En Tunisie, des Subsahariens sur leurs gardes et désireux de quitter le pays
En appelant, le 21 février, à des mesures radicales contre les « vagues de migration », Kaïs Saïed a rendu la vie des ressortissants subsahariens en Tunisie très difficile, quel que soit leur statut légal. Témoignages.
Début février, à Sfax, une jeune Ivoirienne a été assassinée par deux Guinéens. Un fait divers dramatique, dont les autorités tunisiennes se sont aussitôt emparées pour dénoncer un « regain de violence » imputable, selon elles, à ces « migrants subsahariens » à l’encontre desquels le président Kaïs Saïed, évoquant une stratégie visant à modifier la composition de la société tunisienne et à africaniser un pays arabe et musulman, a réclamé des mesures répressives le 21 février.
Si les propos sans précédent du président ont suscité tollé et indignation, ils se sont aussi immédiatement accompagnés d’une multiplication de contrôles et d’arrestations de personnes « de couleur ». Un durcissement qui suscite des réactions partagées. « Ils ne font qu’appliquer la loi », justifie Omar, un épicier de Dar Fadhal, à La Soukra, dans les environs de Tunis, où une communauté des migrants irréguliers est installée. S’il défend la position des autorités, le commerçant réalise aussi qu’il va peut-être devoir se passer d’une clientèle acquise et qui payait comptant.
Mais qui sont ces ressortissants subsahariens présents en Tunisie ? De quels pays viennent-ils et combien sont-ils réellement ? Le flux d’arrivées a en fait commencé à s’intensifier à partir de 2011, à la faveur de la chute du régime de Kadhafi en Libye. Un nombre croissant de personnes fuyant leur pays d’origine, mais aussi les camps libyens, ont alors commencé à affluer dans le pays. Auparavant, les Subsahariens que l’on pouvait croiser étaient pour la plupart des diplomates, des fonctionnaires internationaux, des patients venus se faire soigner ou des étudiants, un diplôme tunisien représentant un bon viatique pour retourner au pays ou s’intégrer ailleurs.
Plus gros contingent : les Ivoiriens
Actuellement, le nombre total de ressortissants subsahariens dans le pays est estimé à 60 000, dont 21 000 sont sans papiers. Selon l’Institut national des statistiques (INS), le contingent le plus nombreux est celui des Ivoiriens, qui sont environ 7 000, souvent arrivés par le biais de réseaux de compatriotes opérant comme des organisations mafieuses et s’adonnant à de la traite de personnes, sous couvert de procurer des emplois dignes et rémunérateurs en Tunisie.
Une pratique d’autant plus simple que, depuis plusieurs années, la plupart des ressortissants subsahariens n’ont pas besoin de visa pour entrer en Tunisie. Un passeport et un billet d’avion aller-retour permettent de séjourner trois mois en toute légalité. Passé ce délai, certains se fondent dans la clandestinité, ce qui est relativement facile pour ceux, et ils sont nombreux, qui se sont installés dans les pôles urbains du littoral comme Sfax, Sousse et Tunis, où ils ont souvent eu le temps de trouver un emploi, certes précaire et non déclaré. Parfois avec l’envie, ensuite, de tenter de passer en Italie, car aucun des Subsahariens en situation irrégulière n’a pour projet de s’installer durablement en Tunisie.
En attendant, leur statut d’irréguliers en fait les victimes toutes désignées de toutes formes d’exploitation. Les Ivoiriens l’ont appris à leurs dépens, mais aussi les Camerounais, les Guinéens, les Congolais et les Sénégalais, qui représentent les communautés les plus importantes parmi les candidats à la traversée vers l’Europe.
Pénalités de retard
On croise aussi, mais en nombre bien plus faible, des Malgaches, des Burundais, des Tchadiens, des Maliens et des Togolais, et depuis peu, des Soudanais. Tous tendent à se montrer discrets, font le maximum pour se couler dans la masse et se conformer au mode de vie tunisien, tremblant à l’idée d’être arrêtés et conduits vers le centre de rétention d’El-Ouardia, dans la périphérie de Tunis.
Cet établissement où sont rassemblés les migrants irréguliers en instance d’expulsion reste peu connu dans le pays, même si son existence a été dévoilée dès 2015 par des Syriens fuyant les exactions de l’État islamique (EI), mais qui n’avaient pas obtenu le droit d’asile en Tunisie.
Aujourd’hui pourtant, certains Subsahariens en arrivent à penser que l’expulsion est peut-être un moindre mal. « Je ne pensais pas que les Tunisiens étaient aussi racistes. C’est difficile à vivre au quotidien et encore plus maintenant », témoigne Sidiki, un Guinéen qui travaillait comme mécanicien à Mandiana, dans l’est de son pays, et s’est improvisé maçon, vivant de travaux non déclarés. Il attend que son épouse le rejoigne par voie terrestre, mais elle se heurte aux contrôles rigoureux récemment instaurés dans les zones frontalières sahariennes avec l’Algérie. Lui-même est arrivé en Tunisie par la Libye, où il assure avoir été témoin de véritables atrocités dans les camps de réfugiés du Fezzan.
Sidiki ne s’attendait pas à rencontrer tant de difficultés en Tunisie à cause de la barrière de la langue et de sa couleur de peau. Il avoue se sentir piégé, d’autant que pour quitter la Tunisie, il devra s’acquitter obligatoirement de pénalités de retard – 20 dinars par jour –, qui courent dès que les trois mois de séjour autorisés arrivent à échéance. « Fais le compte, je suis là depuis dix-huit mois. Je n’ai pas cet argent », confie-t-il. Depuis dix jours, il craint pour sa sécurité, mais parvient encore à travailler grâce à un patron conciliant. Depuis cinq jours, toutefois, il n’a plus de lieu fixe où dormir, ayant été mis dehors avec ses colocataires par son logeur. Il est en contact avec diverses associations et espère être rapatrié par l’ambassade de Guinée à Tunis.
Hébergés dans les ambassades
Les ambassades tunisoises de plusieurs pays subsahariens voient d’ailleurs, depuis quelques jours, défiler un flot croissant de personnes souhaitant être rapatriées. Le 28 février, l’AFP a dénombré une cinquantaine d’Ivoiriens campant dans l’herbe devant leur représentation diplomatique. Selon le responsable d’une association locale d’Ivoiriens, 500 d’entre eux se seraient inscrits « pour repartir au pays ». De son côté, l’ambassade du Mali affirme héberger « une trentaine » de ses ressortissants et avoir établi une liste de 200 personnes désirant être rapatriées. Un diplomate malien cité par l’agence de presse faisait état de pourparlers entre Bamako et Tunis pour que les autorités tunisiennes « annulent les pénalités et permettent à nos compatriotes de rentrer ».
Le même diplomate évoque le cas d’« un étudiant qui a eu le visage tailladé en pleine rue à Bizerte (Nord) et des compatriotes insultés et pris à partie hier dans le quartier aisé de La Marsa ». Quant au Conseil supérieur de la diaspora malienne, il a publié un communiqué condamnant des scènes « inacceptables de violences physiques, d’expulsions ou d’expropriations de biens ». Le communiqué se conclut par ces mots forts : « La Tunisie du président Bourguiba ne mérite pas un président comme Kaïs Saïed. »
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