Face aux juntes en Afrique de l’Ouest, les miniers sur la défensive

En Guinée, au Burkina Faso et au Mali, les fortunes sont diverses pour les miniers à la suite des coups d’État qui se sont succédé dans la région. Et c’est plutôt l’inquiétude qui prédomine face aux décisions des pouvoirs en place. 

La junte du capitaine Ibrahim Traoré, au pouvoir à Ouagadougou, s’est livrée à deux réquisitions d’or surprises. © Montage JA ; REUTERS/Vincent Bado

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Publié le 15 mars 2023 Lecture : 6 minutes.

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500 CHAMPIONS AFRICAINS – « La grosse question, c’est bien sûr le Burkina Faso. » Quand on interroge les compagnies minières actives en Afrique de l’Ouest au sujet des conséquences des coups d’État sur l’industrie, les inquiétudes se cristallisent majoritairement sur l’ancienne Haute-Volta. Les deux putschs, encore présents dans tous les esprits, n’ont en rien réglé la forte dégradation du climat sécuritaire ni la perte de contrôle de plus de 40 % du territoire au profit de groupes terroristes armés.

L’injonction de plier bagage faite aux forces françaises, en début d’année, n’a rien fait non plus pour les rassurer. Même si un investisseur minier souhaitant garder l’anonymat tempère : « Le pouvoir en place à Ouagadougou n’est pas idiot. Il a forcément pensé à une solution de rechange ». En sollicitant, comme son voisin malien, le soutien des mercenaires du groupe paramilitaire russe Wagner ?

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25 millions de dollars d’or réquisitionnés

Début février, en visite à Bamako, le ministre russe des affaires étrangères, Sergei Lavrov, a en tout cas assuré que son pays allait « apporter son soutien au Burkina Faso ». Mais, pour l’heure, les attaques contre les forces burkinabè se multiplient – au moins 51 soldats ont été assassinés le 17 février dans le nord du pays – et, faute d’une sécurité suffisante, trois mines d’or sont toujours à l’arrêt : Taparko du russe Nordgold, Youga d’Avesoro Resources, et Karma du local Nere Mining.

Mais un fait nouveau est encore venu détériorer la confiance des industriels : le capitaine Ibrahim Traoré, au pouvoir à Ouagadougou, s’est livré à deux réquisitions d’or surprises, le 15 février, auprès d’Endeavour Mining (mine de Mana) et de Nordgold (mine de Bissa), deux acteurs majeurs dans le pays. La marchandise – des barres de métal jaune qui doivent encore être raffinées à l’étranger – est estimée à près de 25 millions de dollars. À ce stade, la date et la façon dont les deux miniers seront payés ne sont pas connues, mais la manœuvre, brutale, a raidi la relation avec l’industrie.

L’urgence est pourtant bien à la reprise de l’activité. Pour rappel : la production nationale a diminué, passant de 67 tonnes en 2021 à 58 t en 2022. Conscient de la manne que représente le secteur, dominé par l’extraction aurifère, pour l’économie burkinabè (16% du PIB et 30% des recettes fiscales), le gouvernement de transition avait pourtant, ces derniers mois, engagé un dialogue étroit avec les compagnies minières.

Bientôt un nouveau code minier au Burkina

À l’occasion du plus important raout du secteur minier africain, la conférence Mining Indaba, réunie au Cap le 8 février – soit une semaine seulement avant les réquisitions –, la présidente de la Chambre des Mines, Payidwende Priscille Zongo, ainsi que le secrétaire général du ministère des Mines, Jean-Baptiste Kaboré, s’étaient déplacés avec l’intention évidente de rassurer.

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Ils ont insisté sur les dernières propositions d’allégements fiscaux et douaniers censés compenser les surcoûts engendrés par la sécurisation des convois. Et n’ont pas manqué de mettre l’accent sur l’inauguration imminente d’une nouvelle mine d’or à Bomboré (à moins de 100 km à l’est de Ouagadougou) par la compagnie canadienne Orezone, ainsi que l’investissement de 21 millions de dollars réalisé en 2022 – auxquels devraient s’adjoindre 27 millions de dollars supplémentaires cette année – par l’australien West African Resources dans le projet de la mine de Kiaka (à environ deux heures et demie de route au sud Ouagadougou).

Plus inquiétant, en revanche, le représentant du gouvernement a confirmé aux participants qu’un projet de modification du code minier se profilait. Son timing comme son opportunité interrogent les producteurs d’or, eux qui n’aiment rien moins que l’instabilité réglementaire.

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Contrôles fiscaux pour la SMB

En Guinée, les industriels, d’abord rassurés par les déclarations « pro-business » du colonel putschiste Mamadi Doumbouya, arrivé au pouvoir en septembre 2021, avaient, comme si de rien n’était, continué de vaquer à leurs occupations. Mais le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) a par la suite rapidement ciblé la Société minière de Boké (SMB) – détenue conjointement par United Mining Supply du Franco-libanais Fadi Wazni, les Singapouriens de Winning International Group, et les Chinois de China Hongqiao Group. Tout sauf un hasard puisque la SMB est devenue en quelques années le plus important producteur de bauxite du pays, loin devant l’historique Compagnie des bauxites de Guinée (CBG).

