Du Maroc aux États-Unis, Mina Binebine, un talent africain de la mode
La fille du célèbre peintre et romancier marocain Mahi Binebine s’est lancée dans le stylisme il y a quatre ans. Avec succès. Après « Patchwork » en 2021, la créatrice a de nouveau frappé un grand coup avec l’ingénieuse collection « Éclosion ».
Deux collections, des vêtements distribués à Marrakech et à Casablanca, cinq employés dans la griffe à son nom : à 28 ans, Mina Binebine est une styliste en pleine ascension. En 2022, elle a fait partie des jeunes talents de la mode africaine sélectionnés à l’Africa Fashion Up : « J’ai été parmi les cinq lauréats d’une sélection de 200 stylistes. J’ai bénéficié de trois jours d’immersion dans le monde de la mode à Paris, d’un mentoring avec la maison Balenciaga, d’une discussion avec le directeur des Galeries Lafayette et, en point d’orgue, il y a eu un défilé où j’ai pu montrer mes créations. L’expérience a été fantastique et m’a offert une belle visibilité. »
« Un jour, je serai styliste »
La distinction est d’autant plus remarquable que la marque Mina Binebine n’existe que depuis quatre ans. Mais sa passion l’accompagne depuis toujours : « J’ai récemment découvert une page que j’avais découpée dans un magazine de mode à l’âge de 8 ans. J’avais fait un dessin et écrit : “un jour, je serai styliste”. » Un rêve qu’elle s’est donné les moyens de réaliser : « Après le bac, je suis partie à Los Angeles où j’ai fait le Fashion Institute of Design and Merchandising. Pendant mon cursus, je travaillais pour une marque de lingerie. J’allais à l’école, puis l’après-midi je travaillais, et le soir je faisais mes devoirs. C’était un rythme intense. »
Les parents de la jeune femme, et en particulier son célèbre père, l’écrivain et peintre Mahi Binebine, l’ont toujours soutenue, finançant ses études et son séjour aux États-Unis. L’expérience américaine est très formatrice, mais, souligne-t-elle, la reconnaissance fait défaut : « J’effectuais un travail colossal pour lequel je n’obtenais aucun crédit. Plutôt que de me plaindre, je me suis dit : “pourquoi ne pas me lancer ?” »
Ainsi germe l’idée de créer sa marque, mais Mina Binebine se heurte à un problème pratique : « Je pouvais fabriquer une collection avec des rideaux et une machine à coudre sans problème. Mais monter un business, je ne savais pas faire ! » L’opiniâtre reprend donc les chemins de l’école : « J’ai passé le GMAT [un test d’évaluation] pour entrer en MBA. Normalement, il faut avoir un bac + 4 finance pour y entrer. À la surprise générale, j’ai réussi le test et j’ai intégré la Marymount California University. » Tout en poursuivant sa scolarité, elle crée sa marque fin 2018 et participe à quelques défilés à Los Angeles et à San Francisco.
Patchwork
La volonté de Mina Binebine va de nouveau être mise à l’épreuve avec la pandémie de Covid-19. Selon un schéma éprouvé, elle va transformer la difficulté en opportunité : « Je suis revenue au Maroc pendant le confinement. Il n’y avait rien à faire, et s’il y a quelque chose que je déteste, c’est l’oisiveté. Il faut que je sois motivée par un but. Ma mère m’a acheté une machine à coudre et j’ai créé des pièces. » Tant et si bien que son père l’incite à se lancer dans un projet d’ampleur : proposer un défilé avec ses seules créations. La collection s’appellera « Patchwork » parce que « les pièces n’avaient rien à voir les unes avec les autres ».
Ainsi, le 14 octobre 2021, Mina Binebine présente une ligne de vêtements résolument modernes tout en étant fidèle à la tradition marocaine dans leur conception. L’accueil dépasse toutes ses espérances : « L’événement a eu lieu au Palace Es Saadi de Marrakech. Il y avait mille personnes, vingt mannequins, des grands écrans, toute la salle avait été tapissée en noir. C’était énorme. » L’écho a duré bien plus qu’un jour : « Élisabeth Bauchet-Bouhlal, la patronne de l’hôtel, a très gentiment mis à ma disposition une boutique pour vendre mes pièces. En un mois, tout mon stock est parti ! »
La demande explose et Mina Binebine ne peut plus tout faire toute seule. Elle s’entoure d’une équipe, qu’elle nous présente dans son atelier, situé dans sa maison de Marrakech : « Bouchera est manager, Karima est brodeuse, Ibtissem s’occupe du patronage et de la découpe, Cherif est tailleur, Wissal est community manager et Kenza Dakki gère mon site et m’aide dans la création de contenu digital. »
Un environnement que la créatrice a sciemment choisi majoritairement féminin : « Ce n’est pas facile de travailler au Maroc quand on est une femme. Les gens ne vous font pas confiance car pour eux, vous êtes juste une gamine. J’aime aussi travailler avec ces femmes parce que leurs mères et leurs grands-mères leur ont appris les façons de broder de l’époque. On essaie de garder une tradition, une culture. Même dans les vêtements modernes que je fais aujourd’hui, il y a toujours une part de tradition. » L’artisanat prend du temps mais il en vaut la peine : « Pour une blouse, Karima consacre deux jours et demi. Elle brode tout à la main. Ses finitions sont incroyablement soignées. »
Raconter des histoires
Après « Patchwork », Mina Binebine propose « Éclosion » en 2022. « L’idée m’en est venue à 4h00 du matin, pendant mon sommeil. Tous les jours, je voyais une femme à Marrakech, portant un énorme tonneau rempli de boutons. La pauvre ne vendait jamais rien car aucun des boutons ne ressemblait à un autre. Je me suis dit : “pourquoi ne pas les prendre ?” Je les ai cousus, c’est comme ça que la collection s’est constituée. »
L’explication, la styliste la donne avant le défilé, via un enregistrement de sa voix. Le verbe, une marque de fabrique qu’elle utilise depuis le début, car, affirme-t-elle, « mes vêtements racontent une histoire ».
Une histoire que la jeune femme distribue en ligne sur le site www.minabinebine.com, dans les boutiques The 6th Concept Store à Marrakech, The Eight Concept à Casablanca. Et aussi au Kissa Concept Store à Marrakech, qu’elle a fondé avec une autre créatrice, Malek Awadi. Une aventure entrepreneuriale née une nouvelle fois d’un obstacle : « Quand on est un jeune designer au Maroc, c’est très compliqué de pouvoir vendre sa collection. Il faut être dans une boutique, et pour être dans une boutique, il faut être quelqu’un. Avant mes défilés, plusieurs boutiques m’ont refusée et je me suis dit que j’allais créer celle-ci avec ma partenaire et amie Malek. Non seulement pour diffuser nos vêtements mais aussi ceux d’autres créateurs, surtout des jeunes et des femmes. »
Une ligne « genderless »
Si la clientèle de Mina Binebine est essentiellement féminine, ses lignes de vêtements son « genderless » : « Je fais en sorte que tous mes pantalons aillent aux hommes et aux femmes. Pour les blazers, que les épaules soient assez larges pour que ça fasse oversize sur une femme et que ça aille à un homme. Les vestes, les chemises se ferment de la même façon que l’on soit homme ou femme. » Un choix dicté par sa façon de voir : « Je n’aime pas les genres, ça m’énerve. » Comme le genre de ses vêtements, le style de la créatrice marocaine est unique. Fière de son africanité, elle rêve désormais de l’exporter dans le reste de l’Afrique.
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