Les champions africains à l’heure de la « croissance maigre »

Face au renchérissement du coût du crédit, les grands groupes rivalisent d’inventivité dans leur approche du capital.

Les modèles d’endettement des leaders africains se veulent chaque fois plus sélectifs et imaginatifs. © Montage JA ; TGCC

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Publié le 15 mars 2023 Lecture : 5 minutes.

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500 CHAMPIONS AFRICAINS – Mohamed Bouzoubaâ a tranché. Un peu plus d’un an après l’introduction remarquée en Bourse du groupe marocain Travaux généraux de construction de Casablanca (TGCC), son patron a choisi de se tourner à nouveau vers le marché pour financer les besoins immédiats de l’entreprise, plutôt que vers le secteur bancaire.

Accompagnée par Valoris Corporate Finance, Capital Trust Finance et CFG Finance, l’entreprise a lancé fin février l’émission de 500 millions de dirhams (44,5 millions d’euros) de billets de trésorerie. Il s’agit d’optimiser « le coût de financement à court terme » du groupe de BTP « en substituant, de manière partielle, aux concours bancaires existants des billets de trésorerie », indiquent les équipes de TGCC.

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Nul besoin d’être devin pour comprendre le choix de TGCC. Resté stable autour de 1,5 % entre juin 2020 et fin septembre 2022, le taux d’intérêt moyen sur le marché monétaire interbancaire dans le royaume a augmenté de 100 points de base en moins d’un semestre à 2,5 % selon les données de février 2023. C’est leur niveau le plus élevé depuis plus de cinq ans, répercuté sur le coût du crédit bancaire accordé aux entreprises.

Des modèles de financement plus sélectifs et imaginatifs

De Casablanca à Lagos en passant par Abidjan, les grandes entreprises africaines sont contraintes de revoir leurs stratégies de financements face au durcissement des conditions de crédit. Confrontés à la remontée des taux d’intérêts due notamment à l’inflation et à un risque de pénurie de capitaux (effets d’éviction), il a fallu trouver une solution.

Entre politique de dividendes « ajustée », recours au marché boursier et émissions d’obligations de plus longue maturité, les modèles d’endettement des leaders africains se veulent chaque fois plus sélectifs et imaginatifs.

Au Nigeria, le colosse Dangote Cement, sous la houlette de son CEO français Michel Puchercos, débauché de chez LafargeHolcim, a accéléré la restructuration de son endettement. Le navire amiral du groupe du milliardaire Aliko Dangote a ramené la part de la dette de court terme à 55,8 % du total à fin septembre 2022, contre 64,5 % un an plus tôt, selon les calculs de Jeune Afrique.

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« Je remercie la communauté des investisseurs pour la confiance qu’elle accorde à l’entreprise. Notre track-record en matière d’accès au marché des capitaux reste solide », a souligné Michel Puchercos, lors de la présentation des derniers résultats financiers du groupe.

Dangote Cement a en effet réduit considérablement la part des billets de trésorerie et des emprunts bancaires dans son profil de financement, privilégiant la dette obligataire moins chère et plus stable. Cette dernière était en hausse de 78 % sur un an à la fin septembre 2022, contre une progression de seulement 11 % pour les emprunts bancaires.

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Après avoir émis son premier emprunt obligataire de 100 milliards de nairas en avril 2020 (235 millions d’euros à l’époque), pour une maturité de cinq ans, le cimentier a levé 116 milliards de nairas en avril 2022, en trois tranches de cinq, sept et dix ans respectivement.

Facteurs différenciants

Tous les acteurs et les secteurs ne sont certes pas logés à la même enseigne, ni capables de réajuster de la même façon leurs stratégies de financement.

Orange Côte d’Ivoire, par exemple, a choisi d’octroyer l’intégralité de son bénéfice net à ses actionnaires, le complétant même d’une contribution de 2,6 milliards de F CFA prélevée sur sa « réserve libre », pour un total de 126 milliards de F CFA (192 millions d’euros) de dividendes au titre de l’année 2022.

Ce qui semble, à première vue, une preuve d’imperméabilité aux ajustements demandés par les marchés du crédit, ne l’est pas nécessairement. De fait, le montant des découverts bancaires et des emprunts de courts termes d’Orange CI a triplé sur un an à 76 milliards de F CFA à la fin de 2022.

La générosité affichée cette année n’est pas sans lien avec la nécessité de s’attirer les bonnes grâces des petits porteurs de la place d’Abidjan, particulièrement sensibles aux dividendes, comme le prouve l’impopularité du titre Ecobank pendant ses années de régime sec. Pour rappel, quelques semaines à peine après l’entrée en Bourse de la filiale d’Orange en Côte d’Ivoire, le 30 décembre 2022, et à la suite d’un démarrage en fanfare, le cours du titre s’était déjà largement tassé.

Autre facteur différenciant : le poids colossal de sa maison-mère française, gage intrinsèque de la qualité de sa signature et rempart contre un alourdissement excessif du coût du crédit. Pour preuve, le coût du remboursement des emprunts de long terme d’Orange CI a (très) légèrement reculé à 29,5 milliards de F CFA l’an dernier.

Au demeurant, le groupe tire profit de plusieurs années de croissance équilibrée, à défaut d’être maigre. Ainsi, à l’issue de la distribution de dividendes, la « réserve libre » dans laquelle il a puisé présente encore un solde créditeur de 234,6 milliards de F CFA, rappelle le holding rassemblant les activités d’Orange en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et au Liberia.

Nouvelle gouvernance

Toujours à Abidjan, mais à l’extrême opposé du confort d’Orange, on retrouve le leader national du sucre, Sucrivoire, engagé depuis plusieurs années dans un ambitieux et coûteux programme (« Projet 160 000 tonnes »). La filiale de Sifca, premier groupe privé ivoirien, a vu son résultat financier se dégrader d’un tiers au troisième trimestre 2022. L’entreprise agroindustrielle accuse le coup du « niveau élevé des emprunts qui se mettent progressivement en place pour le financement du projet d’augmentation des capacités de production de sucre ».

À défaut de pouvoir réduire son plan d’investissements, qui entre dans un vaste programme d’accroissement de la transformation agricole ardemment souhaité par l’État ivoirien, son deuxième actionnaire, Sucrivoire cherche une autre parade.

En août 2022, le DG, Michel Akpangni, a été poussé vers la sortie, remplacé temporairement par le PCA de Sifca, Alassane Doumbia. Une décision qui n’a pas calmé les investisseurs : le titre a chuté de 1 200 à environ 800 F CFA entre octobre et fin janvier. Début février, l’entreprise a annoncé l’embauche comme DG de Pierluigi Passera, transfuge du négociant Barry Callebaut.

La mission de ce spécialiste du cacao, passé par le Cameroun et la Côte d’Ivoire, consistera notamment à poursuivre « la maîtrise de coûts ». Un premier pas vers une croissance maigre ? Ou une maigre consolation au vu des contraintes financières de l’entreprise ? Difficile d’y répondre pour l’instant.

Fait notable, toutefois, dans l’annonce de sa nomination, Sucrivoire a rappelé que Pierluigi Passera est… diplômé de l’université des sciences bancaires d’Italie.

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