La SMB a fait l’objet d’un premier contrôle fiscal pour les années 2015, 2016 et 2017, lequel a débouché sur un accord transactionnel de 70 millions de dollars, puis d’un second, toujours en cours, sur les exercices 2018, 2019 et 2020. À la fin de 2022, le CNRD a également institué pour l’ensemble de la filière un controversé « prix de référence de la bauxite », qui doit entrer en vigueur sous peu.

Tous les producteurs du minerai servant à fabriquer l’aluminium sont concernés : Guinea Alumina Corporation, la Compagnie de développement des mines internationales Henan – Chine, la Compagnie de Bauxite de Dian-Dian (filiale de Rusal), les mines de Boffa (Chinalco), de Bel Air (Alufer Mining), Bauxite Kimbo, et, bien sûr, la CBG et la SMB. En ce début d’année, le gouvernement de transition a également émis l’idée d’un nouveau règlement obligeant les miniers à rapatrier leurs devises sur des comptes de banques guinéennes.

Le projet Simandou plus vivant que jamais

Sur le front de l’emblématique projet de fer du Simandou, en revanche, estimé à 15 milliards dollars, la démise d’Alpha Condé a marqué une accélération sans précédent. Si, le 10 mars 2022, l’État avait suspendu les activités du projet, insatisfait de son état d’avancement, le même mois, il parvenait à réunir toutes les parties prenantes pour signer un accord-cadre. Le trimestre suivant, il franchit une nouvelle étape, inédite, avec la création de la Compagnie du Transguinéen (CTG), société de gestion commune des infrastructures ferroviaire et portuaire dans laquelle il a acquis une participation gracieuse de 15 %. Une première !

Lors du dernier trimestre de 2022, nouvelle avancée avec l’annonce de l’entrée du numéro un mondial de l’acier, Baowu Steel, dans le projet coté Winning Consortium Simandou (WCS, positionné sur les blocs 3 et 4), dans lequel on retrouve les actionnaires de la SMB. Et, en janvier 2023, le CNRD s’envolait pour une visite officielle en Chine afin de sceller le nouveau partenariat avec Baowu Steel, qui reste malgré tout à finaliser.

Comme révélé par Africa Business+ le 1er février, un calendrier de relance très ambitieux s’est dorénavant enclenché. Celui-ci comprend la reprise des travaux début mars, la signature du pacte d’actionnaires de la CGT (effective depuis le 8 mars), la remise à plat des conventions minières de WCS et de Rio Tintoainsi qu’une prise de participation à hauteur de 34 % de Rio Tinto Simfer (blocs 1 & 2) dans les sociétés de rail et de port de WCS. À Conakry, le pouvoir  est désormais arc-bouté sur une entrée en production de la mine à la fin de 2024.

Au demeurant, le secteur minier guinéen continue d’attirer des investisseurs, à l’instar de La Mancha Capital Advisory, le fonds d’investissement du milliardaire égyptien Naguib Sawiris, qui a injecté il y a un an 15 millions de dollars dans le projet de mine de graphite de Lola, actuellement en cours de financement.

Le lithium a la cote au Mali

Au Mali aussi, la scène minière continue d’attirer les investisseurs malgré les tourments politiques. En particulier dans le lithium, où deux projets sont en cours de développement au sud de Bamako : Goulamina, piloté par Leo Lithium, et Bougouni par Kodal Minerals. Le premier bénéficie du soutien financier du chinois Ganfeng Lithium, tandis que le second a récemment décroché une enveloppe de 118 millions de dollars de Hainan Mining (Fosun International).

Pour autant, dès 2021, B2Gold (Canada) a eu maille à partir avec le ministère des Mines concernant le renouvellement et l’obtention de licences clés. Ces titres avaient dans un premier temps été attribués à des sociétés locales sans aucun bilan d’activité minière et réputées proches du titulaire du portefeuille des mines de l’époque.

Ces derniers mois, la confiance du secteur s’est fortement dégradée. Le pouvoir, qui s’appuie sur les forces du groupe Wagner, a pris plusieurs dispositions qui ont ému les industriels. En novembre 2022, il a d’abord lancé un audit de l’ensemble des acteurs de la place dont le but est d’ »optimiser les revenus extractifs ». Ses résultats sont attendus.

À peu près au même moment, il a également annoncé la création de la Société de recherche et d’exploitation des ressources minérales (Sorem SA), positionnant cette nouvelle entité nationale comme explorateur et producteur potentiel de minerai. Or, l’administration dispose d’un accès privilégié aux données géologiques des diverses licences disponibles… De quoi procurer un avantage certain à la Sorem dans l’attribution de titres. Enfin, à la fin de novembre, les autorités ont décidé de suspendre purement et simplement l’attribution des permis. Selon un avocat minier présent à Mining Indaba, désormais, au Mali, « de nombreux voyants sont au rouge ».

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