L’économie verte, une chance pour l’Afrique de revoir sa copie en matière de développement
Quelle stratégie le continent doit-il adopter pour préserver l’environnement sans pour autant entraver son développement ? C’est l’une des questions abordées au One Forest Summit, qui s’est tenu les 1er et 2 mars à Libreville.
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Mark-Alexandre Doumba
Financier franco-gabonais, directeur général d’Enovate Capital, holding d’investissement établi à Dubaï
Publié le 2 mars 2023 Lecture : 6 minutes.
La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent, dixit Albert Einstein. Pourtant, l’histoire du développement mène trop souvent à la même conclusion : l’Afrique se retrouve parmi les perdants à chaque grande transition industrielle. Parfois pour des questions de gouvernance interne, telles que l’absence ou l’inefficacité des politiques publiques en matière d’industrialisation ; parfois aussi en raison de déséquilibres dans l’ordre institutionnel international. Il y a une impression permanente d’être pris dans des sables mouvants : plus vous vous débattez, plus vite vous êtes ensevelis.
L’avènement de l’économie verte présente les mêmes prémisses. Elle offre une chance aux États africains de réorienter la trajectoire et la structure de développement de leurs économies car elle repose sur une ressource sur laquelle le continent a un avantage naturel : la biodiversité. En effet, ses écosystèmes forestiers et marins font de l’Afrique un leader en matière de détention de carbone et donc de lutte contre le changement climatique.
Près de 24 millions d’emplois d’ici à 2030
Son potentiel écotouristique et industriel est lui aussi conséquent. Les localités dotées d’abondantes ressources en énergie propre peuvent véritablement devenir des moteurs industriels de l’économie durable et des pourvoyeurs d’emplois. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), près de 24 millions d’emplois sont susceptibles d’être ainsi créés d’ici à 2030.
Toutefois, ce n’est pas la première fois que l’Afrique se trouve en position de monopole naturel pour une ressource stratégique dans un secteur à fort potentiel de croissance et de valeur ajoutée. C’est déjà le cas pour le cobalt, la bauxite, l’or, l’uranium et le platine, ainsi que pour des matières premières agricoles comme le cacao, la noix de cajou et le café. Le continent possède plus de 65% des terres arables disponibles dans le monde. Pourtant, et paradoxalement, sa balance commerciale agricole a accusé, en 2021, un déficit de 36,3 milliards de dollars, selon la Banque africaine de développement (BAD).
Hélas, comme cela arrive souvent lorsqu’il s’agit de l’Afrique, les acteurs qui dépendent des ressources naturelles et stratégiques du continent sont également ceux qui fixent les règles du jeu. Comment expliquer qu’en 2022 la région ait produit près de la moitié (46,5%) de la valeur mondiale du secteur primaire (matières premières agricoles et minières), mais que cela n’ait représenté que 2 % du PIB mondial (industrie et services compris) ?
L’autre préoccupation des experts en développement est de déterminer les voies et moyens d’inverser la tendance suivant laquelle l’Afrique est preneuse de prix (price-taker) sur des produits dont elle détient une part de marché significative sur le plan mondial. C’est-à-dire qu’elle vend en abondance des produits dont elle ne fixe pas les prix.
Renverser les règles du marché
Ces questions existentielles complexifient l’équation à résoudre pour permettre à l’Afrique subsaharienne de changer de paradigme, de capitaliser sur le potentiel de l’économie verte et de renverser les règles de marché qui lui sont défavorables.
L’histoire et l’actualité démontrent à l’envi que posséder une ressource naturelle ne constitue pas un avantage compétitif en soi, même lorsqu’on pense être en position de monopole naturel. Au-delà du fait que les pays africains riches en matières premières ne favorisent pas suffisamment l’investissement public et privé dans la production locale –comme ont su le faire certains pays du Golfe avec le gaz naturel liquéfié ou avec l’industrie pétrochimique –, force est de constater que les pays industrialisés ont su capitaliser sur la faible présence d’industries en Afrique pour créer des marchés oligopsones, c’est-à-dire des marchés caractérisés par la présence d’un faible nombre d’acheteurs, qui ont conscience de leur interdépendance lorsqu’ils adoptent des décisions stratégiques portant sur le prix, la production et la qualité. Les acheteurs sont alors en mesure d’exercer une forte pression sur les marges des vendeurs et de fausser la concurrence, rendant le marché imparfait et les règles traditionnelles de l’offre et de la demande inapplicables.
