Tchad : sursauts de croissance
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Alain Faujas
Alain Faujas est spécialisé en macro-économie.
Publié le 9 avril 2012 Lecture : 3 minutes.
Tchad : après la tempête, s’ouvrir au monde
« L’économie tchadienne est particulièrement cyclique, car elle est très conditionnée par le secteur primaire, c’est-à-dire le pétrole et ses prix, ainsi que l’agriculture et les conditions climatiques », résume Marlène Kanga, directrice des opérations en Afrique centrale à la Banque africaine de développement (BAD). C’est le moins que l’on puisse dire. D’année en année, le taux de croissance est sujet à un mouvement de yoyo impressionnant : – 1,2 % en 2009, 13 % en 2010, 2,5 % en 2011 et 6,9 % prévus en 2012, selon le Fonds monétaire international (FMI).
De fait, tout dépend des prix du pétrole et du coton, de l’abondance des récoltes et de l’état des 20 millions de têtes des troupeaux. Par exemple, l’excellente pluviométrie de l’année 2010 a valu au pays une progression de 51,6 % de sa production agricole vivrière, ce qui est énorme, et la raréfaction des pluies en 2011 une chute de 34 %, ce qui est à peine moins impressionnant.
En l’absence de statistiques très fiables et vu l’opacité de la gouvernance tchadienne, on en est réduit à faire un certain nombre de constats. Le premier est que l’inflation est exceptionnellement modérée : après avoir été de 10,1 % en 2009 et de – 2,1 % en 2010 (record en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale), elle a été de 2 % en 2011, ce qui est excellent pour le pouvoir d’achat de la population mais laisse supposer qu’un certain nombre de produits sont fortement subventionnés.
En cas de rechute des recettes pétrolières – qui représentent 57 % du budget de l’État -, le président Idriss Déby Itno se trouvera devant le dilemme de laisser exploser les déficits ou de susciter la colère populaire. Pour l’instant, pas de souci : le cours du baril de pétrole est promis à une hausse prolongée. Mais l’inquiétude vient de ce que la production du gisement de Doba baisse plus vite que prévu et n’est pas d’une bonne qualité.
Le deuxième constat est que N’Djamena a choisi d’affecter une bonne partie des rentrées pétrolières à une politique de développement accéléré des infrastructures (routes, hôpitaux, écoles, réseaux électriques, etc.) et des industries de transformation locales (cimenterie, raffinerie). Cette priorité a été rendue possible par un climat apaisé qui n’a plus nécessité l’effort d’armement du milieu des années 2000. Cette nouvelle priorité rend le secteur du bâtiment et des travaux publics particulièrement florissant et « amorce un début de diversification de l’économie », se félicite Marlène Kanga.
L’inconvénient est que ces investissements ne sont pas des plus performants, car ils dépendent du bon plaisir de la présidence, qui arbitre seule entre les intérêts des clans et des lobbies. Comme le remarque ironiquement un observateur, « le gouvernement a un goût assez peu prononcé pour les études » préliminaires et, « ici, la panacée, c’est le béton ».
Pourquoi en serait-il autrement, puisque le Tchad n’a pas besoin de justifier ses choix auprès des bailleurs de fonds, FMI ou Banque mondiale, avec lesquels il n’a aucun programme depuis trois ans ? Entre l’argent du pétrole et les prêts – que l’on suppose low cost – de la Chine, de l’Inde ou du Qatar, il n’a aucun problème de fins de mois.
Sa prodigalité aboutit à quelques couacs. Par exemple, la raffinerie de Djermaya, construite par les Chinois et inaugurée au cours de l’été 2011, a cessé depuis de fonctionner à deux reprises, dont une interruption de quarante jours. En cause : un différend entre le gouvernement et China National Petroleum Corporation, constructeur et exploitant, à propos du prix de vente du gazole destiné au marché domestique. Il semblerait que les débouchés de la production (essence et gazole) et l’équilibre d’exploitation de la raffinerie n’aient pas été étudiés avec soin.
Étrange pays que le Tchad, où les ministres se retrouvent en prison pour des motifs de corruption pas toujours clairs ; ils ne restent pas très longtemps incarcérés et on les retrouve parfois auprès du chef de l’État. Étrange pays, où le service des impôts a constaté que beaucoup de sociétés soumissionnaires à des marchés publics disparaissent une fois le marché exécuté… ou non. Étrange pays enfin, où un appel à la grève des fonctionnaires débouche, en novembre 2011, sur une promesse de doublement de leurs salaires en trois ans et où 27 % des dépenses de l’État n’apparaissent pas dans le budget. Étrange…
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