Esclavage : les mots pour le dire

En France, un enseignant a été sanctionné pour avoir lu le récit du viol d’une esclave. Une affaire qui révèle la difficulté d’enseigner l’histoire de la traite.

Comment expliquer à des enfants quatre siècles de rapts, de déportation et de servitude ? © Musée Royal de l’Afrique Centrale/TERVUREN

Comment expliquer à des enfants quatre siècles de rapts, de déportation et de servitude ? © Musée Royal de l’Afrique Centrale/TERVUREN

Clarisse

Publié le 28 mars 2012 Lecture : 3 minutes.

La traite négrière et l’esclavage ont été atroces, marqués de bout en bout par la violence et la cruauté. Mais un pays qui a en partie bâti son histoire sur cette tragédie peut-il reculer devant la nécessité de l’expliquer à ses plus jeunes enfants ? Historiens et enseignants sont unanimes : elle doit être enseignée dans le primaire et le secondaire. Sauf que, sous la pression de parents d’élèves, un enseignant de la région parisienne a été sanctionné pour avoir lu à des élèves de CM1-CM2 un livre sur l’esclavage jugé choquant pour des enfants de cet âge. En pleine campagne électorale, le président-candidat Nicolas Sarkozy est monté au créneau, approuvant l’action des parents.

Le livre Betty Coton, paru en 2005 chez Actes Sud Junior, mais réédité dans une version « adoucie » en 2011 aux éditions Belin Jeunesse pour les plus de 13 ans sous le titre Noir Coton, est l’objet du délit. L’ouvrage retrace le parcours d’une petite esclave africaine arrachée à sa terre, déportée en Louisiane et violée par un propriétaire terrien. Tiré de la première version, le passage incriminé décrit assez crûment la scène du viol. Quant à l’auteure, Corinne Albaut, pour qui Noir Coton est avant tout un témoignage utile au devoir de mémoire, elle regrette que l’on se soit attaché à ce passage, faisant l’impasse sur le caractère pédagogique du texte.

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Méthode

Et c’est bien là tout le problème. Comment enseigner à des enfants quatre siècles de rapts, de déportation, de violences et de servitude ? Pour Françoise Vergès, présidente du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, cette polémique prouve qu’en France, où pourtant peu à peu on s’approprie cette Histoire longtemps occultée, on n’a toujours pas trouvé la méthode pédagogique permettant d’aborder le sujet de manière appropriée. Selon un rapport de l’Institut français de l’éducation publié en 2011, alors que, depuis une dizaine d’années, programmes scolaires et littérature pour la jeunesse accordent enfin une plus grande place à l’esclavage, les enseignants, eux, manquent de connaissances suffisantes et de formation pour s’en saisir.

Comptoirs négriers

Ils doivent apprendre à trouver les mots pour expliquer pourquoi seuls les Africains ont été concernés, pourquoi cela a duré aussi longtemps, que l’Europe entière a participé pour des raisons économiques, qu’en dépit de son abolition l’esclavage s’est poursuivi en France longtemps avant les conquêtes coloniales… Selon Françoise Vergès, les enfants sont en mesure de comprendre. Or on a tendance à les surprotéger.

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Ancienne défenseure des enfants en France, Claire Brisset estime que « la vérité que l’on doit aux enfants est comme un médicament qu’il faut doser ». Il faut donc nuancer et adapter le discours en fonction de l’âge, sans pour autant travestir la réalité. Il s’agit de susciter l’indignation sans traumatiser, en rappelant que le phénomène se perpétue aujourd’hui, sous d’autres formes, les enfants étant eux aussi concernés. L’historien Elikia M’Bokolo, lui, alerte sur le risque d’alimenter « les conflits ou la guerre des mémoires », supposés ou réels, où, dans un cas (l’Holocauste), il est autorisé de parler de tout et, dans l’autre, on donne l’impression qu’on ne veut pas que les choses soient dites, comme si certains crimes méritaient plus d’être dénoncés que d’autres.

L’inauguration prévue le 25 mars du Mémorial de l’abolition de l’esclavage à Nantes prouve qu’il n’en est rien. Il a déjà enregistré de nombreuses demandes de visite de la part des établissements scolaires. Ses 2 000 plaques de verre réparties sur 7 000 m2 rappellent les 1 710 expéditions parties de la ville et les 290 comptoirs négriers et autres ports d’escale et de vente. Conçu par l’architecte argentin Julian Bonder et l’artiste américain Krzysztof Wodiczko, c’est aussi un voyage à travers des textes rédigés à la fois par des esclavagistes, des abolitionnistes et des esclaves. Un travail de recherche sur ces écrits, leurs auteurs, leurs origines, la manière dont leurs propos sont formulés… reste encore à faire.

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