Menacés, violentés, emprisonnés… Le calvaire des homosexuels camerounais

L’opinion publique ne leur est pas favorable, les juges non plus ! Au Cameroun, les gays sont des boucs émissaires que l’on menace, frappe et emprisonne. Sans que personne y trouve à redire.

Au Cameroun, les homosexuels sont obligés de se cacher pour vivre leur sexualité. © AFP

Au Cameroun, les homosexuels sont obligés de se cacher pour vivre leur sexualité. © AFP

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 12 avril 2012 Lecture : 6 minutes.

Yaoundé, au Cameroun, le 19 mars. L’audience a été expédiée en dix minutes chrono et le juge a tranché : la demande de mise en liberté provisoire est rejetée. Condamné en première instance à trois ans d’emprisonnement pour homosexualité, le 28 avril 2011, Jean-Claude Mbédé va devoir retourner à la prison centrale de Kondengui. Le magistrat ne se donne même pas la peine de justifier sa décision. « Affaire suivante ! »

Il va falloir attendre des jours, voire des semaines, avant qu’il ne rédige et motive sa décision, mais la cause est entendue. Cet étudiant en master de sciences humaines à la très cotée université catholique d’Afrique centrale peut faire une croix sur ses études et sur ses projets professionnels. Dans la salle d’audience de la cour d’appel, un léger malaise. Dans ses réquisitions, en effet, le procureur général avait déclaré qu’il ne s’opposait pas à la remise en liberté du prisonnier. Peine perdue. Pour Jean-Claude et les siens, le cauchemar a commencé le 2 mars 2011 par un banal rendez-vous pris par textos avec une connaissance. Il s’y rend en toute confiance. L’« ami » est ponctuel. La police aussi. C’était un piège. Arrêté et placé en garde à vue, il avoue son homosexualité au cours d’un interrogatoire. En plus des SMS, les enquêteurs tiennent l’aveu : la machine judiciaire s’enclenche. L’article 347 bis du code pénal est appliqué sans pitié : « Est puni d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de 20 000 à 200 000 F CFA toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe », dit la loi. Son avocat, Michel Togué, a tenté en vain d’obtenir la liberté provisoire. Même après un an de détention, et comme dans la plupart des cas, les juges n’ont rien voulu entendre.

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La loi, épée de Damoclès

Michel Togué est membre du Réseau des défenseurs des droits humains d’Afrique centrale (Redhac). Trois jours plus tôt, le 16 mars, il a échoué à faire libérer Jonas Singa Kimié et Franky Ndjomé, deux jeunes hommes condamnés le 23 novembre 2011 à cinq ans d’emprisonnement, soit le maximum de la peine encourue. La sévérité des juges serait justifiée par la « gravité des faits » : les deux coiffeurs auraient été surpris en juillet 2011 pendant un rapport sexuel à bord d’un véhicule. Pour les magistrats, il faut faire un exemple.

La loi est telle que n’importe qui peut être accusé sur la base d’une simple dénonciation.

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« La loi est dure, mais c’est la loi », se défend-on au palais de justice, avec le sentiment du devoir accompli. Sauf que les lois camerounaises s’arrêtent aux portes du plus grand pénitencier du pays. Dans l’univers impitoyable de Kondengui, les « délinquants sexuels » rendus célèbres par la médiatisation de leur dossier sont hués, battus et violés en toute impunité par leurs codétenus. Jonas Singa Kimié et Franky Ndjomé n’y ont pas échappé. Parce que leur sécurité était menacée, ils ont été placés, depuis le mois de novembre, à la « case de passage », une cellule destinée à accueillir provisoirement les prisonniers.

« Cet article 347 bis est une épée de Damoclès au-dessus de la tête de chaque citoyen. Tel qu’il est appliqué, n’importe qui peut être accusé sur la base d’une simple dénonciation », proteste Parfait Behen, styliste et président d’Alternatives Cameroun, une association créée en 2006 pour défendre les droits des homosexuels. Depuis qu’il en a pris la présidence, cette icône locale de la mode a réduit sa vie sociale par peur des représailles. « Défenseur des pédés », selon les mots de ses détracteurs, est une activité à hauts risques. Il a même dû recruter des vigiles pour protéger ses ateliers installés à Akwa, un quartier de Douala. « Quand je me suis engagé dans cette association, des parents ont retiré leurs enfants de l’école de haute couture que j’ai créée [l’Académie internationale des arts de la mode, NDLR] », déplore-t-il.

