Affaire Amina Filali : comment modifier la législation marocaine ?

Depuis qu’Amina Filali, mariée de force à son violeur, s’est suicidée le 10 mars, son cas n’en finit pas d’alimenter le débat juridique au Maroc.

Les parents d’Amina Filali et sa soeur Hamida lors d’une conférence de presse à Rabat, le 21 mars. © Reuters

Les parents d’Amina Filali et sa soeur Hamida lors d’une conférence de presse à Rabat, le 21 mars. © Reuters

Publié le 29 mars 2012 Lecture : 2 minutes.

Les faits sont déjà tristement célèbres et valent à Larache une renommée dont elle se serait bien passée. Cette ville marocaine du nord du royaume, adossée à l’Atlantique, est le théâtre d’une affaire digne du plus pur roman naturaliste. Il y a d’abord l’époux violeur et violent, 25 ans, niant en bloc la version de tous les autres acteurs. Notamment celle d’Amina F., 16 ans, mariée contre son gré à son tourmenteur, victime de violences conjugales, abandonnée de ses parents, et qui s’est suicidée le 10 mars. Le père et la mère, Thénardier des temps modernes, seulement soucieux de la préservation de l’hymen filial et initiateurs de l’arrangement honteux. Il y a enfin le juge du tribunal de la famille, qui a permis le mariage de la mineure Amina Filali, 15 ans au moment des faits, au nom d’une lecture très peu libérale de l’article 475 du code pénal.

Faut-il s’indigner de la pratique sociale, abroger l’article 475 du code pénal, ou dénoncer les deux?

Ce dernier punit bien le détournement de mineur d’une peine de 1 an à 5 ans de prison et d’une amende de 200 à 500 dirhams (18 à 45 euros). Mais le reste de l’article fait débat : « Lorsqu’une mineure nubile ainsi enlevée ou détournée a épousé son ravisseur, celui-ci ne peut être poursuivi que sur la plainte des personnes ayant qualité pour demander l’annulation du mariage et ne peut être condamné qu’après que cette annulation du mariage a été prononcée ». Cette brèche juridique permettrait donc au violeur d’échapper au châtiment s’il épouse sa victime.

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Pétition

Les choses ne sont pas si simples puisque, si ce texte ambigu semble excuser le détournement de mineur, il ne vise pas explicitement le viol. Or les associations féministes pointent la complicité des juges qui avalisent de nombreux mariages arrangés entre familles de violeurs et de victimes pour couvrir le scandale. Dans le cas d’Amina, mineure, le juge a même autorisé une dérogation à l’âge légal du mariage (18 ans). Même la mère n’exprime pas de remords : « Il a gâché ma fille [par la relation sexuelle, NDLR], le mariage permettait de réparer son honneur. »

Faut-il alors s’indigner de la pratique sociale, abroger la loi indigne, ou dénoncer les deux ? La mobilisation avance sur les deux fronts : la pétition « Avaaz-RIP Amina » a déjà rassemblé plus de 500 000 signatures en faveur de l’abrogation de l’article 475 et, après le flop de celle du 17 mars à Rabat, une nouvelle manifestation est prévue. De son côté, le blogueur marocain Ibn Kafka relève une absurdité juridique supplémentaire : l’article 475 reprend la formulation de l’article 357 du code pénal français de 1810 (rédaction maintenue par l’article 356 du code pénal français, resté en vigueur jusqu’à son abrogation en 1994). Le code pénal marocain de 1962, largement intact, était l’oeuvre de conseillers techniques français mis à la disposition du ministère marocain de la Justice. Question d’Ibn Kafka : « Qu’attendent nos parlementaires et notre gouvernement pour l’abroger ? »

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