RDC – CPI : Lubanga, coupable pour l’exemple
Il se serait bien passé de cet honneur. Déclaré coupable de crimes de guerre pour avoir enrôlé des enfants en 2002-2003 lors du conflit en Ituri, le chef de milice congolais a fait l’objet du premier verdict rendu par la CPI en dix années d’existence.
C’est l’histoire d’un petit notable qui devient seigneur de la guerre. Né il y a 51 ans à Djuba, dans le district de l’Ituri (nord-est de la RDC), le jeune Thomas Lubanga pense d’abord devenir prêtre. « Au séminaire, il jouait bien de la guitare », raconte un père blanc de Bunia. Puis il obtient une licence de psychologie à l’université de Kisangani, et revient en Ituri pour enseigner le management à Bunia. Afin d’améliorer l’ordinaire, le prof fait du business. Il vend des haricots, puis de l’or à des acheteurs venus de l’Ouganda tout proche. Grand, mince, toujours élégant, Lubanga est d’un naturel réservé, mais il en impose au sein de sa communauté hema et se lance en politique. Après l’éclatement de la guerre civile, en 1998, l’Ituri s’affranchit de la tutelle de Kinshasa et tombe dans l’orbite de Kampala. À Bunia, les milices font la loi. Fondateur de l’Union des patriotes congolais (UPC), Lubanga dote bientôt son parti d’une branche militaire, les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC). Il en confie le commandement opérationnel à son adjoint, Bosco Ntaganda. « Ils étaient souvent ensemble », se souvient le journaliste Gabriel Kahn, ex-correspondant de RFI à Kampala.
Au tournant des années 2000, l’homme politique un peu timide se mue en chef de guerre sûr de sa force et intraitable avec ses ennemis. Lubanga a des connexions avec l’Ouganda, le Rwanda et la Libye. L’argent et les armes de gros calibre affluent. Est-ce l’influence de Kadhafi ? Le chef de milice tombe l’abacost et reçoit désormais ses visiteurs en djellaba, dans une grande maison du centre de Bunia. Dans le jardin, des dizaines d’enfants-soldats montent la garde. Objectif des FPLC : agrandir le territoire des Hemas aux dépens des Lendus. Pour les terres, les deux communautés se livrent une guerre sans merci. Plus de 50 000 morts en 2002. Les FPLC sont accusées de plusieurs massacres de civils lendus.
Ce sont les parents eux-mêmes qui demandaient à leurs enfants de se battre pour défendre leurs intérêts.
Thomas Lubanga, lors de son procès
En 2003, l’opinion internationale se réveille. Pour beaucoup, l’horreur rappelle la tragédie du Rwanda. Le Conseil de sécurité de l’ONU se saisit du dossier. En juin, une force militaire européenne de plus de 1 000 hommes – des soldats français pour la plupart – débarque à Bunia, via Entebbe. C’est l’opération Artémis. Lubanga sent que le vent tourne. Au bout de quelques mois, il quitte Bunia et s’installe dans un grand hôtel de Kinshasa. Comme d’autres chefs de guerre de l’est du Congo, il espère négocier un ou deux ministères au sein d’un gouvernement de réconciliation. Mais en février 2005, le meurtre de neuf Casques bleus en Ituri attire l’attention sur lui. L’ONU veut sa tête. Le président Joseph Kabila le fait arrêter. Un an plus tard, en mars 2006, il est transféré à La Haye, aux Pays-Bas, en vertu d’un mandat d’arrêt international délivré par la Cour pénale internationale (CPI).
Unanimité
Premier détenu, premier condamné… Thomas Lubanga a « l’honneur » d’essuyer les plâtres de la CPI, qui fête cette année ses dix ans d’existence. On ne connaît pas encore la peine à laquelle il est condamné. Le temps que la Cour consulte l’accusation et la défense, on le saura dans quelques semaines. On ne sait pas non plus si Lubanga va interjeter appel. Il a un mois pour le faire. Mais une chose est sûre : le verdict prononcé à son encontre, le 14 mars à La Haye, restera dans l’Histoire. « La chambre a conclu à l’unanimité que l’accusation a prouvé au-delà de tout doute raisonnable que Thomas Lubanga est coupable des crimes de conscription et d’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et les a fait participer à un conflit armé », a déclaré le juge britannique Adrian Fulford lors de la sentence. À la lecture du jugement, le condamné a serré le poing contre ses lèvres. Vêtu d’un boubou et d’un calot blancs, il a échangé un bref sourire avec son épouse, assise dans les rangs du public, derrière une grande baie vitrée. Quelques sièges plus loin, l’actrice américaine Angelina Jolie suivait aussi l’audience. Depuis plusieurs années, elle soutient le travail du procureur de la CPI, le très médiatique Luis Moreno-Ocampo – qui va passer la main dans trois mois.
