Quand des superbactéries mortelles se dopent à la pollution en Afrique
Selon les Nations unies, la dégradation de l’environnement joue un rôle crucial dans l’émergence et la propagation des « superbactéries ». Pour les contrer, des plans d’action nationaux et un réalignement des subventions et des investissements doivent absolument être réalisés.
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Inger Andersen
Directrice exécutive, Programme des Nations unies pour l’environnement
Publié le 3 mars 2023 Lecture : 4 minutes.
Les antimicrobiens sauvent d’innombrables vies et jouent un rôle clé pour des secteurs économiques vitaux. On peut les voir comme une superarme contre les infections, même légères, chez les êtres humains, les animaux et les plantes, qu’il serait difficile pour la médecine moderne de traiter autrement.
Un nouveau rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement démontre que la pollution atténue l’efficacité des antibiotiques, des antiviraux, des antifongiques et des antiparasitaires. L’augmentation critique des superbactéries résistantes aux antimicrobiens ainsi que d’autres exemples insidieux de résistance à ces derniers en sont le résultat direct. Pour limiter ce phénomène, il faut réduire la pollution environnementale à sa source.
Dix millions de décès directs
L’Organisation mondiale de la santé classe la résistance aux antimicrobiens parmi les dix principales menaces qui pèsent sur la santé mondiale. En effet, en 2019, 1,27 million de décès dans le monde ont été directement attribués à des infections résistant aux médicaments. Et près de 4,95 millions de morts ont été associées à la résistance antimicrobienne bactérienne à l’échelle planétaire.
Selon les estimations, jusqu’à dix millions de décès directs pourraient survenir chaque année d’ici à 2050, ce qui équivaudrait au taux de mortalité par cancer en 2020 à travers le monde. Au cours de la prochaine décennie, les conséquences de la résistance aux antimicrobiens sur les systèmes de soins de santé, la productivité et la production agricole pourraient entraîner pour les États-Unis un manque à gagner d’au moins 3 400 milliards de dollars par an sur le produit intérieur brut et faire basculer 24 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté.
La résistance aux antimicrobiens est également une question d’équité. Elle est étroitement liée à la pauvreté, au manque d’assainissement, ainsi qu’à une mauvaise hygiène, les pays du Sud étant les plus touchés. Les antimicrobiens sont souvent utilisés dans les pesticides. Or 85 % de ceux-ci sont répandus par des femmes dans certains pays, au sein des exploitations agricoles et des plantations commerciales. Elles travaillent souvent pendant leur grossesse ou alors qu’elles allaitent. Pour créer un monde réellement plus juste et plus sûr, la lutte contre cette résistance doit figurer en tête des priorités mondiales.
Triple crise planétaire
Trois secteurs économiques influencent profondément le développement de ce phénomène : celui de la fabrication de produits pharmaceutiques et autres substances chimiques, celui de l’agriculture et de l’alimentation, ainsi que celui des soins de santé. Les systèmes municipaux sont également concernés, lorsque les antimicrobiens pénètrent dans l’environnement par les eaux usées par exemple. Cela permet aux bactéries, aux virus, aux parasites ou aux champignons de rester indifférents aux traitements auxquels ils étaient auparavant sensibles.
La triple crise planétaire – changement climatique, perte de nature et de biodiversité, pollution – est également liée au développement de la résistance aux antimicrobiens. Les températures élevées et les conditions météorologiques extrêmes peuvent être associées à une augmentation des infections imperméables à ces derniers. Les décharges de déchets solides municipaux, propices à l’interaction avec certains animaux sauvages, peuvent également contribuer à la propagation de ce phénomène. Bien que l’importance de la dimension environnementale reste peu étudiée, ce nouveau rapport indique clairement les mesures que les gouvernements, l’industrie et les autres acteurs clés peuvent prendre dès maintenant pour mettre fin aux fuites d’antimicrobiens dans l’environnement.
Le secteur pharmaceutique peut renforcer les systèmes d’inspection, modifier les mesures incitatives ainsi que les subventions pour la mise en œuvre des améliorations du processus de fabrication, et assurer une maîtrise et un traitement adéquats des déchets et des eaux usées.
Le secteur de l’alimentation et de l’agriculture peut quant à lui limiter l’utilisation des antimicrobiens et réduire les rejets pour protéger les sources d’eau des polluants, des micro-organismes résistants et de la contamination par les résidus d’antimicrobiens. Ce secteur doit également éviter les antibiotiques qui correspondent à ceux utilisés en dernier recours en médecine humaine.
Pour sa part, le secteur des soins de santé peut améliorer l’accès à des sources d’eau et à des installations sanitaires durables et de qualité, aménager des systèmes de traitement des eaux usées spécifiques aux hôpitaux et garantir l’utilisation et l’élimination sûres et durables des médicaments antimicrobiens.
Dynamique politique
Pas moins de 56 % des eaux usées rejetées dans l’environnement ne sont pas, ou ne sont presque pas traitées, et plus de 600 millions de personnes n’ont accès qu’à des installations sanitaires médiocres ou basiques. Il est donc crucial d’améliorer la gestion intégrée de l’eau et de promouvoir son assainissement, ainsi que l’hygiène.
Ces mesures, ainsi que d’autres décrites dans le rapport, doivent être soutenues au plus haut niveau : par des plans d’action nationaux, des normes internationales, un réalignement des subventions et des investissements, la recherche et, surtout, la collaboration entre les secteurs. Adopter l’approche du plan « Une seule santé », qui part du principe que la santé des personnes, des animaux, des plantes et de l’environnement est interdépendante, est particulièrement important pour garantir que tous les travaux aillent dans la même direction.
Une dynamique politique importante s’est développée, notamment grâce au Groupe de direction mondial sur la résistance aux antimicrobiens et au plan « Une seule santé » de l’Alliance quadripartite. Cependant, la menace ne cesse de croître. Un engagement politique de haut niveau, davantage de financements, d’expertises techniques et, surtout, de mesures sont désormais cruciaux. Les investissements dans de nouveaux antimicrobiens à des prix abordables ainsi que dans d’autres mesures préventives devraient se multiplier, mais la réduction de la pollution sera essentielle pour garantir que cette super-arme conserve son pouvoir.
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