Grandes entreprises, publiez vos comptes !
Certaines grandes entreprises africaines n’apparaissent pas dans notre classement des 500 champions africains. La raison ? Elles refusent de divulguer leurs comptes. Un manque de transparence signe d’une faiblesse de l’État de droit, qui est aussi nuisible au développement des marchés de capitaux.
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Julien Wagner
Responsable diversification médias et classements.
Publié le 15 mars 2023 Lecture : 4 minutes.
[Exclusif] Le classement 2023 des 500 champions africains
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Le classement des 500 plus grands groupes opérant en Afrique est un exercice de collecte comme aucun autre. Fastidieux, méthodique, il demande aux équipes data de Jeune Afrique du temps, de la patience et parfois même un certain esprit de conviction. C’est que, toutes les entreprises exerçant sur le continent ne jouent pas forcément le jeu…
Ils sont absents du classement…
Évidemment, pour toutes celles qui sont cotées en bourse, la publication des comptes est obligatoire et les chiffres disponibles. Pour les autres, la collecte dépend essentiellement de notre ténacité… mais aussi du bon vouloir des entreprises. C’est pourquoi, dans ce(s) classement(s), vous trouverez les chiffres de Dangote Cement Nigeria, cotée à la bourse de Lagos, mais pas les chiffres consolidés de Dangote Group. Ni ceux du groupe Mansour, probablement le plus grand acteur privé égyptien, qui déclare certes sur son site 7,5 milliards de dollars de revenus annuels, mais sans préciser l’année, ni mettre ce chiffre à jour. Absents également, quelques grands noms du secteur privé africain tels le groupe agro-industriel angolais Refriango ou celui du Camerounais Nana Bouba.
Vous ne trouverez pas non plus les chiffres d’affaires de certaines grandes compagnies publiques nationales comme l’algérien Sonelgaz ou l’Éthiopien Ethiopian Sugar Corporation. Des États qui, il est vrai, n’ont pas inscrit la transparence au rang de leur priorité.
Tout aussi étonnant, vous ne trouverez pas non plus les revenus totaux de TotalEnergies en Afrique. Par pays, mais pas continentaux. Et ce qui est vrai pour le géant français l’est tout autant pour le néerlandais Heineken ou le singapourien Olam. Et c’est sans compter évidemment les acteurs chinois, publics ou privés, dont nous n’avons aucune donnée chiffrée vérifiable et qui ne sont donc pas présents dans notre classement.
Une relation de défiance envers les autorités fiscales
Les raisons de ces omissions sont multiples. À gros traits, pour ce qui est du secteur privé qui nous intéresse, il serait possible de les regrouper en deux grandes familles : la défiance envers les autorités fiscales d’une part, la crainte de susciter la jalousie ou l’amertume de l’autre.
La défiance envers les autorités fiscales peut s’expliquer par deux raisons. D’un côté, l’inclination de certaines administrations fiscales à tenter de combler les déficits conjoncturels de l’État en ponctionnant arbitrairement les bénéfices des entreprises. Une habitude pas si rare sur le continent, qui incite certaines sociétés à se faire toutes petites. De l’autre, la volonté de certains acteurs privés de ne pas exposer au grand jour des pratiques comptables répréhensibles. Ce qui doit exister aussi, ici ou là… Dans les deux cas, ces agissements sont le signe d’une faiblesse de l’État de droit et d’un climat des affaires miné par la défiance.
La crainte de susciter la jalousie ou l’amertume est plus difficile à interpréter. Crainte pour sa sécurité personnelle ? Crainte d’être perçu comme un prédateur ? Ou tout simplement une pudeur excessive ? Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne les grands groupes internationaux, il semble qu’ils refusent de communiquer leurs chiffres globaux sur l’Afrique pour ne pas donner l’impression de se « nourrir sur la bête ». De gagner « trop » d’argent sur un continent où plus d’un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. Ou encore d’afficher un revenu annuel supérieur aux PIB de plusieurs États africains cumulés. Du côté des entreprises familiales africaines, divulguer ses comptes risquerait de provoquer des dissensions ou de susciter des rancœurs au sein de la famille, auprès de la communauté d’origine, ou même à l’échelle du pays.
Ainsi, comble de ce manque de transparence, à la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC, Douala), en 2022, seules 16 entreprises étaient cotées, dont 6 seulement se conformaient à la réglementation des entités cotées (publication des comptes chaque trimestre). Pour vivre heureux, vivons cachés, dit-on. Certes. Mais ce bon sens commun, comme tant d’autres, s’il peut s’entendre au niveau intime, est contre-productif en économie. En ce domaine, la règle est plutôt inverse.
La transparence initie un cercle vertueux
Plus les informations partagées sont abondantes et dignes de confiance, plus leur utilisation est productive. La collecte de données fiables et les statistiques qui en découlent constituent un sujet clé pour les États africains comme pour les entreprises qui y opèrent. Comment élaborer une politique économique efficace sans données un minimum exhaustives et sûres ? Comment attaquer un marché si on ne connaît ni le nombre de consommateurs potentiels ni la taille de ses futurs concurrents ? Et sans de tels chiffres, comment attirer de potentiels investisseurs ?
Mais la transparence a aussi d’autres vertus. C’est aussi la première étape, obligatoire, vers le développement de véritables marchés de capitaux africains. Capables de financer en retour les entreprises via des émissions obligataires. Première étape vers une sophistication nécessaire, à même de huiler les économies africaines dans leur ensemble.
À son humble niveau, Jeune Afrique tente chaque année, par ce classement, comme par d’autres, de donner l’image la plus fiable possible des champions africains, par région et par secteur. Nous continuerons. Et nous continuerons à tenter de convaincre que c’est un cercle vertueux, bénéfique à tous.
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