Gilbert Maoundonodji : « L’argent du pétrole est mal réparti » au Tchad
Politologue et juriste, Gilbert Maoundonodji est le fondateur du Groupe de recherches alternatives et de monitoring du projet pétrole Tchad-Cameroun (Gramp-TC). Ce think-tank créé en 2001 travaille sur les impacts environnementaux, sociaux et économiques de l’exploitation pétrolière. Interview.
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Jeune Afrique : À combien estime-t-on les revenus pétroliers du Tchad ?
Gilbert Maoundonodji (en photo ci-dessous) : L’exploitation du projet de Doba a généré près de 4,5 milliards de dollars [3,4 milliards d’euros, NDLR], soit beaucoup plus que les estimations initiales, de 2,5 milliards. En vertu de la loi de gestion des revenus pétroliers, 1 % de ce montant devait être destiné à la région productrice de Doba pour la période 2004-2011.
Y a-t-il eu de véritables retombées pour les populations locales ?padding-left: 20px;" />
La région de Doba reste l’une des plus pauvres du pays. Dans les cantons de Miandoum, Komé et Béro, on ne trouve ni eau potable, ni centre de santé, ni école à cycle complet. Non seulement les revenus du pétrole sont mal répartis, mais en plus les populations locales subissent les impacts négatifs de son exploitation : outre la pollution générée, avec la multiplication des puits et des emprises pétrolières, la pression foncière est telle qu’elles n’ont plus d’espace pour cultiver.
Est-ce ce qui a décidé 25 220 paysans de Doba à porter plainte, en décembre, contre la Banque mondiale, qui avait approuvé ce projet pétrolier ?
Tout à fait. Ils ont saisi le conseiller-médiateur [CAO] de la Banque mondiale, qui a jugé recevables les 115 plaintes individuelles et 25 plaintes communautaires. Du 26 février au 2 mars, une mission du CAO est venue à la rencontre des populations afin d’envisager, avec elles, des solutions à leurs problèmes. Si la plainte aboutit, elle débouchera sur des négociations en vue de réparations ou de compensations suivant un processus d’arbitrage.
Où va selon vous l’argent du pétrole ?
Au moins la moitié a été utilisée à des fins non appropriées. Selon un rapport de l’ONG française CCFD-Terre solidaire rendu public fin janvier, une grande partie des recettes pétrolières a servi à l’achat d’armes durant la période d’instabilité liée aux rébellions à répétition. [Les dépenses militaires du pays sont ainsi passées de 35,3 milliards à 275,7 milliards de F CFA entre 2004 et 2008, et s’élevaient encore à 154,5 milliards de F CFA en 2010.]
La hausse des budgets de l’éducation et de la santé est réelle, mais les experts internationaux estiment que les recettes affectées à ces secteurs auraient dû être plus élevées. De nouvelles infrastructures routières, éducatives, sanitaires et sociales sortent de terre depuis cinq ans, mais certains chantiers impliquent de gros investissements totalement disproportionnés. Si l’on ne bannit pas le processus de passation des marchés publics de gré à gré et sans appel d’offres, on encourage une corruption systémique… Résultat, il y a des éléphants blancs partout à N’Djamena.
Quelles sont les perspectives ?
Il est primordial de lutter contre l’impunité, qui encourage la mauvaise gouvernance. Au niveau du budget, les revenus doivent être répartis équitablement au plan national et ne plus être investis uniquement dans des infrastructures qui ne sont pas durables. L’assainissement des finances publiques passe aussi par le respect des codes des marchés publics. Cela créera un climat favorable pour attirer, enfin, les investissements directs étrangers.
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Propos recueillis par Justine Spiegel
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