désormais, nous avons inversé les proportions et concentrerons la majeure partie de nos efforts sur l’intérieur du pays.
Lorsque vous êtes sur une barque qui prend l’eau, vous écopez ensemble, sinon vous coulez ensemble.
Moncef Marzouki
Autre chantier, celui de la justice : 430 hommes d’affaires sont toujours interdits de sortie du territoire, de hauts responsables de l’ancien régime sont incarcérés mais pas encore jugés. Pourquoi cette lenteur ?
M.M. : Je suis le premier à trouver que cela ne va pas assez vite, à le dire et à me battre. Mais vous n’imaginez pas l’état de délabrement colossal de l’ensemble des sous-systèmes de ce pays, dont celui de la justice. La dictature s’est évertuée à masquer la réalité. Or il s’avère que nombre de juges n’ont pas de bureaux, qu’ils doivent travailler chez eux, que les tribunaux sont dans un état pitoyable, que des prisons ont été brûlées et qu’il faut un temps fou pour les reconstruire, que la plupart des magistrats ont été démoralisés, qu’ils manquent de moyens ou peinent à se défaire des anciennes habitudes. Donnez-nous du temps, je le répète, et vous verrez que ce pays sera remis sur les rails. En attendant, nous n’avons pas de baguette magique…
M.B.J. : Cette lenteur est problématique à plus d’un titre. D’abord, parce que l’opinion publique ne comprend pas pourquoi des responsables notoires sont encore en situation de stand-by. Ensuite, parce que cette phase de « ni guerre ni paix » vis-à-vis des hommes d’affaires a des répercussions négatives sur le climat des affaires et paralyse l’investissement. Nous devons faire preuve de plus de célérité, en condamnant les auteurs avérés de crimes et délits et en libérant ceux qui n’ont rien à se reprocher.
H.J. : Je comprends l’impatience des Tunisiens. Jusqu’à présent, l’édifice juridique était un véritable labyrinthe entre les magistrats, les commissions ad hoc, le ministère de tutelle, la banque centrale pour tout ce qui concernait les biens à l’extérieur… Maintenant, tout est rassemblé au niveau du premier ministère. Par ailleurs, compte tenu de l’ampleur des cas à traiter, nous avons alloué des moyens pour accélérer le processus global. L’ensemble de ces dossiers sera réglé avant la fin de notre mandat.
Depuis que ce que l’on appelle désormais la troïka est aux affaires, quels sont votre principal motif de satisfaction et votre principal regret ?
M.M. : Nous ne travaillons que depuis cent jours… La satisfaction, puisqu’il faut répondre, c’est que des personnes d’obédiences très diverses parviennent à travailler ensemble pour le bien du pays. Et cela fonctionne. Le regret, nous en avons déjà parlé, c’est que j’aimerais moi aussi que les choses aillent plus vite.
M.B.J. : Chaque fois ou presque, jusqu’à présent, nous avons su trouver des solutions consensuelles aux problèmes qui se posaient. C’est très positif. Quant au regret, je continue à penser que nous aurions dû mettre en place un gouvernement d’union nationale, plus à même de répondre aux défis qui sont les nôtres.
H.J. : Ma principale satisfaction est relative à l’expérience que nous menons, unique dans le monde arabe : des islamistes qui travaillent avec des républicains et un parti de gauche. C’est justement le signe, comme j’ai essayé de vous l’expliquer, que la Tunisie ne souhaite qu’une chose : le consensus pour traiter les enjeux stratégiques qui se présentent à nous. Malgré les déclarations intempestives, les problèmes de communication, les errements liés à notre inexpérience, etc. Des regrets ? Je n’en ai pas. En revanche, des difficultés, oui, nous en rencontrons. À chaque minute, même…
Vous êtes les chefs des trois partis arrivés en tête lors des élections du 23 octobre. Vous nourrissez forcément des ambitions pour les échéances suivantes. N’êtes-vous pas plutôt en compétition ? Travaillez-vous réellement ensemble ?
M.M. : Oui, vraiment. Lorsque vous êtes sur une barque qui tangue et prend l’eau, vous écopez ensemble, sinon vous coulez ensemble. La pression et les défis sont tels que nous nous serrons les coudes. Ce pays ne peut de toute façon être gouverné par Ennahdha seule ou par les laïques seuls. Il faut donc le gouverner au centre et faire en sorte que cette expérience réussisse, puis perdure.
M.B.J. : Globalement, oui, nous y parvenons, même si certains comportements frisent la campagne électorale anticipée ou si nous avons constaté des couacs, d’ailleurs souvent liés à l’inexpérience. Mais l’heure n’est vraiment pas à la compétition. Cela n’aurait aucun sens. Aussi bien pour ceux qui sont au gouvernement que pour ceux qui sont dans l’opposition. Ceux qui lorgnent le pouvoir et misent sur notre échec se trompent lourdement. Si nous échouons, c’est tout le pays qui en pâtira.
H.J. : Notre responsabilité est immense. J’ai personnellement juré sur le Coran de mettre de côté les ambitions de mon parti pour que l’on se consacre à notre tâche actuelle. Je m’y tiens et, pour l’instant, cela fonctionne plutôt bien avec nos partenaires de la coalition.
Comment voyez-vous l’avenir de la Tunisie ?
M.M. : Je suis très optimiste, mais réaliste. Tout est réuni pour qu’il soit serein. Il nous faut juste du temps, que l’on puisse passer ce cap délicat et, dans cinq ans, la Tunisie sera un pays démocratique, prospère, à la pointe sur les plans scientifique ou industriel, par exemple.
M.B.J. : Ce que nous avons réalisé jusque-là est extraordinaire, même si rares sont ceux qui le mesurent réellement. C’est normal, les problèmes sont quotidiens. Nous sommes sur les bons rails : avec de la persévérance, de la patience et de la solidarité, nous nous en sortirons.
H.J. : Avec optimisme. Pour une raison simple : il n’y a aucune autre alternative. Nous devons réussir.
Et le vôtre ?
M.M. : Il sera évidemment lié à celui de mon pays. Si vous voulez savoir si je veux me présenter ou non, pour l’instant, j’ai d’autres chats à fouetter…
M.B.J. : Lorsque la Constitution sera adoptée, nous nous déciderons. La priorité, c’est l’intérêt général. Ce n’est pas maintenant, à mon âge, que je vais m’exciter…
H.J. : J’attends le jour où je pourrai aller me reposer. Le plus tôt possible, croyez-moi [rires].
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