Algérie : en attendant le vrai jubilé

En Algérie, aucune manifestation officielle n’a marqué le cinquantenaire des accords d’Evian, jugé secondaire par rapport à l’indépendance, qui, elle, sera fêtée en grande pompe à partir du 5 juillet.

La délégation algérienne à l’Hôtel du parc pour signer les accords d’Évian, le 17 mars 1962. © AFP

La délégation algérienne à l’Hôtel du parc pour signer les accords d’Évian, le 17 mars 1962. © AFP

Publié le 4 avril 2012 Lecture : 5 minutes.

l’Algérie a célébré a minima le cinquantenaire de l’entrée en application, le 19 mars 1962, du cessez-le-feu décidé lors de la signature des accords d’Évian, qui avaient mis fin à une longue nuit coloniale (cent trente-deux années de présence française) et à une guerre de libération particulièrement meurtrière. Tant pis pour la centaine de journalistes étrangers venus couvrir le jubilé des Algériens. Quelques manifestations ici et là, des levées de couleurs opérées par des troupes de scouts anémiques dans les villes et villages du pays profond, le tout sur fond d’indifférence populaire.

Source de légitimation du pouvoir dans un climat de méfiance grandissante entre gouvernants et gouvernés, la guerre d’indépendance ne fait manifestement plus recette. Ce n’est pas l’avis de Khalida Toumi, ministre de la Culture, militante féministe et des droits de l’homme. « Bien sûr que les Algériens sont fiers de fêter leur cinquantenaire, sauf que notre jubilé ne commence pas le 19 mars [qui marque plus le cessez-le-feu que l’indépendance, NDLR], mais le 5 juillet, date de l’accession à la souveraineté nationale. Le programme des festivités s’étalera jusqu’au 4 juillet 2013 », indique-t-elle. Le programme en question ? Nul n’en connaît le détail, la ministre s’est bornée à annoncer la production d’une cinquantaine de pièces théâtrales, d’une dizaine de longs-métrages à la gloire de la guerre de libération et l’organisation de quelques colloques réunissant des historiens des deux pays.

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La date d’entrée en vigueur du cessez-le-feu ne rappelle pas que de bons souvenirs.

Mais le peu d’intérêt manifesté par l’opinion pour le cinquantenaire du 19 mars ne tient pas à un déficit de communication sur le programme des commémorations. Retraitée de l’enseignement secondaire, Cherifa, 68 ans, l’explique par les douloureux souvenirs que lui rappelle cette date. « Censée marquer la fin des souffrances de la guerre, l’entrée en vigueur du cessez-le-feu fut, au contraire, le début d’une étape encore plus éprouvante pour la population : les massacres de l’OAS et l’amorce de la guerre fratricide entre combattants algériens pour le contrôle du pouvoir de la future Algérie indépendante. » Djida, étudiante en sociologie, n’était pas encore née, mais elle a sa petite idée sur les raisons de cette tiédeur : « Les milieux populaires utilisent, encore de nos jours, l’expression S’hab 19 mars [« les gens du 19 mars »] pour évoquer les combattants de la vingt-cinquième heure. En effet, de nombreux planqués de la révolution ont rejoint les maquis du FLN [Front de libération nationale] quelques heures avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Aux yeux de l’opinion, ces opportunistes ont profité de privilèges indus et, dans de nombreux cas, accédé à de hautes fonctions. » Autant de raisons qui expliquent que les gouvernements successifs n’ont jamais envisagé de faire du 19 mars un jour férié.

Forte audience pour Arte et France Télévisions

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Cinquantenaire ou pas, les Algérois ont donc vaqué ce jour-là à leurs occupations, et si certains parmi eux ont eu une pensée pour la guerre de libération, ses héros et ses suppliciés, cela est dû aux éditions spéciales que les chaînes de télévision françaises, très regardées en Algérie, ont consacrées à l’événement. Images inédites, témoignages d’acteurs politiques et militaires de l’époque, débats entre historiens… France Télévisions ou Arte ont battu leur record d’audience en Algérie au cours de la semaine qui a précédé le 19 mars avec des émissions et des talk-shows consacrés au cinquantenaire des accords d’Évian. Les parts d’audience arrachées aux chaînes satellitaires du Moyen-Orient, bien plus populaires que leurs concurrentes françaises, témoignent chez les téléspectateurs d’un intérêt jusque-là insoupçonné. Côté algérien, les médias, publics ou privés, ont été plutôt discrets, attendant le dernier moment pour consacrer des dossiers à l’anniversaire. « Il est vrai que les éditeurs de journaux privilégient l’actualité à l’Histoire, analyse Moussa Abdi, député FLN auteur d’un projet de loi visant à criminaliser le colonialisme, projet rejeté par l’Assemblée populaire nationale [APN, chambre basse du Parlement,]. Or l’actualité est largement dominée par les législatives du 10 mai. » Hormis le message traditionnel adressé par le président de la République à l’occasion de la fête de la victoire, aucune activité ni manifestation officielle n’a eu lieu ce jour-là.

Sur les 127 000 anciens moudjahidine recensés, certains n’ont jamais combattu.

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En revanche, l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM, anciens combattants de la guerre de libération) a choisi les 17 et 18 mars pour tenir son congrès. Ces assises, aux allures de regroupement de personnes du troisième âge, ont le mérite de donner deux informations intéressantes. La première concerne le nombre de ses adhérents : 127 000 anciens moudjahidine encore en vie. « Ce n’est pas très crédible, jamais les maquis du FLN et les camps de l’ALN [Armée de libération nationale] en Tunisie et au Maroc n’ont compté autant de combattants, déplore Djida, cela renforce l’idée qu’il y a plus de faux moudjahidine que d’authentiques combattants de la liberté. »

La seconde leçon du congrès de l’ONM confirme la misogynie de la révolution. À l’issue des travaux de ses assises, une nouvelle direction a été élue. Et, sans surprise, aucune femme n’en fait partie. Pourtant, au cours de la guerre de libération, la moudjahida (féminin de moudjahid) était loin d’être confinée aux seuls fourneaux, bien que totalement absente des structures de commandement militaire (le grade le plus élevé auquel eut accès une Algérienne est capitaine de l’ALN, soit officier subalterne) et encore plus de la direction politique. La décision de l’ONM n’a pas manqué de provoquer le courroux des moudjahidate présentes au congrès. L’avocate Meriem Belmihoub-Zerdani, militante de la première heure, a vivement interpellé l’auguste aréopage pour dénoncer le maintien de la marginalisation de la femme. Son coup de gueule a donné du relief à l’insipide congrès et n’est pas resté sans conséquence. L’information, relayée par la presse algérienne, a conduit l’ONM à envisager de faire une place aux femmes au sein de sa direction. Il aura donc fallu attendre un demi-siècle pour que la révolution accorde un quota « raisonnable », selon le communiqué rectificatif de l’ONM, aux moudjahidate. On fête le cinquantenaire comme on peut.

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Chérif Ouazani, envoyé spécial à Alger

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