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Si à Yaoundé les homosexuels redoutent la main lourde des tribunaux, ceux de Douala craignent la justice populaire, souvent mortelle. Le 28 janvier 2011, à 2 heures du matin, Serge Tchouani, 35 ans, a cru ouvrir sa porte à un cousin de passage. Mal lui en a pris. Une dizaine d’inconnus font irruption dans son appartement de Bonabéri, une banlieue industrielle, l’insultent, le battent et l’emmènent avec eux. « Ils m’ont dit que si je voulais sauver ma peau, je devais les conduire aux adresses de tous mes amoureux », raconte le jeune homme. L’expédition punitive s’était ainsi donné pour mission de « nettoyer » le quartier, histoire d’en finir avec cette « perversité » que l’État ne parvient pas à stopper. Sauf que, dans le même temps, la bande en profite pour piller l’appartement, emportant sur leurs motos un téléviseur et d’autres effets personnels. Au petit matin, furieuse d’être traînée d’une adresse à l’autre sans parvenir à arrêter d’autres « homos », la horde fait passer le captif pour un cambrioleur et tente de lui infliger le supplice de la roue. Plusieurs pneus sont passés autour de son corps dénudé et l’homme ne doit la vie qu’à un groupe de vigiles de passage. Ses tourments ont duré de 2 heures à 6 heures du matin sans que personne, ni les voisins ni les témoins, ait songé à alerter la police. Au bout de deux mois d’hospitalisation, la victime elle-même n’a pas porté plainte.

Un manque de courage du gouvernement

« C’est un climat d’homophobie généralisée », s’insurge Alice Nkom, avocate de renom qui a fondé en 2003 l’Association pour la défense des droits des homosexuel(le)­s (Adefho). Une aide de 300 000 euros versée par l’Union européenne (UE) lui permet d’assurer une assistance juridique et médicale aux personnes arrêtées et détenues en raison de leur orientation sexuelle, dont certaines sont atteintes du VIH/sida.

Violées pour l’exemple

Dans les townships d’Afrique du Sud, les lesbiennes sont violées pour être « guéries ». Leur nombre est difficile à établir (rares sont les victimes qui portent plainte), mais l’ONG Human Rights Watch a dénoncé, l’année dernière, cette pratique du « viol correctif », qui vient rejoindre la « longue série de crimes sadiques visant les lesbiennes, les homosexuels et les transsexuels en Afrique du Sud ». Pourtant, alors que la majorité des pays africains condamne encore pénalement l’homosexualité, comme c’est le cas au Cameroun, les couples de même sexe peuvent adopter en Afrique du Sud depuis 2002 et se marier depuis 2006. Le texte légalisant le mariage gay avait reçu le soutien actif de l’évêque anglican et Prix Nobel de la paix Desmond Tutu.

Même la très influente Église catholique s’oppose à la reconnaissance des droits des homosexuels.

Mais rien n’est gagné pour autant. Le 13 janvier 2011, Henri Eyebe Ayissi, alors ministre des Relations extérieures, convoque le chef de la délégation de l’UE, Raul Mateus Paula, pour exprimer l’opposition du gouvernement à ce coup de pouce financier au motif que « le peuple camerounais n’est pas prêt, ni disposé, à aller dans le sens du développement de ces pratiques sur son territoire ». Pour Pierre (son nom a été changé), un journaliste « gay », « le gouvernement fait du populisme par manque de courage ».

Mais même la très influente Église catholique s’oppose à la reconnaissance des droits des homosexuels. Dans son homélie du 25 décembre 2005, Victor Tonyé Bakot, archevêque de Yaoundé, n’avait-il pas dénoncé « un complot contre la famille et le mariage » ? « Nous n’acceptons pas [l’homosexualité] chez nous. Ce sont des moeurs contre nature, avait-il poursuivi, proférant des accusations aussi graves qu’infondées. On expose gravement nos jeunes à cette perversion morale à cause du pouvoir de l’argent. Pour un poste de travail, une entrée dans une grande école, on contraint nos jeunes à l’homosexualité, que l’on veut légaliser. »

Alice Nkom ne compte plus les attaques personnelles qui la visent. Une demande de radiation émanant du directeur des droits de l’homme au ministère de la Justice est toujours pendante au conseil de l’ordre. « Certains magistrats me reprochent de faire l’apologie d’une pratique illégale et ne veulent pas m’adresser la parole. » Mais elle refuse d’abandonner. Les homosexuels, conclut-elle, sont les « victimes expiatoires » de la crise morale qui frappe le pays.

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 © Vincent Fournier pour Jeune Afrique

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