Musique : Kaar Kaas Sonn, un Tchadien amoureux des mots
Installé en France, il se dit le « fils putatif » de Georges Brassens. Ses textes corrosifs accompagnés à la guitare lui valent la reconnaissance des professionnels comme du grand public. Portrait.
Tchad : après la tempête, s’ouvrir au monde
De par son talent et sa taille, Kaar Kaas Sonn est le Tchadien – naturalisé français – le plus connu de la Mayenne, département de l’ouest de la France. Installé à Laval, où il a suivi son épouse française en 2003, l’homme est devenu une figure locale grâce à son 1,96 m et à ses textes accompagnés de sobres accords de guitare. Des chansons souvent corrosives, qui rappellent furieusement Georges Brassens. « Je suis le fils putatif du poète moustachu, aède sétois aujourd’hui disparu », déclame-t-il dans l’un de ses titres, Fils de Brassens.
Les ressemblances sont étonnantes, tant par le ton dépouillé que par le contenu volontiers provocateur des textes. Kaar Kaas Sonn chante l’amour, la nostalgie, les souffrances, mais dit aussi sa révolte face aux injustices (Berceuse pour tyran d’Afrique), la prédation sexuelle (Pédo prêtre) ou le cynisme des puissants (Pétition). « Je suis citoyen irréprochable qui laisse faire en ignorant, parfois même c’est désopilant », chante-t-il avec ironie, confirmant sa filiation avec la grande tradition française des chansonniers. On n’est pas très loin du slam non plus.
Jeu télévisé
Néanmoins, Kaar Kaas Sonn, qui a grandi au Tchad en s’imprégnant des morceaux de Lapiro de Mbanga (Cameroun), de Doro Dimanta (Tchad) et de Tchico Tchicaya (Congo), n’oublie pas la musicalité africaine. Elle cadence ses phrasés, et il y a quelque chose du griot dans la démarche du musicien, qui revendique son souci de chanter le réel, la vie telle qu’elle est, ses bonheurs et ses abîmes. « Pour moi, la musique, c’est aussi faire partager aux autres sa culture, sa différence, les emmener vers des terrains qu’ils ne connaissent pas, les faire voyager… » Et avec lui, le voyage commence dès son nom de scène, Kaar Kaas Sonn… qui n’a absolument rien à voir avec la ville de Carcassonne, dans le sud de la France – ni avec la chanson du même nom de… Brassens ! -, mais signifie « l’enfant qui connaît » en nangjere, sa langue natale.
Pour notre aède venu de N’Djamena, tout commence par un jeu télévisé auquel il participe en 1999. Vivant alors au Tchad, celui qu’on appelle encore Noël Flavien Kobdigué est sélectionné pour représenter son pays à l’émission phare de la télévision publique française : Questions pour un champion. Sur le plateau, il est invité par l’animateur Julien Lepers à interpréter une de ses chansons. Sa voix généreuse et mélancolique fait le reste. « Du jour au lendemain, je suis devenu une vedette de la chanson au Tchad, alors que je ne me destinais pas particulièrement à la musique », se souvient-t-il.
Débuts dans le rap
Né en 1973 à Sahr (sud du Tchad), Noël Flavien Kobdigué a suivi des études de droit et de gestion afin de faire carrière dans la diplomatie. Son intérêt pour l’écriture est né de sa fréquentation assidue des poètes, dès son plus jeune âge. Dans les années 1990, lui-même publie un recueil de poésies et des nouvelles, mais a du mal à les faire partager dans un pays en manque d’infrastructures culturelles de base.
Le rap, qu’il découvre à la même époque en écoutant le Français – d’origine tchadienne – MC Solaar, lui semble être un moyen efficace pour toucher ses contemporains. Il fonde le groupe Tibesti et sort ses premiers albums. Il veut faire un « rap de salon », que tout le monde peut écouter. Un rap proche de la vie des gens, comme en témoigne le titre d’un de ses albums sortis au Tchad : Chic choc chèque. Une formule qui renvoie aux trois copains que la rumeur attribue aux jeunes filles émancipées de « N’Djam » : le premier pour se montrer, le second pour le sexe et le troisième pour assurer l’intendance…
Avec son groupe, La bande d’Aozou, il s’apprête à sortir son troisième album
Féru de mots, Kaar Kaas Sonn débarque en Europe au début des années 2000. Il passe deux ans à Genève (Suisse) pour finir un troisième cycle en gestion et économie, avant de s’installer à Laval. C’est son premier album produit en France, Tacatacatacatacata (2006), qui le fait connaître du milieu musical hexagonal. Les portes s’ouvrent, les professionnels de la chanson s’intéressent à lui, il participe à des émissions sur les radios France Inter, France Culture, FIP… La profondeur de ses textes et son français savoureux plaisent. Sa musique, qui vient de loin et résonne de façon si douce, si proche, éveille des résonances dans le coeur de ses auditeurs.
Après Qui endort dîne (2009), l’artiste s’apprête à sortir son troisième opus, en collaboration avec le groupe qu’il a fondé avec des amis musiciens, La Bande d’Aozou – référence à la zone frontalière, longtemps disputée, entre le Tchad et la Libye. L’album s’appellera Crépuscule de l’idéal et sera produit par le chanteur lui-même. En fait, si ses chansons emportent aujourd’hui la conviction des professionnels comme du grand public, Kaar Kaas Sonn n’en a pas fait son gagne-pain. « Je fais de la musique par passion », aime-t-il à dire.
Et aussi des romans
Une passion qui cohabite avec un autre dada, la littérature. Auteur de trois romans, Au Sahel les cochons n’ont pas chaud ! (éd. Kuljaama, 2007, rééd. La Sève, 2010), Avec nos mains de chèvre (éd. La Sève, 2010) et Le Prix des agneaux (éd. Sao, 2011), il a reçu en novembre le prix Nimrod du roman 2011. Des mains de l’écrivain éponyme lui-même qui, avec son homologue Koulsy Lamko, est l’un des modèles de Kaar Kaas Sonn.
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