Littérature : Gaston-Paul Effa, d’un monde l’autre

Entre autobiographie et fiction, le dernier livre de Gaston-Paul Effa évoque la difficulté de conjuguer tradition et modernité, devoirs claniques et désirs d’indépendance.

« Je la voulais lointaine » est le neuvième roman du Camerounais Gaston-Paul Effa. © Daniel Faulhaber/Editions Actes Sud

« Je la voulais lointaine » est le neuvième roman du Camerounais Gaston-Paul Effa. © Daniel Faulhaber/Editions Actes Sud

Clarisse

Publié le 27 mars 2012 Lecture : 3 minutes.

Le titre du dernier roman de Gaston-Paul Effa pourrait suggérer une banale histoire d’amour. Mais Je la voulais lointaine révèle une autre forme d’attachement, celle, complexe, tourmentée, d’un déraciné envers sa terre natale. Entre autobiographie et fiction, le récit s’ouvre sur l’initiation d’un jeune garçon au nom d’aigle, Obama, « seul oiseau capable de tutoyer le soleil sans se brûler les yeux ». Sentant sa fin proche, son grand-père, féticheur pétri de savoirs mystiques millénaires, lui transmet un sac totémique, protecteur de la tribu. Effrayé par les responsabilités qui lui incombent alors, Obama enterre l’encombrant héritage au pied d’un oranger avant de se sauver au pays de Molière, où il pense trouver le salut.

Ses premières années d’exil sont idylliques. Intégré dans la société française, il y trouve l’amour et du travail. L’Afrique, pesante, il la tient à distance, la veut lointaine. Mais, progressivement, le rêve s’étiole, vire au cauchemar. Accablé par une série de malheurs, il réalise qu’il a « vécu en apparence », culpabilise d’avoir abandonné les siens. Tiré en arrière par le passé, il décide alors de revenir vers eux et de retrouver le sac enterré, symbole de ses origines enfouies. Je la voulais lointaine raconte ces instants précieux pendant lesquels il se ressource. Apaisé, il renoue avec son être. La construction de son moi profond a pris du temps, mais Obama est enfin parvenu à mériter son nom, synonyme de renaissance perpétuelle.

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Ecartèlement

Comme le premier roman de Gaston-Paul Effa, Tout ce bleu, paru en 1996, Je la voulais lointaine est bâti autour des thèmes récurrents de l’enfance, de l’exil et de la mystique de la vie traditionnelle africaine. Un air de déjà lu, notamment dans L’Enfant noir, de Camara Laye, ou dans L’Aventure ambiguë, de Cheikh Hamidou Kane, qui campent l’écartèlement des Africains entre deux mondes. Ils quittent leur continent pour un eldorado, mais restent coincés entre la tradition et une modernité qu’il leur faut conjuguer. Fallait-il revenir sur ces thèmes largement abordés par les premiers romanciers africains postcoloniaux ? Assurément, estime Gaston-Paul Effa, qui a pris le parti de ne fournir aucun repère temporel. « Je voulais en faire un récit à visage humain, qui peut concerner n’importe qui, n’importe où, les Africains d’hier comme ceux de demain, tous embarqués sur le même radeau. » Pour lui, il s’agit tout simplement d’apprendre à être dans son ambivalence ; la rencontre avec son nouvel univers lui ayant appris que le monde de demain est métissé.

Drame antique. Plus prosaïquement, Je la voulais lointaine est aussi l’occasion pour Gaston-Paul Effa de faire le point, de soigner des plaies qu’il portait en lui et qui n’ont plus lieu d’être. « Tout est moi, et j’assume profondément, confie-t-il. On écrit ce qu’on est et qui on naît. » Ainsi, quand on demande à l’auteur-narrateur de s’occuper de littérature francophone au quotidien Le Républicain lorrain, le vit-il d’abord comme un affront, avant de réaliser que l’on peut être d’origine africaine et produire une littérature qui transforme l’humain. Au final, la dernière oeuvre de Gaston-Paul Effa est une manière de voir le monde, de l’habiter et de dialoguer avec. Mais aussi de prendre de la distance avec ce que l’on est pour mieux se retrouver.

Écrit par fragments et structuré comme un drame antique, Je la voulais lointaine restitue des tranches de vie par petites touches, comme si l’auteur ne voulait pas trop en faire. Tout en suggestions et en pureté, son écriture lui permet d’explorer efficacement la symbolique et la poétique de cet écartèlement entre deux mondes. Une double appartenance, donc, et, entre les deux, une faille, un puits d’images et de souvenirs. Riche, chargée comme dans un conte merveilleux, son écriture fait galoper l’imaginaire du lecteur dans un monde peuplé de symboles transformant chaque vie en légende. 

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