Guinée : un si lourd héritage

À l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir, en décembre 2010, la situation sociale et économique était désastreuse. Les réformes s’engagent, les investisseurs reviennent, la croissance repart. Mais tout reste à faire en Guinée.

À Conakry, près du marché de Madina. © Reuters

À Conakry, près du marché de Madina. © Reuters

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Publié le 28 mars 2012 Lecture : 5 minutes.

Guinée : Alpha Condé à l’épreuve
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Guinée : Alpha Condé à l’épreuve

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Port autonome de Conakry, début 2012. Oyé Guilavogui, ministre guinéen des Télécommunications et des Nouvelles Technologies de l’information, entouré de cadres et d’officiels de haut rang, accueille avec force sourires et applaudissements le commandant du navire qui transporte le câble sous-marin Africa Coast to Europe (ACE), un don de la Banque mondiale, qui, l’an dernier, a mis à disposition du pays 34 millions de dollars (26 millions d’euros) pour l’installation de la fibre optique. Sous d’autres cieux africains, cette livraison ne mériterait pas le déplacement d’un ministre.

À Conakry, ce petit pas pour réduire la fracture numérique est un grand événement. De même que tous les signes avant-coureurs de la mise à niveau des infrastructures du pays. Car, en Guinée, cinquante-quatre ans après l’indépendance, l’accès à l’électricité comme à l’eau courante fait encore figure de luxe. Quinze mois après l’investiture d’Alpha Condé, le 21 décembre 2010, les chantiers pour le développement du pays sont aussi nombreux que divers.

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Faillite. L’actuel locataire de Sékoutoureya, le palais présidentiel, a hérité d’une situation sociale, économique et politique désastreuse. Quand il a pris les rênes du pays, le taux d’inflation était de 21 % et les réserves de change, presque épuisées, équivalaient à quinze jours d’importations. Sous la pression des dépenses militaires, pendant les deux années de transition du capitaine Moussa Dadis Camara puis du général Sékouba Konaté, celles de l’État guinéen avaient doublé, creusant le déficit budgétaire jusqu’à 13 % du PIB.

Le pays avait accumulé d’importants arriérés intérieurs et extérieurs : de 36 millions de dollars avant le décès de Lansana Conté, en 2008, ils avaient grimpé à 375 millions de dollars en 2010. Dans le même laps de temps, la masse monétaire était passée du simple à plus du double, de 4 727,2 milliards à 10 367,9 milliards de francs guinéens (GNF) (de 498 millions à plus de 1 milliard d’euros)… Une faillite économique, couplée à une gouvernance politique chaotique, qui avait contraint les institutions de Bretton Woods à rompre avec le pays.

Que faire dans un État où tout est à (re)faire, ou presque, et où tout est prioritaire ? « Pendant cette première année, a déclaré Alpha Condé le 20 décembre, il nous a fallu poser les fondations d’un véritable État de droit, d’une administration plus performante et du retour de notre pays sur la scène internationale. Tout au long de cette année, nous avons dû faire des choix difficiles et prendre des initiatives audacieuses. »

La banque africaine de développement a fourni en 2011 un appui budgétaire de 30 millions d’euros.

Confiance. Autrement dit, le chef de l’État a opté pour des réformes structurelles, souvent radicales. L’une des premières a été l’unicité des caisses de l’État – jadis dispersées, notamment entre le Trésor, les ministères de souveraineté et la présidence -, afin de sécuriser les recettes publiques. Pour réduire le déficit budgétaire, le président Condé a gelé et audité les marchés publics signés pendant la transition militaire, mis un terme aux marchés de gré à gré et, pour encourager les investissements, il a créé l’Agence de promotion des investissements privés (Apip), ainsi qu’un guichet unique pour les formalités de création d’entreprise.

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Le gouvernement s’est également attaqué à la réforme du secteur minier, pilier de l’économie, représentant 85 % des recettes d’exportation. L’ensemble des contrats miniers a été revu et, en septembre dernier, un nouveau code minier a été adopté qui doit permettre, d’une part, d’accélérer le développement des mines longtemps restées dormantes et, d’autre part, d’assurer des revenus plus importants à l’État, aux entreprises et aux Guinéens.

Ces mesures ont-elles fait accourir les investisseurs en Guinée ? Rien n’est moins sûr. Elles ont tout de même eu le mérite de redonner confiance aux partenaires du développement. Les institutions de Bretton Woods et autres partenaires multilatéraux ont tous renoué avec le pays.

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En 2011, la Banque mondiale lui a ainsi accordé un appui budgétaire de 78 millions de dollars pour faire face aux arriérés de dettes et a mis à sa disposition quelque 200 millions de dollars pour différents chantiers. En 2012, elle prévoit de dégager 75 millions de dollars supplémentaires pour divers projets de développement, dont 27 millions pour les services de base (eau, assainissement, électricité, santé…), 18 millions pour le secteur de l’énergie, 20 millions pour l’agriculture et 10 millions pour les réformes administratives.

L’an dernier, la Guinée a par ailleurs bénéficié d’un appui budgétaire de 30 millions de dollars de la Banque africaine de développement (BAD), ainsi que de la négociation d’une facilité de crédit rapide (FCR) avec le Fonds monétaire international (FMI), et espère atteindre dans le courant de cette année le point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE).

Vitesse supérieure. Pour Mohamed Touré, secrétaire général du Parti démocratique de Guinée (PDG, fondé par son père, Sékou Touré) et membre de l’Alliance Arc-en-Ciel (mouvance présidentielle), le bilan est positif. « D’où nous venons, explique-t-il, on ne peut qu’apprécier certains grands développements qui ont été faits en l’espace d’un an, notamment la réforme courageuse de l’armée. »

L’opposition, elle, voit les choses autrement. Faya Millimouno, l’un des porte-parole du Collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition (opposition radicale), estime que « le bilan est plus que négatif, d’autant que le gouvernement ne fait que poursuivre les rares travaux qui avaient été suspendus, pour certains depuis quatre ans. Il n’y a toujours pas d’électricité ni d’eau courante, alors qu’Alpha Condé l’avait promis. Et, sur le plan politique, nous assistons à un début d’autoritarisme ».

Il n’empêche, après avoir gagné le pari du retour de son pays sur la scène internationale, le chef de l’État entend bien passer à la vitesse supérieure cette année. Sa politique de relance de l’économie est axée sur de grands travaux : réalisation du chemin de fer Conakry-Bamako, extension des ports de Conakry et de Kamsar, construction des ports de Matakan et de Benty, du barrage hydroélectrique de Foumi, etc. Les projets ne manquent pas. Reste à les réaliser, avec le soutien des bailleurs de fonds, qui s’intéresseront de près à la transparence des prochaines élections législatives. Initialement prévues le 29 décembre 2011, elles devraient finalement avoir lieu le 8 juillet 2012, comme l’a annoncé Loucéni Camara, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), le 1er mars, sous réserve de validation par le chef de l’État. Reste à savoir si tous les partis voudront y prendre part.

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