Mali : heure par heure, le récit de la fuite d’ATT
Même quand les mutins sont entrés dans le centre de Bamako, le chef d’État malien Amadou Toumani Touré, confiant en sa bonne étoile, n’a pas cru une seconde qu’il pouvait être renversé. Récit exclusif des dernières heures d’un président contraint à une fuite sans gloire.
C’est l’histoire d’un chef d’État qui se croit à l’abri d’un mauvais coup et qui, finalement, s’enfuit de son palais en courant. Jusqu’à 17 h 30, ce 21 mars, le président malien ne pense pas qu’il peut tomber. Depuis son putsch de 1991 contre Moussa Traoré, tout lui sourit. La baraka ? Un vrai talent de médiateur ? Jusqu’à cette fin d’après-midi, Amadou Toumani Touré (ATT) est persuadé qu’il peut retourner les mutins et garder la main. Bien sûr, depuis la manifestation des femmes de soldats, le 2 février, il sait que le camp militaire Soundiata Keïta de Kati (à 15 km de Bamako) est en ébullition. Mais il reste serein. La veille du putsch, il confie à trois délégués de l’Union africaine : « Oui, ça bouge à Kati. Ils se préparent pour une mutinerie et veulent aller en ville, mais bon… » ATT croit toujours en sa bonne étoile. Et pour parer à toute éventualité, il compte sur les parachutistes de sa garde présidentielle (GP), qu’il vient de renforcer d’une cinquantaine de nouvelles recrues. Lui-même ancien béret rouge, il n’imagine pas que des parachutistes puissent le trahir…
Qui soutient les putschistes ?
Chef de file du Mouvement populaire soutenant le coup d’État (MP22), le Dr Oumar Mariko, 53 ans, fondateur du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi, gauche radicale), est la première personnalité malienne à avoir manifesté son appui aux putschistes. Le cinéaste Cheick Oumar Sissoko, par ailleurs président du Sadi et ancien ministre de la Culture d’ATT (2002-2007), a, lui, qualifié leur acte de « courageux sursaut politique ». Le réalisateur de La Genèse (primé au Fespaco 1999) est rejoint par l’altermondialiste Aminata Traoré (elle aussi ex-ministre de la Culture). Tous saluent ce coup d’État contre un régime qui, selon eux, a bradé la souveraineté nationale en autorisant les armées mauritanienne et française à intervenir en territoire malien.
Pour le MP22 (composé notamment du Sadi et d’une cinquantaine d’ONG), le putsch du 21 mars parachève la révolution du 26 mars 1991 et inaugure une « transition démocratique et révolutionnaire ». Rejetant toute ingérence étrangère, ses animateurs ont un point commun : leur soutien au président ivoirien déchu, Laurent Gbagbo.
Première alerte à 12 h 30. En plein Conseil des ministres au palais – nous sommes un mercredi -, le président reçoit un appel urgent du général Sadio Gassama, son ministre de la Défense, qui vient d’être expulsé à coups de pierres du camp militaire de Kati par des centaines de soldats en colère. « Monsieur le président, dit Gassama, les militaires veulent toute la lumière sur Aguelhok [localité du Nord où 70 soldats ont été massacrés par des rebelles touaregs, le 24 janvier, NDLR]. Ils réclament les armements – missiles et hélicoptères de combat – que vous aviez promis, et maintenant ils s’en prennent à vous personnellement. Ils affirment qu’ils ont récupéré sur le terrain un téléphone satellitaire des rebelles dont le dernier numéro appelé était le vôtre… » Quelques minutes plus tard, le ministre de la Défense et le général Gabriel Poudiougou, chef d’état-major général des armées, arrivent au palais. Le président s’enferme avec eux pendant une heure dans son bureau du deuxième étage.
Dans les couloirs, la nouvelle de la mutinerie se répand très vite. L’inquiétude grandit. ATT se veut rassurant et promet de tout arranger, mais, dans le même temps, il autorise le personnel non indispensable de la présidence et du ministère des Affaires étrangères, attenant, à quitter les lieux. Surtout, il charge Boureima Guindo, son aide de camp, de prendre la tête d’un détachement de la GP et de partir sur la route de Kati à la rencontre des mutins pour parlementer avec eux, ou si besoin les arrêter.
Seconde alerte à 16 heures. ATT apprend par son aide de camp que les insurgés n’ont pas voulu négocier et que la GP n’a rien pu faire contre leur puissance de feu. Les mutins ont donc continué leur route vers Bamako avec quatre BRDM (blindés légers) et deux BTR 60 (véhicules de transport de troupes).