"Petits poissons"
Restent deux questions. Pourquoi l’ex-chef de guerre est-il condamné pour le recrutement d’enfants-soldats et pas pour le massacre de civils, un crime autrement plus grave ? « Parce que chaque procès devant la CPI est emblématique, explique un proche de la Cour. Un crime, un condamné. Pour l’enrôlement d’enfants, c’est Lubanga. Demain, pour les massacres de villageois, ce seront Mathieu Ngudjolo et Germain Katanga, deux chefs de milices lendus. Et pour les viols de masse, ce sera sans doute Jean-Pierre Bemba. La Cour est jeune. Elle n’a pas encore les moyens de juger tous les criminels de guerre pour toutes les exactions qu’ils ont commises. » En clair, la CPI fait son tri dans les crimes. Mais il y a une autre explication possible, plus politique celle-là. En sectionnant les dossiers – les enfants-soldats d’un côté, 230 villageois massacrés de l’autre -, le procureur de la CPI braque le projecteur de la justice sur les « petits poissons » de l’Ituri et laisse dans l’ombre les éventuels commanditaires de Kampala, Kigali ou Kinshasa. À La Haye, aucun acteur extérieur à l’Ituri n’a été cité, ne serait-ce que comme témoin.
Thomas Lubanga est condamné parce que Joseph Kabila a bien voulu le livrer à la CPI. En revanche, son coaccusé, Bosco Ntaganda, échappe à tout jugement parce que le président congolais le protège.
Seconde question : pourquoi la CPI ne poursuit-elle que des vaincus ? Certes, il y a une exception notable : le président soudanais Omar el-Béchir. Mais Thomas Lubanga, Jean-Pierre Bemba et Laurent Gbagbo sont tous trois des hommes politiques vaincus par plus fort qu’eux. Dans le cas Lubanga, la justice est même soumise au bon vouloir du vainqueur. Thomas Lubanga est condamné parce que Joseph Kabila a bien voulu le livrer à la CPI. En revanche, son coaccusé, Bosco Ntaganda, échappe à tout jugement parce que le président congolais le protège. Habilement, en 2005, Bosco s’est rapproché de la rébellion tutsi-congolaise du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) et de son chef, Laurent Nkunda, alors soutenu par le Rwanda. En 2009, quand Nkunda a fait les frais d’une réconciliation entre Kigali et Kinshasa, Bosco le manoeuvrier s’est imposé comme une carte de rechange et a pris les rênes d’une partie du CNDP. Il les tient toujours, avec grade de général dans l’armée congolaise. Et malgré le mandat d’arrêt lancé contre lui depuis 2006, il continue de dîner dans les meilleurs restaurants de Goma ou de jouer au tennis au bord du lac Kivu. Depuis ce 14 mars, « tous ceux qui peuvent être tentés par la folie du génocide ou du crime contre l’humanité savent que rien ne pourra arrêter la justice », affirme Alain Juppé, le ministre français des Affaires étrangères, qui pense très fort au président syrien Bachar al-Assad. La toute jeune CPI doit encore prouver qu’elle ne pratique pas une justice de vainqueurs.
Le cas Hissène Habré
Au moment même où la Cour pénale internationale (CPI) reconnaissait Thomas Lubanga coupable de crimes de guerre, une autre juridiction internationale, la Cour internationale de justice (CIJ), se penchait sur le cas d’Hissène Habré – ou plutôt, à la demande de la Belgique, sur les évidentes réticences du Sénégal (où il a trouvé refuge en 1990) à juger ou à extrader l’ancien dictateur tchadien.
Les audiences de la CIJ devaient se poursuivre jusqu’au 21 mars. Le 25, les Sénégalais sont appelés aux urnes pour le second tour de la présidentielle. Macky Sall, s’il arrivait au pouvoir, gérerait-il le dossier différemment ? À des partisans d’une extradition vers la Belgique, rencontrés en 2010, Macky Sall avait affirmé qu’il trouvait honteuse la manière dont Dakar traînait les pieds. Voilà qui ne devrait pas rassurer Habré, qui avait pourtant pris soin de s’attacher le soutien des confréries (Tidjane notamment), et même de proches collaborateurs d’Abdoulaye Wade, le président sortant.
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