Flashback en capitale (plus tchad à éditer)
Tombé en décrépitude, Le Normandie a rouvert en décembre. Des grands classiques aux nouveautés. Les N’Daménois redécouvrent le plaisir des salles obscures.
Derrière la belle façade jaune du Normandie, dans le centre de N’Djamena, ils sont nombreux à se presser dans la petite cour ombragée. Et pour cause ! Veer-Zaara, pure saga de Bollywood dont raffolent les Tchadiens, est à l’affiche en cette soirée de Saint-Valentin. « On essaie de programmer le plus possible de films indiens. Nous comptons même leur consacrer un jour spécial, pour fidéliser les jeunes », confie Ache Ahmat Moustapha, épouse de l’administrateur de la salle, le réalisateur Issa Serge Coelo (lire p. 111). Laissant filtrer une lumière éblouissante à l’intérieur de la salle, les portes du cinéma claquent. Les spectateurs de Titanic, programmé juste avant, sortent de la séance visiblement ravis. « Tout passe, la vie continue », glisse l’un d’eux.
Sous la dictature de Hissène Habré (1982-1990), les cinémas de la ville avaient dû fermer, laissant place ici à un commerce, là à un hôtel, à l’instar des salles des autres pays du continent, qui, depuis les années 1980, ont progressivement mis la clé sous la porte, à la fois par manque de budget pour les restaurer et sous la féroce concurrence des vidéoclubs.
ECHAPPATOIRE. Le Normandie, lui, était tombé en décrépitude. Depuis sa réouverture en décembre dernier (après une inauguration officielle en janvier 2011), les N’Djaménois ont redécouvert le plaisir des films sur grand écran et non plus sur leurs téléviseurs, via des DVD piratés. Une véritable échappatoire pour nourrir l’imaginaire, alors que la capitale offre encore trop peu de distractions à ses habitants.
Financé par l’État à hauteur de 1,2 milliard de F CFA (1,8 million d’euros), le nouveau Normandie est ultramoderne, avec ses 470 fauteuils rouges, un écran de 12 m de large et un son dolby stéréo. Il emploie désormais une dizaine de personnes. Pourtant, les débuts ont été difficiles. Les premiers temps, la salle restait désespérément vide lors de certaines des trois séances programmées par jour. Désormais, il n’y en a plus que deux par jour en semaine (du mardi au jeudi), mais trois projections quotidiennes ont été maintenues le week-end.
BOUCHE À OREILLE. Au prix de 1 000 F CFA la place, quatre à cinq films sont à l’affiche chaque mois : l’obligation de se renouveler est grande et les spectateurs sont exigeants. Films pour la jeunesse, d’action, indiens ou africains… Ils sont choisis par Issa Serge Coelo lui-même. « Nous misons tout sur le bouche à oreille, assure son épouse. Chaque semaine, j’envoie des SMS à tout mon répertoire et chacun transfère à ses amis. »
Mais Le Normandie peine encore à atteindre sa vitesse de croisière. D’abord parce que beaucoup de Tchadiens ne savent pas que le cinéma est de nouveau ouvert. Ensuite parce qu’il reste difficile pour certains de réaliser qu’une page s’est tournée. Les nostalgiques de l’ancienne salle sont d’ailleurs nombreux, et les souvenirs de chacun alimentent les conversations à l’entrée. « C’est un gâchis de ne pas remplir une salle de cette qualité, regrette Ache Ahmat Moustapha. Nous devons tout mettre en oeuvre pour la pérenniser. » Elle projette, avec Issa Serge Coelo, d’ouvrir un cinéma dans le sud de N’Djamena, ainsi qu’un autre dans le quartier excentré de l’hôtel Kempinski.
Et, bien sûr, la réouverture d’autres salles mythiques comme le Rio et le Shéhérazade n’est pas exclue. Un rêve partagé par un autre grand réalisateur tchadien, Mahamat-Saleh Haroun, qui n’a jamais cessé d’alerter sur la disparition des salles de cinéma africaines. C’est d’ailleurs sur ce sujet que portait son premier long-métrage, Bye-Bye Africa (1999), qui a sans doute largement contribué à éveiller les consciences.
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