France – Algérie : les accords d’Évian, d’hier à aujourd’hui

Benjamin Stora, historien, spécialiste du Maghreb et Renaud de Rochebrune, journaliste et écrivain.

Renaud de Rochebrune

Publié le 22 mars 2012 Lecture : 3 minutes.

Que s’est-il vraiment passé le 19 mars 1962, avec l’entrée en vigueur des accords d’Évian ? Pour les pieds-noirs, ils signifient que la France et, surtout, son armée vont se retirer d’Algérie, puisqu’il y aura un référendum, donc l’indépendance. Ainsi s’annonce la fin d’une histoire, celle de l’Algérie française. D’où une très grande inquiétude, une grande angoisse. La seule question qu’ils se posent alors : faut-il partir ? Pour les appelés du contingent, ces accords provoquent en revanche une énorme explosion de joie. Car ils veulent dire tout simplement : c’est fini, on rentre à la maison.

Pour les combattants algériens de l’intérieur, la plupart ne sont tout simplement pas au courant. Ils mettront plusieurs jours, certains plus, à apprendre l’existence du cessez-le-feu. En revanche, du côté de l’« armée de frontières », on apprend instantanément l’issue d’Évian. Les soldats comme tous les réfugiés sont contents. La perspective de la réouverture prochaine de la frontière est ce qui les intéresse le plus : on pourra bientôt rentrer en Algérie.

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Du côté des dirigeants militaires, en revanche, tous ne se réjouissent pas. Le chef de l’état-major général (EMG), Houari Boumédiène, se déclare opposé aux accords. Il estime que c’est un mauvais compromis, que l’on ne devait pas négocier de cette façon, qu’il s’agit d’une ruse des Français pour rester en Algérie. L’armée française ne va-t-elle pas continuer de se maintenir dans une partie du Sahara et à Mers el-Kébir ? Mais cette attitude s’explique aussi par le fait que l’EMG n’est alors pas en position de force face au Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et veut gagner du temps. D’autant que les militaires, très nationalistes et très méfiants vis-à-vis de la France, n’ont pas été associés directement aux négociations et ne peuvent alors se prévaloir de la victoire.

La plupart des politiques algériens, en particulier Krim Belkacem et Benyoucef Benkhedda, sont pour leur part favorables à ces accords. On a obtenu ce qu’on voulait, disent-ils, avec ce référendum d’autodétermination qui va amener l’indépendance, d’autant qu’on a évité le risque de la partition puisqu’on garde le Sahara – cette partition étant le principal point sur lequel pouvaient achopper les négociations.

Et après ? Au lendemain des accords, il n’y a aucune manifestation de joie dans les rues en Algérie. Tout le monde reste terré chez soi, notamment parce que l’OAS [Organisation de l’armée secrète, NDLR], qui pense que le 19 mars a marqué le début d’une autre guerre, contre-révolutionnaire, se déchaîne. Les Algériens se demandent si le référendum aura bien lieu, si ce n’est pas pour Paris surtout un moyen de gagner du temps. La grande majorité des pieds-noirs, après la fusillade la rue d’Isly, le 26 mars 1962, où plusieurs dizaines d’entre eux sont tués par l’armée française, se rend vraiment compte que c’est le début de la fin. Dès avril-mai, les « Européens » prennent d’assaut les bateaux et les avions vers la métropole. L’OAS perd son soutien populaire. Elle continue les attentats, mais la situation lui échappe. Sa tentative de négocier avec le FLN [Front de libération nationale] en juin ne donnera aucun véritable résultat.

Que représentera le 19 mars après la guerre ?

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En France, la commémoration sera portée à bout de bras pendant une trentaine d’années par les associations d’anciens combattants. Du côté des Algériens, les négociateurs et le GPRA se félicitent de l’issue des pourparlers. Quant aux militaires, on le sait, ils n’ont aucune raison de célébrer cette date, qui n’est en fin de compte pour aucun Algérien celle de la fin de la guerre.

Aujourd’hui ? En France, la commémoration est très contestée, puisque les accords n’ont pas marqué la fin des violences. En Algérie, la date est encore moins consensuelle. Parce que l’OAS a poursuivi ses actions meurtrières. Mais aussi et surtout parce que les dirigeants, à commencer par Houari Boumédiène, qui ont pris le pouvoir après l’indépendance en l’emportant sur le GPRA, n’ont jamais eu envie que l’on parle d’Évian. Voilà pourquoi, en Algérie, la seule date incontestée à célébrer reste celle de l’indépendance « officielle ». Que l’on commémore, depuis cinquante ans, le 5 juillet.

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