Joey Le Soldat : « Ibrahim Traoré a tenu un discours révolutionnaire que le peuple voulait entendre »

Crise sécuritaire, situation des déplacés, rupture avec la France… Le rappeur burkinabè revient sur les difficultés qu’affronte le Pays des Hommes intègres.

Joey Le Soldat. Montage JA © Vincent Fournier / JA

eva sauphie

Publié le 4 mars 2023 Lecture : 5 minutes.

En novembre dernier, le chanteur au débit mitraillette sortait Back to the roots, un quatrième album en forme de retour aux sources pour celui qui n’envisage pas de quitter son quartier de Tanghin, à Ouagadougou. Ni le Pays des hommes intègres, malgré une reconnaissance en dehors des frontières du continent.

Jamais sans son treillis, ce combattant pacifiste de 37 ans, qui a choisi son nom de scène en hommage à son grand-père tirailleur, multiplie les concerts dans la capitale burkinabè avec, pour seules armes, un micro, des punchlines déversées en moré et un drapeau aux couleurs du Faso. Dans Barka, un opus tout aussi militant sorti en 2017, Joel Windtoin Sawadogo, de son vrai nom, exprimait sa désillusion face à l’insurrection de 2014. Aujourd’hui, alors que le Burkina vit une transition difficile dans un contexte de crise sécuritaire majeure, il croit coûte que coûte en la révolution.

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Jeune Afrique : Le 28 février, vous donniez un concert avenue Kwame Nkrumah, dans le cadre du Fespaco. Et remerciez sur scène les forces de l’ordre et les VDP [volontaires pour la défense de la patrie]. Cet élan patriotique est-il nécessaire aujourd’hui ?  

Joey Le Soldat : Il est plus que jamais nécessaire. Certaines personnes y vont de leur propre interprétation, quand elles me voient débouler sur scène avec un drapeau géant du Burkina. On me traite facilement de nationaliste. Mais, depuis huit ans, mon pays est attaqué. Derrière ce drapeau, ce sont des vies civiles qui partent, les FDS [forces de défense et de sécurité] et les VDP qui meurent.

Brandir ce drapeau est une manière pour moi de donner de la force à mon pays. Je l’érige sur scène depuis le début de la crise. Je ne suis pas un inconnu et nous devons tous prendre part au changement. On n’a pas intérêt à ce que la situation reste telle qu’elle est. Il faut agir, avec les moyens que l’on a.

Vous êtes originaire de la province du Yatenga, dans le nord du pays, en proie aux attaques terroristes. Comment vivez-vous le fait de voir disparaître une partie de votre enfance ?

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C’est dur de ne pas pouvoir repartir là-bas. Je suis né dans le Nord, à Koumbri. Aujourd’hui, c’est une zone où personne ne peut se rendre. On ne peut donc plus voir les siens. Ma famille a dû fuir vers d’autres localités. Tout cela supprime une partie de mon histoire et de mon enfance. C’est douloureux. On n’aurait jamais pensé qu’il serait un jour impossible de rentrer retrouver nos anciens.

Dans quelles conditions les déplacés vivent-ils ?

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Ils souffrent. Les gens fuient leurs villages pour ne pas être exécutés. La majorité déménage en laissant tout. Ils partent seulement avec des ânes et des charrettes, ainsi qu’un peu de matériel, mais ils abandonnent leur bétail sur place dans la précipitation. Ce sont des populations habituées à une vie rurale. Or ces agriculteurs et éleveurs nourrissent la majorité du peuple burkinabè.

Est-ce que la junte a mis en place des actions pour les accompagner ?

Ce sont surtout les civils qui agissent. Ils donnent du riz, du maïs, du mil, des vêtements, offrent un toit pour dormir… Tout le peuple se mobilise pour redonner un peu d’espoir aux déplacés. Il y a un élan de solidarité que je trouve très beau.

Personne ne peut remplacer Sankara

Le chef de la transition, Ibrahim Traoré, se rêve en nouveau Sankara. Et incarne pour beaucoup de Burkinabè une figure de la révolution. Quelle est votre position ?

Ce président tient des propos que le peuple voulait entendre depuis des années. À travers ses discours, j’ai perçu quelqu’un qui ressentait la douleur de ses compatriotes, qui la comprenait, sans verser dans la « politique politicienne ». Il a tenu un discours révolutionnaire, contre l’impérialisme et le néo-colonialisme. On retrouve donc des similitudes avec le capitaine Thomas Sankara, paix à son âme. Après, personne ne peut remplacer Sankara.

Il faut continuer dans cet élan, mais en menant plus d’actions concrètes. Le peuple en a besoin. Je ne suis pas partisan par principe. Je constate que le gouvernement de la transition travaille déjà. J’ai le sentiment qu’Ibrahim Traoré est venu avec une nouvelle dynamique. Maintenant, ce que l’on attend, c’est plus de réalisations sur le terrain. Évidemment, la lutte contre le terrorisme est une priorité. Mais il faut prendre en charge tous les éleveurs et agriculteurs qui arrivent en masse dans la capitale et dans les autres villes. Cette situation plombe l’économie de notre pays. L’agriculture nous fait vivre. Il y a un manque à gagner. Il faut permettre à ces gens-là de repartir dans des zones rurales et de s’installer dignement.

Vous êtes le fils d’un militant indépendantiste et le petit-fils d’un tirailleur. Que vous ont légué ces deux figures paternelles ?

Ils m’ont légué un combat, qu’ils ont commencé, mais qu’ils n’ont pas pu terminer. Ils sont fatigués. C’est à ma génération de poursuivre ce combat pour la libération du continent. Mon grand-père est allé combattre pour la France car on lui avait promis une Afrique libre. Le deal, c’était ça : vous rejoignez nos troupes, vous nous aidez, et on vous donne la liberté en retour. Mais cette liberté a été empoisonnée. Les tirailleurs se sont sacrifiés, ils ont servi de chair à canon en première ligne pour protéger la France contre l’invasion des nazis, et la France ne leur en a jamais témoigné de reconnaissance.

Dans certains des discours que le gouvernement français adresse aujourd’hui à l’Afrique, on a l’impression que l’on nous infantilise. Emmanuel Macron se penche sur des enfants qu’il veut éduquer. Or ce n’est pas à lui de nous instruire, mais à lui de nous écouter.

La rupture entre Paris et Ouagadougou est de plus en plus visible. Vous qui tournez beaucoup en France, croyez-vous encore en une diplomatie culturelle entre les deux pays ?

Je tourne à l’international, en Europe et notamment en France, et c’est toujours le même problème. Je rencontre des difficultés pour obtenir mes visas. C’est presque humiliant de se retrouver à chaque fois dans cette situation. Le nombre de démarches que nous devons accomplir avec mes camarades [la sodas family, NDLR] pour des dates qui sont justifiées, est effarant. On cale les concerts dans les règles, on paie les impôts, tout est clair et, malgré tout cela, on nous recale. C’est au bon vouloir des autorités françaises. J’ai raté énormément de grosses dates, comme les Nuits sonores à Lyon, à cause de ce système. Cette diplomatie culturelle France-Burkina n’existe pas vraiment.

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