Cette observation vaut pour l’industrie du cacao en Côte d’Ivoire, pour celle du cobalt en RDC ou pour celle du manganèse au Gabon, par exemple, où les multinationales captent une part dominante du marché à l’achat des matières premières et à la vente de produits finis et de services à valeur ajoutée. Quand les pouvoirs publics n’adoptent pas de politique protectionniste, les multinationales ont tendance à étouffer les initiatives locales susceptibles de rééquilibrer le rapport des forces et à localiser les centres de coûts et les activités à faible valeur ajoutée en Afrique.
Crédits carbone
Alors que l’économie verte est en pleine émergence, il est fort probable que l’Afrique restera marginalisée si elle ne revoit pas sa copie. Les financements tant espérés ne sont pas déboursés à l’échelle souhaitée. L’Afrique offre au monde un service de capture de carbone quasi-gratuit puisque la monétisation de ce service ne dépend pas de son offre, mais bien de la demande. Les acheteurs – à savoir : les agences de développement, les institutions multilatérales et les multinationales – ont, pour la plupart, érigé des règles qui leur permettent d’influer sur les prix. Ils exigent que les crédits carbone soient émis sur la base de certifications répondant à des méthodes de calcul spécifiques établies par des organismes dits indépendants.
Un mécanisme de « maturité », dit de « vintage », a également été mis en place de sorte que les crédits associés à la capture de carbone aient une valeur d’expiration. Plus le crédit est ancien, plus cela affecte la qualité et, donc, le prix qui lui est assigné. Sans remettre en cause le bien-fondé de la science, certaines de ces considérations ressemblent à des barrières non-tarifaires et peuvent donner l’impression de servir à limiter les gains potentiels des pays en développement les mieux dotés en ressources vertes.
Enfin, le modèle économique des États africains semble répéter un schéma de développement qui a montré plus d’une fois ses limites. Celui-ci consiste à vendre la matière première (un crédit étant égal à un mètre tonne de carbone brut) afin d’utiliser les recettes pour importer des technologies et des équipements produits ailleurs, lesquels serviront à accompagner la transition énergétique en Afrique. Cette stratégie est de nature à maintenir la composition des échanges commerciaux et la structure des économies en l’état.
Créer une économie circulaire
La chance qu’offre l’économie verte réside en grande partie dans la capacité des États africains à créer une économie circulaire fondée sur la relocalisation des chaînes de production, en partenariat avec des entreprises africaines. Il est essentiel que les technologies et les outils de production économes en carbone puissent être conçus, assemblés et déployés en Afrique. Il sera alors possible de « monter » dans les chaînes de valeur mondiales, c’est-à-dire de passer du secteur primaire aux secteurs secondaire et tertiaire, de gagner en sophistication et de changer la donne en matière de développement en adaptant les recettes de ce succès éventuel à d’autres filières.
D’autant que, pendant ce temps, les pays industrialisés, États-Unis en tête, sont en passe de procéder à la destruction créative de leur économies, comme dirait l’économiste Joseph Schumpeter, en vue d’acquérir le leadership sur l’économie de transition.
En 2022, le Congrès des États-Unis a voté un programme d’investissement (sous la forme de subventions d’un montant de 391 milliards de dollars) en faveur de la production d’énergie propre sur le sol américain. L’Union européenne et la Chine préparent leur offensive. Tous ont pour objectif d’atteindre l’indépendance énergétique et d’exporter leurs technologies vertes et leurs surplus d’énergie propre vers les pays en développement en répliquant le même schéma de coopération.
Quelle sera, cette fois, la réponse du continent ? L’histoire est, certes, un éternel recommencement. Mais espérons que le prochain diagnostic dont le patient africain fera l’objet ne fera mention ni d’amnésie ni de folie.
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