Égypte – Suisse : il faut sauver le colonel Ghannam

Réfugié politique à Genève, un opposant de Moubarak, le colonel Ghannam, est interné depuis 2007 pour avoir refusé d’infiltrer les milieux islamistes. Kafkaïen !

Mohamed el-Ghannam, expert de la lutte antiterroriste, est interné depuis 2007 en Suisse. © DR

Mohamed el-Ghannam, expert de la lutte antiterroriste, est interné depuis 2007 en Suisse. © DR

Publié le 28 mars 2012 Lecture : 5 minutes.

« Il s’est levé, il est sorti de sa cellule et s’est tenu à côté de la porte. Il a refusé d’y retourner tant que je ne sortais pas. Il a dû penser que j’étais un agent secret », raconte l’avocat Pierre Bayenet. C’est ainsi que s’est déroulée, le 2 mars, la seconde entrevue avec son client, le colonel égyptien Mohamed el-Ghannam, réfugié politique en Suisse depuis 2001.

Expert de la lutte antiterroriste, l’ancien directeur du département juridique du ministère égyptien de l’Intérieur, 54 ans, est interné depuis 2007 à la prison suisse de Champ-Dollon. À l’origine de son arrestation, une altercation avec un inconnu qui l’aurait bousculé, le 15 février 2005, à l’université de Genève. Se sentant menacé, le colonel s’était saisi d’un couteau et avait menacé l’homme, qui affirmera cependant que Ghannam ne l’a pas touché.

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Manipulation

Environ un mois avant l’incident, Ghannam avait affirmé que les services de renseignements suisses l’avaient approché pour qu’il infiltre l’entourage de Hani Ramadan dans le cadre de l’opération Memphis (voir encadré), lancée en 2004. Il avait refusé. En octobre de la même année, Ghannam se serait fait violemment bousculer dans la rue par un inconnu d’origine subsaharienne. Il a porté plainte et informé les autorités suisses qu’il était par ailleurs l’objet de menaces de la part du gouvernement de Moubarak.

Le rôle joué par les services de renseignements suisses dans cette affaire est pour le moins troublant : le 25 octobre 2005, la brigade de recherche et d’investigation spéciale, impliquée dans l’opération Memphis, a ainsi fait parvenir au Conseil de surveillance psychiatrique un rapport dans lequel elle affirmait que Ghannam avait « grièvement blessé » son adversaire lors de leur altercation à l’université. Pis, le 6 octobre 2005, le Service d’analyse et de prévention (SAP) de la police fédérale, également partie prenante dans l’opération Memphis, a adressé un courrier au substitut du procureur chargé du dossier Ghannam. La lettre, qui se réfère à des écrits attribués au colonel, indiquait qu’il était susceptible de compromettre la sécurité de la Suisse. « Je ne peux que réitérer ma condamnation à l’encontre du gouvernement de croisés suisses et mon ennui face à son peuple extrémiste », aurait-il écrit. En conséquence, Ghannam a été temporairement interné dans une clinique psychiatrique.

Le colonel a cependant développé devant la juge d’instruction un long argumentaire dans lequel il a expliqué quel sens il fallait donner à ses propos, commentant la traduction inexacte de l’arabe au français de certains termes. « Je ne suis pas contre les citoyens suisses normaux, mais contre quelques responsables suisses qui veulent cacher leur responsabilité à mon égard. J’ai l’intention d’agir en justice contre eux », avait-il par ailleurs précisé lors d’une audience en mai 2006. « Comment croire qu’un homme qui a risqué sa carrière et sa vie ait pu écrire de telles inepties ? » se demande, de son côté, le journaliste Robert Fisk, qui a fait la connaissance de Mohamed el-­Ghannam en 2000. À l’époque, le colonel était un des premiers à se dresser contre la corruption et l’autoritarisme du régime de Moubarak. En 1999, il a ainsi écrit dans une tribune que « la démocratie et la liberté ne s’obtiennent qu’au prix d’un long combat mené par les enfants du peuple […]. Quant à ceux qui ont l’illusion de croire qu’il faut attendre du dirigeant qu’il leur accorde une part de liberté et des miettes de démocratie, ils attendront toute leur vie ». La même année, il a refusé de fabriquer des preuves à charge contre des journalistes de l’opposition. « Lorsque je l’ai rencontré, il avait été suspendu du ministère de l’Intérieur. Il défendait le droit des chrétiens à construire librement des églises », se souvient Robert Fisk.

Le médecin qui a établi le diagnostic n’a jamais rencontre le patient.

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La famille du colonel s’inquiète de son sort. « Mon frère a 54 ans, son avocat dit qu’il en fait 70. Qui me dit que c’est bien lui qui est détenu ? Qu’il n’est pas mort ou qu’il n’a pas été kidnappé ? Pourquoi refuse-t-on à sa famille le droit de le voir ? » s’indigne Ali el-Ghannam, qui n’a jamais été autorisé à rendre visite à son frère depuis son internement. « Tout ce qui s’est passé dans cette affaire est incompréhensible, se désole Me Bayenet. Je pense que les services de renseignements ont fait une erreur, et ils essaient de la justifier en le maintenant en prison. » Aujourd’hui, la santé de Mohamed el-Ghannam s’est détériorée. « Il se replie de plus en plus sur lui-même et a de moins en moins de contacts avec le monde extérieur […].

Son état physique se dégrade aussi, il a beaucoup maigri […]. Je suis plutôt partisan d’un traitement en milieu hospitalier ouvert », a expliqué lors d’une audience le 10 janvier 2012 Ariel Eytan, responsable de l’unité de psychiatrie pénitentiaire.

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D’après le frère du colonel, le Parlement égyptien serait en train de faire pression sur le ministère des Affaires étrangères égyptien pour que Le Caire réclame sa libération. « Le milieu carcéral ne lui convient pas du tout, son pronostic vital est engagé, renchérit Me Bayenet. Il doit sortir de prison et être accueilli par sa famille. » Déclaré par la justice pénalement irresponsable, Ghannam est maintenu en détention depuis mars 2007, car, selon les autorités suisses, il souffrirait de « troubles délirants de persécution ». Le médecin qui a établi le diagnostic n’a cependant jamais rencontré le patient. « Quelques mois plus tôt, un premier praticien avait refusé d’effectuer l’expertise sans parler à mon frère, rappelle Ali el-Ghannam. Ce sont certains responsables suisses qu’il faudrait interner. » 

Opération Memphis

Le 23 février 2006, la Tribune de Genève révélait l’existence de l’opération Memphis, dont le but était d’infiltrer l’entourage de Hani Ramadan, directeur du Centre islamique de Genève. Le frère de Tariq Ramadan s’était distingué en 2002 par des propos controversés sur la charia dans les colonnes du Monde. Choquées, les autorités suisses le licencient de son poste de professeur au sein d’un collège genevois, avant de le réintégrer en 2004 sur décision de justice. L’informateur, Claude Covassi, qui se dit converti à l’islam, affirme que les services secrets cherchaient à fabriquer de fausses preuves pour prouver l’implication du Centre islamique de Genève dans l’envoi de djihadistes en Irak. Des accusations démenties par une enquête parlementaire de 2007, qui a cependant confirmé l’existence de l’opération Memphis.

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