Racisme en Tunisie : les Guinéens de retour à Conakry racontent leur « calvaire »

La Guinée est le premier pays d’Afrique subsaharienne à avoir rapatrié certains de ses ressortissants désireux de quitter la Tunisie. Les récits de ceux qui commencent à témoigner de ce qu’ils y ont vécu sont cauchemardesques, et font état d’une véritable « sauvagerie » à l’œuvre dans certaines parties du pays.

Devant les bureaux du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), à Tunis, le 27 février 2023. Le président tunisien a été accusé le 22 février de racisme et de discours de haine après avoir déclaré que des « hordes » de migrants d’Afrique subsaharienne étaient à l’origine de la criminalité et constituaient une menace démographique. © FETHI BELAID/AFP

Publié le 3 mars 2023 Lecture : 3 minutes.

Ibrahima Barry et Dame Mariama Barry sont visiblement épuisés et racontent leur histoire des sanglots dans la voix. Ils sont rentrés mercredi en Guinée dans le premier vol de rapatriement de Tunisie, après plusieurs jours de « calvaire ». « Un déferlement de haine qui n’a pas de raison », lâche Ibrahima Barry, encore sonné, dans une voiture l’emmenant rejoindre son frère dans la banlieue de Conakry. Le jeune homme de 26 ans s’interrompt, puis reprend: « En Tunisie, si je vous dis qu’ils sont sauvages, le mot n’est pas de trop ».

Les Noirs recherchés, pourchassés, violentés

Comme pour de nombreux migrants subsahariens, sa situation est devenue intenable après le discours du président tunisien Kais Saied appelant à des « mesures urgentes » contre l’immigration clandestine de ces Africains. Il affirmait que leur présence était source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables », et visait à modifier la composition démographique du pays.

la suite après cette publicité

Un grand nombre des 21 000 migrants originaires d’Afrique subsaharienne en situation irrégulière présents en Tunisie ont perdu du jour au lendemain travail et logement. Les premiers Guinéens rapatriés racontent des scènes d’agression et de chasse à l’homme.

Un Africain qui traite comme ça un autre Africain est tout simplement inhumain

Arrivé en Tunisie en 2019 pour aller à l’université grâce à une bourse de l’État guinéen, Ibrahima Barry vivait de petits métiers à Gabès, dans le sud-est du pays, dans l’annexe d’une « belle concession ». « J’étais couché quand un ami m’a appelé pour me dire de ne pas sortir, qu’un nationalisme anti-Noirs s’était déclenché partout dans le pays après un discours du chef de l’État », explique-t-il. Le lendemain, des voisins se sont introduits chez lui en brisant la porte, lui ordonnant de ne plus faire un geste. Il a dû son salut à son logeur, qui a fait partir les intrus en disant qu’Ibrahima Barry était « à sa disposition, à son compte ». Il le conduira ensuite jusqu’au consulat de Tunis, à quelque 400 km. « Dans mon quartier, les Noirs étaient recherchés, pourchassés, violentés, et leurs résidences pillées par des Tunisiens », assistés parfois par des agents de police, assure-t-il.

À coups de pierres ou de bâtons

« Il leur suffisait de voir un Noir, même assis devant sa porte ou en ville, pour qu’ils l’attaquent à coups de pierres ou de bâtons (…) C’est un cauchemar que nous avons vécu en Tunisie », dit-il. « Un Africain qui traite comme ça un autre Africain est tout simplement inhumain, sauvage ». Depuis le discours du président Kais Saïed, des centaines de Subsahariens se sont inscrits dans leurs ambassades sur des listes de rapatriement. La junte guinéenne a été la première à faire rentrer une cinquantaine de ressortissants mercredi soir.

Échapper à « une mort programmée »…

Dame Mariama Barry, 27 ans, était dans l’avion avec Ibrahima Barry, avec qui elle n’a aucun lien de parenté. Brisée, elle a tout perdu. Arrivée en Tunisie en 2022 dans l’espoir de gagner l’Europe, elle travaillait dans un salon de coiffure à Tunis depuis huit mois. « Pur survivre », « j’étais obligée de tout accepter, même l’inacceptable », et de supporter le racisme des Tunisiens, affirme-t-elle.

la suite après cette publicité

Après le discours du président Kais Saïed, « c’est d’abord ma patronne qui m’a insultée, me traitant de sale nègre, d’aventurière sans origine, de mal fichue… Là j’ai compris qu’il fallait partir, et très vite ». Son quartier était en ébullition, les Africains subsahariens étaient traqués, raconte-t-elle. « Des jeunes m’ont arrêtée, l’un d’entre eux m’a giflée. J’ai demandé pardon, qu’on me laisse partir. Un autre m’a donné un coup de pied dans les fesses, je suis tombée. On m’a arraché mon sac ».

La jeune femme raconte son errance, en larmes, dans les rues de Tunis, sans argent, sans téléphone, jusqu’à ce qu’un taxi s’arrête pour l’emmener chez une amie compatriote. Là, elles se barricadent dans un studio, jusqu’à leur départ pour Conakry, qui leur permet d’échapper à « une mort programmée », dit-elle.

la suite après cette publicité

Dame Mariama Barry et Ibrahima Barry ont fait connaissance dans l’avion. Comme les autres rapatriés, la première nuit, ils ont été logés par les autorités dans un hôtel. Une même voiture les emmenait jeudi soir dans la banlieue de Conakry, où un frère d’Ibrahima devait le récupérer. Dame Mariama devait retrouver une demi-sœur, et leur chemin se séparer là. Aucun d’eux ne sait de quoi demain sera fait. Qu’ils semblent loin maintenant, leurs espoirs d’une vie meilleure.

À des milliers de kilomètres de là, la déferlante raciste continue de submerger la Tunisie, mais Dame Mariama et Ibrahima, eux, sont bien en vie.

(avec AFP)

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires