Simon Panay : « La mine est une prison où les gens sont esclaves d’eux-mêmes »
Pour « Si tu es un homme », le documentariste a suivi, dans la mine de Perkoa, au Burkina Faso, Opio, un jeune garçon dont le salaire consiste en des sacs de pierres qui peuvent (ou pas) contenir de l’or.
À 13 ans, Opio travaille dans la mine d’or de Perkoa, au Burkina Faso. De la surface, il tire sur une corde pour remonter les mineurs descendus dans un trou à 250 mètres sous terre. Pour salaire, il gagne un sac de cailloux, qu’il doit lui-même traiter pour en extraire de l’or. Se tuer à la tâche pour gagner un tas de pierres et un brin d’espoir, c’est ce que montre Si tu es un homme du documentariste français Simon Panay. Les hommes dont il est question dans le titre, ce sont ceux qui descendent dans la mine. C’est ce droit qu’Opio réclame avant l’âge à son patron. Son but : récolter les 35 000 francs CFA qui lui permettront de payer les frais de scolarité nécessaires pour étudier. Il gagnera ainsi plus de sacs de pierres et d’espoir…
Simon Panay révèle l’engrenage de la vie des mineurs, prisonniers du mirage de la ruée vers l’or et de la fuite en avant qu’elle induit. Suivant Opio, caméra à l’épaule, le réalisateur de 29 ans nous immerge dans cet univers aux allures carcérales. Les rayons de soleil sont ceux qu’apportent l’amitié et la solidarité entre mineurs, obstrués par des nuages de méfiance vis-à-vis de ceux qui pourraient les voler. Le destin d’Opio Bruno Bado ressemble à celui de Sisyphe, condamné à rouler une pierre jusqu’au sommet d’une montagne, d’où elle retombe invariablement. Si tu es un homme prend aux tripes et, même si son auteur se défend de tout engagement politique, il ouvre les yeux sur une partie obscure de la condition sociale humaine.
Jeune Afrique : Pourquoi avez-vous décidé de réaliser Si tu es un homme ?
Simon Panay : Ça fait dix ans que je fais du documentaire en Afrique de l’Ouest et plus particulièrement au Burkina Faso. J’ai déjà réalisé Ici, personne ne meurt, un court-métrage documentaire dans une mine d’or illégale au Bénin. Le monde de l’orpaillage artisanal a ses codes, ses lois, sa propre mythologie. Ce sont des lieux où le réel et le fantastique se mêlent. Le travail des enfants que j’avais vu à l’époque m’avait profondément marqué et j’avais envie de continuer à travailler sur ce sujet.
Pouvez-vous nous parler du lien entre le Burkina Faso et vous, homme de 29 ans, originaire de Sologny, en Saône-et-Loire, et fils de vignerons en France ?
Je me suis lié d’amitié avec Souleymane Drabo, documentariste burkinabè, qui insistait pour que je vienne réaliser un documentaire au Burkina. Il disait qu’il y avait plein de sujets à traiter. J’avais 18 ans et je ne me destinais ni à faire du documentaire ni à aller en Afrique. Je suis tombé amoureux du documentaire et du Burkina, qui est devenu mon deuxième pays. C’est ma terre de cœur et d’adoption, j’y ai vécu une partie de ma vie d’adulte et je veux continuer à y tourner des films.
Comment avez-vous découvert Opio ?
J’étais engagé dans un projet de collection photos et j’avais visité une trentaine de mines au Burkina Faso. Quand j’ai rencontré Opio, il travaillait dans le site de traitement, là où les gens cassent les cailloux et les passent au tamis pour chercher des pépites d’or. À 13 ans, il était le plus jeune du groupe, les autres avaient 18-20 ans. Je me suis approché du plus âgé pour demander l’autorisation de les prendre en photo car habituellement, au Burkina, c’est l’aîné qui décide pour l’ensemble du groupe. J’ai été surpris que tous les grands se tournent vers Opio pour lui demander son avis. Opio a pris le temps de réfléchir et il m’a dit que c’était d’accord. J’ai trouvé ça atypique. Je cherchais un enfant pour un projet de documentaire, mais je ne savais pas lequel. Je n’avais pas en tête une situation particulière. Je souhaitais juste un personnage avec un caractère fort. Opio dégage une intensité électrique. Il a un charisme que l’on peut tout de suite percevoir.
Comment fait-on oublier la caméra aux personnes filmées ?
Je pense qu’on ne fait jamais totalement oublier la caméra. C’est illusoire de le croire. On peut gagner la confiance des gens que l’on filme, apprendre à se connaître mutuellement. L’aventure humaine derrière le documentaire est primordiale. C’est cette confiance qui va inciter les personnes filmées à vous offrir des cadeaux : ils vous laissent entrer dans leur intimité en sachant que vous n’allez ni les juger ni les trahir.
Comment filme-t-on le quotidien ?
Il faut choisir les instants qu’on va filmer, ce qui demande une disponibilité permanente. On arrive à la mine à 6 heures du matin. On repart à la tombée de la nuit, à 19-20 heures. Il y a énormément de journées où on ne filmait pas la moindre seconde parce qu’il ne se passe souvent rien d’intéressant. Ce qui est compliqué dans un documentaire, c’est que ça demande une attention permanente, d’autant plus quand on ne comprend pas le dialecte. Il faut être attentif au langage corporel, aux intonations. Parfois, on filme des scènes qui paraissent intéressantes et, quand on pose des sous-titres, on se rend compte que non. Et inversement, des scènes qui ne payaient pas de mine se révèlent cruciales pour le film.
