Mali : Abdoulaye Konaté, grand couturier
Formé auprès des tisserands maliens puis des surréalistes cubains, le malien Abdoulaye Konaté a fait du tissu son principal matériau de création. Il construit aujourd’hui de véritables sculptures textiles à la fois ancrées dans la tradition et très contemporaines. À découvrir à la Maison Revue noire, à Paris.
Quel est le point commun entre les plasticiens Hassan Musa (Soudan), Abdoulaye Konaté (Mali) et Yinka Shonibare (Nigeria) ? Bien que de manière différente, tous trois utilisent le tissu comme principal matériau de leurs créations. En attendant une grande exposition qui les confronterait, il est d’ores et déjà possible de contempler certaines oeuvres du Malien présentées par la Maison Revue noire, à Paris.
« Je ne veux pas qu’on regarde d’abord le tissu, explique Konaté. Je l’utilise comme une palette, parfois pour traiter de thèmes très violents. Je souhaite qu’on voie d’abord la couleur et le thème. » À 59 ans, Abdoulaye Konaté est directeur général du Conservatoire des arts et métiers multimédia Balla Fasseké Kouyaté, à Bamako. Il a aussi été directeur du Palais de la culture et a assumé la direction de deux éditions de la Biennale africaine de la photographie. Pourtant, il lui est toujours resté un peu de temps – la nuit, le matin très tôt, le week-end – pour se consacrer à la création. Une belle preuve de persévérance quand on sait que sa décision d’embrasser une carrière artistique remonte tout de même aux années 1960.
Très jeune, l’enfant de Diré se rendait régulièrement dans l’atelier de Boubacar Koïta, peintre populaire autodidacte de la ville. « J’aimais beaucoup dessiner, raconte Konaté. Je réalisais des reproductions de livres, d’affiches de cinéma, et je créais de nouveaux motifs pour les tisserands traditionnels. À l’école, j’avais de bonnes notes en dessin et j’ai été encouragé par mes professeurs dans cette voie. » Les parents ne s’opposent pas et, au début des années 1970, le jeune homme rejoint pour quatre ans les Beaux-Arts de Bamako, où il reçoit un enseignement académique.
Ensuite, embauché pendant deux ans pour monter des expositions par le musée de la capitale malienne, il remplit différents dossiers de bourse d’études. Cuba l’accepte, et il s’envole pour La Havane, où il restera sept ans. « Cela a été très difficile, car il y avait un énorme décalage de niveau, se souvient-il. Une année de langue, une année de rattrapage… J’ai calculé le nombre d’heures qu’il fallait que je fasse pour ingurgiter en un an ce que les Cubains avaient fait en trois, et j’ai accéléré chaque jour. »
Admirateur de Rembrandt
Grand admirateur des « techniques de transparence de Rembrandt », Konaté profite d’un enseignement « très solide, très sérieux et très rigoureux », bénéficie d’avantages incomparables – tout le matériel est gratuit – et rencontre de nombreux artistes, dont le peintre proche des surréalistes Wilfredo Lam qui lui apporte une vaste ouverture sur le monde artistique. Malgré l’émulation de sa vie cubaine, son retour définitif au pays n’est pas difficile : « J’ai eu quelques offres, mais non, je n’ai jamais pensé rester. » Marié à une Malienne, Konaté poursuit son travail de peintre tout en menant carrière dans l’administration de la culture.
Au début des années 1990, son oeuvre bifurque, comme s’il s’agissait de renouer, d’une certaine manière, avec ces tisserands pour lesquels il travaillait, adolescent. « Quand j’ai commencé à réaliser des installations, j’ai occupé de grands espaces et j’ai constaté que le tissu s’y prêtait, explique Konaté. Puis, de fil en aiguille, j’ai approfondi mon travail sur le textile, qui offre techniquement beaucoup de possibilités. Et à vrai dire, au Mali, le coton est plus simple à trouver que la peinture ! » Une révélation pour l’artiste malien, qui trouve alors le médium idéal pour s’exprimer.
Habitué à introduire dans ses oeuvres, à l’instar de Lam, des éléments de la tradition africaine, Konaté construit aujourd’hui de véritables sculptures textiles, parfois composées de centaines de bandes de tissu qui rappellent les tenues des musiciens sénoufos ou celles des « bouffons sacrés » de la société bamana, les Korodugas. « Abdoulaye Konaté parvient à trouver une contemporanéité tout en gardant ses traditions à l’esprit, explique Vincent Pollet, directeur de VIP Art Galerie (Marseille), qui le représente depuis 2011 et l’exposera lors de la foire Art Paris*. C’est un travail d’une qualité exceptionnelle, de niveau international, ce qui est très intéressant pour une petite galerie comme la nôtre. »
Sur le marché émergent de l’art africain, les oeuvres de l’artiste malien valent entre 15 000 et 70 000 euros. Lui, bien sûr, refuse l’appellation réductrice d’« artiste africain » : « Si c’est pour isoler les gens et diminuer la valeur d’une oeuvre, c’est non ! Si c’est pour affirmer que vous vivez dans un lieu précis et que vous apportez quelque chose de plus au monde, c’est oui ! » Réfutant aussi le qualificatif d’artiste engagé, Konaté revendique tout de même son rôle social. Il n’hésite pas à aborder « des thèmes qui traitent de la souffrance humaine », avec délicatesse et légèreté, comme l’immolation de Mohamed Bouazizi – Fruits de Tunisie (Bouazizi) -, l’immigration – Génération biométrique – ou le conflit israélo-palestinien. Celui qui a osé tisser ensemble le keffieh d’Arafat et le drapeau israélien – Gris-gris pour Israël et la Palestine – glisse d’une voix douce : « Je ne comprends pas comment les gens peuvent ne pas s’entendre tout en sachant qu’ils vont partir bientôt. »
* Art Paris, au Grand Palais, à partir du 29 mars.
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