L’intérieur du palais présidentiel de Koulouba, à Bamako, le 26 mars, cinq jours après le coup d’État. (© Aliou Sissoko/AP/Sipa)
Dans le même temps, ils font irruption en centre-ville et s’emparent de l’Office de radiodiffusion télévision du Mali (ORTM). On entend les tirs depuis le palais, mais le président reste dans son bureau. Il croit encore qu’il peut échapper au putsch. Plusieurs chefs d’État de la sous-région commencent à s’alarmer. ATT parle au téléphone avec au moins trois d’entre eux : le Burkinabè Blaise Compaoré, le Nigérien Mahamadou Issoufou et le Béninois Boni Yayi. À chacun, il tient des propos rassurants et prétend qu’il mettra fin à ce mouvement d’humeur. À 17 heures, il prend même le temps de recevoir pendant trente minutes le colonel-major Mohamed Ould Meidou, qui rentre du front nord où il a combattu les rebelles touaregs. Ce que le président ne sait pas, c’est que le détachement de la GP qu’il a envoyé sur la route de Kati tarde à revenir au palais pour le protéger. Sous prétexte d’aller mettre leur famille en lieu sûr, des dizaines de parachutistes s’égayent en ville…
À 17 h 30, tout bascule. Cette fois-ci, les mutins sont au pied de la colline de Koulouba et tirent sur le palais à coups de mitrailleuses et de lance-roquettes montés sur BRDM. Témoignage d’un membre de la GP : « Quand on a vu que les assaillants tiraient des roquettes, on s’est dit : c’est fini. Et on a dégagé. » Les mutins visent juste. Ils concentrent le tir sur le deuxième étage de l’aile gauche du bâtiment, là où se trouve… le bureau du président. Panique à l’intérieur. ATT et sa garde rapprochée se replient à toute vitesse vers une annexe, le bâtiment 42, tout près du ministère des Affaires étrangères. Ils croient être à l’abri, mais, au bout de quelques minutes, une pluie de roquettes s’abat sur ce bâtiment ! Comment les artilleurs de Kati arrivent-ils à suivre le président à la trace ? Il n’y a plus de doute. Un certain nombre de bérets rouges ont changé de camp et fournissent aux putschistes des informations précieuses sur les secrets de Koulouba. Trahison de corps ? « Oui, mais il faut dire qu’ATT n’était pas très généreux avec ses hommes », lâche un homme politique malien.
US Connection
Le camp de Djicoroni, où s’est réfugié ATT le 21 mars, est à deux pas et sous la quasi-protection de l’ambassade américaine – laquelle avait, si l’on en croit les télégrammes révélés par WikiLeaks, alerté depuis longtemps Washington sur l’état de déliquescence du haut état-major malien et sur le climat de corruption qui régnait dans l’entourage proche (y compris familial) du président. Les gardes du corps qui ont protégé le chef déchu pendant sa fuite ont été formés par les célèbres Navy Seals de l’US Army. Et le capitaine putschiste Amadou Sanogo fait volontiers étalage de ses stages aux États-Unis : la base aérienne de Lackland (Texas) ; Fort Huachuca (Arizona), spécialisé dans le renseignement ; l’école d’officiers de Fort Benning (Géorgie). Plus un séjour chez les Marines, dont il porte le pin’s sur sa vareuse. Bref, on savait les Américains très implantés et très informés sur le Mali, sans doute mieux que les Français. On en a la confirmation. François Soudan
Comment sortir de cette souricière ? Pas simple. Koulouba est au sommet d’une butte. Il n’y a qu’une seule voie d’accès. Or, les putschistes tiennent cette route. Il ne reste qu’une solution : descendre à pied la colline par-derrière, en direction du quartier de Dar Salam. C’est là qu’un béret rouge entre en scène : le lieutenant-colonel Abidine Guindo (homonyme de Boureima Guindo). Lui n’a pas trahi. Jusqu’en novembre dernier, il était l’aide de camp du président. Aujourd’hui, il commande le 4e régiment de parachutistes basé à Djicoroni, à 6 km de Koulouba. Ce soir-là, il est aux côtés du chef de l’État et prend la direction des opérations. Avec trois autres parachutistes, il aide ATT à franchir la clôture puis à dévaler la pente. Le président a 63 ans. Il souffre d’un genou et a prévu de se faire opérer l’été prochain, après la fin de son mandat. À certains endroits de la descente, ses compagnons doivent le porter. Enfin, le petit groupe atteint la route en contrebas, l’avenue de l’Indépendance.
Pourtant, à ce moment, le président en fuite n’est pas encore tiré d’affaire. Pour rejoindre le camp de parachutistes de Djicoroni, il faut un véhicule. Mais pas un 4×4, qui pourrait attirer l’attention des putschistes. Une Mercedes 190 de couleur blanche passe sur la route. Abidine Guindo et ses hommes braquent le chauffeur, qui s’enfuit sans demander son reste. ATT et ses compagnons montent dans le véhicule et réussissent à gagner Djicoroni sans encombre. Un choix judicieux. Les hommes d’Abidine Guindo sont plus fidèles que ceux de la garde présidentielle. Et l’ambassade des États-Unis est voisine du camp. ATT est donc doublement protégé. Il peut souffler. Mais il a eu chaud. À force de croire en sa bonne étoile, il a failli se faire tuer. Commentaire d’un responsable politique : « C’est malheureusement par le flanc d’une colline que notre président est parti. »
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Malika Groga-Bada, envoyée spéciale, et Christophe Boisbouvier
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