Opio tape sur des pierres pour gagner sa vie. Son salaire consiste en un sac de pierres sur lesquelles il devra taper pour éventuellement trouver de l’or. La mine est-elle une prison à ciel ouvert ?
La mine est une prison parce que les gens sont esclaves d’eux-mêmes. Ils viennent en pensant être libres et en réalité ils se trouvent pris dans un engrenage vicieux. Ils espèrent gagner beaucoup d’argent, changer leur quotidien et celui de leur famille. La plupart des orpailleurs restent pendant des années, perdant parfois de la famille et des amis dans des accidents. Mais c’est difficile de partir car on se dit : « Ça fait cinq ans que je travaille dur. Peut-être que la richesse est pour demain ou pour la semaine prochaine et si je pars maintenant, j’ai fait tout ça pour rien. » Cette logique conduit des gens à rester dix ou vingt ans.
C’est une fuite en avant dont profitent les gens à proximité, à travers les commerces qui s’établissent autour de la mine…
Oui, c’est un jeu où ceux qui gagnent de l’argent sont ceux qui ne misent pas. Certains vendent des parfums censés attirer l’or, à 10 000 francs CFA le flacon. Dans la culture gourounsi, de la région de Sanguié, l’or n’est pas un métal, mais un animal qu’il faut traquer, chasser, appâter, apprivoiser. Il y a des choses qui attirent l’or et d’autres qui le font fuir. Par exemple, les femmes sont interdites dans les galeries souterraines parce qu’elles sont censées être un repoussoir. Comme lors de la ruée vers l’or américaine, ceux qui s’enrichissent sont les tenanciers de saloons ou de bordels. Quand un orpailleur gagne de l’argent, il va dépenser l’argent durement acquis en payant des tournées à ses amis. Au Burkina, on dit que l’argent obtenu par l’or est maudit. Même quand les orpailleurs gagnent, ils perdent.
Le père d’Opio lui dit qu’il doit revenir chez lui, de même que sa mère, mais lui ne s’exprime pas quand on l’interpelle à ce sujet. Comment décryptez-vous le rapport d’Opio à sa famille ?
Opio est parti de lui-même à 8 ans, pour devenir autonome financièrement et pour soulager sa famille. Je pense qu’il a dû se forger une espèce de carapace pour se protéger du monde des adultes. Dès qu’il est confronté à une figure d’autorité, il va souvent se murer dans le silence, alors que d’ordinaire, c’est un garçon plein d’entrain. Sa situation familiale est compliquée. Son père vit très mal le fait que l’un de ses fils soit devenu orpailleur. La mine est mal considérée dans les villages alentour parce que les orpailleurs ont la réputation d’être des voyous.
Dans la mine et dans le village, il y a de la camaraderie, des jeux, mais aussi de la méfiance, des accusations, des palabres. L’argent pourrit-il les rapports sociaux ?
La mine est un monde très âpre mais elle ne se résume pas qu’à ça. Il y a aussi de la lumière, de la camaraderie, de l’amitié, de la tendresse. J’étais attaché à montrer toutes les facettes de la mine.
Qui exploite la mine ?
La mine de Perkoa est une mine d’or légale, qui a l’autorisation d’exploitation du ministère. Elle n’appartient pas à une société ou à une personne. Quand un patron veut investir dans l’or, il paie une licence d’exploitation pour acheter une toute petite parcelle. Il y a une centaine de patrons différents, une centaine de trous, dont beaucoup ont été percés et ont été abandonnés parce que le patron n’avait plus d’argent. Le patron embauche son équipe qu’il rémunère en sacs de cailloux en fonction du travail effectué et chacun espère que dans les cailloux, il y aura de l’or.
Le contexte sociopolitique vous paraît-il secondaire par rapport au récit ?
Pour moi, le plus important est l’humain. Je souhaitais ouvrir une fenêtre sur la vie d’Opio. Je voulais raconter avec plus de justesse possible qui il est, ce qu’il fait. Ce n’est pas un documentaire d’investigation. Ce n’est pas une enquête journalistique. Beaucoup d’informations ne sont pas données, mais on peut les deviner entre les lignes.
La fonction du film est-elle de montrer le réel, de l’expliquer ou de le changer ?
Je me vois comme un observateur. Je ne suis pas juge. Je ne suis pas journaliste. Je n’apporte pas une morale. Je voulais donner à mon documentaire une dimension de cinéma. Mais quand on voit ce film, on pense forcément au travail des enfants, et même si ce n’était pas notre objet premier, on s’est par exemple lié avec l’Unicef.
Quelle a été la réaction d’Opio quand il a vu le film ?
Avant de filmer, j’avais promis à Opio et aux orpailleurs qu’ils seraient les premiers à voir le documentaire. On est allés au Burkina et on a projeté le film à la mine. C’était un moment extraordinaire. Je crois que c’est la première fois que j’ai vu Opio véritablement ému. Même si on a partagé sa vie pendant longtemps et qu’on a appris à se connaître, il n’avait jamais jusque-là totalement tombé la carapace derrière laquelle il se protège.
Les frais de scolarité d’Opio s’élèvent à 35 000 francs CFA, soit l’équivalent de 53 euros. Pensez-vous que la vie d’Opio va changer après ce film ?
On l’aide avec nos moyens et, en montrant le film, on s’est rendu compte que des spectateurs venaient nous voir pour nous dire qu’Opio les avait bouleversés et qu’ils voulaient l’aider financièrement. On a donc créé une cagnotte Leetchi. On va réunir cet argent pour l’aider dans son projet professionnel et pour l’accompagner dans la durée.
Si tu es un homme de Simon Panay, film documentaire, sorti en France le 1er mars 2023
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