uMkhonto we Sizwe, l’armée secrète de Mandela contre l’apartheid

À voir sur Arte ce 9 avril, le film de la Franco-Camerounaise Osvalde Lewat sur la branche militaire de l’ANC, que fonda l’ancien chef de l’État sud-africain.

Membres de l’association des vétérans de uMkhonto we Sizwe assistant au 107e anniversaire de l’ANC, à Durban, le 12 janvier 2019.

Membres de l’association des vétérans de uMkhonto we Sizwe assistant au 107e anniversaire de l’ANC, à Durban, le 12 janvier 2019.

Clarisse

Publié le 9 avril 2024 Lecture : 6 minutes.

En 2016, la réalisatrice franco-camerounaise Osvalde Lewat retrouvait, à Johannesburg, un ami sud-africain qu’elle n’avait pas revu depuis dix ans : Zola Maseko, Étalon d’or de Yennenga à la 19e édition du Fespaco, en 2005. La vie du cinéaste semblait se déliter. Des démons surgis de son passé d’ancien soldat d’uMkhonto we Sizwe (MK), la branche militaire de l’ANC, fondée par Nelson Mandela, revenaient le hanter.

Branche militaire de l’ANC

Zola Maseko raconta à Osvalde Lewat son engagement, très jeune, à 19 ans, les batailles sur le front, les camarades morts, le retour en Afrique du Sud, les années de déshérence et d’addiction à la drogue. Il confia, aussi, n’avoir pas pris la mesure du traumatisme que ses frères d’armes et lui avaient vécu et de la frustration qu’ils avaient éprouvée devant le peu de considération que l’on semblait leur témoigner.

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Osvalde Lewat tenait là un sujet de portrait. Maseko déclina, mais évoqua le cas de plusieurs milliers d’autres jeunes, qui avaient tout sacrifié à la guérilla parce qu’ils portaient haut les idéaux de justice et de liberté, et étaient prêts à mourir pour lever le joug de l’apartheid. C’est l’histoire de cette branche militaire de l’ANC qu’Osvalde Lewat a choisi de retracer à travers le parcours de quelques-uns de ces ex-soldats du MK, dans un documentaire de 60 mn, le premier qui leur soit consacré.

La cruauté de l’apartheid

Le documentaire s’ouvre sur les différentes raisons qui les ont poussé à s’engager. Pour Zola Mazeko, « c’était le moyen le plus efficace de lutter contre le système ». Il avait pris sa décision après la projection, dans son école de cinéma, d’une vidéo sur les violences policières en Afrique du Sud. Pour Mac Maharaj, ancien dirigeant du MK, s’engager n’était pas une question de choix :  » Votre vie quotidienne était structurée de telle sorte que vous souffriez chaque jour de l’humiliation. Donc, ça allait de soi ». Quant à Dudu Msomi, l’une des plus jeunes recrues, le système lui paraissait si cruel qu’elle décida, à l’âge de 13 ans, de quitter sa famille sans savoir où elle allait.

Selon Osvalde Lewat, l’histoire a été réécrite à travers un prisme colonialiste. Résultat, on a l’impression que l’apartheid a été démantelé parce que, prenant conscience de son abjection, les Blancs avaient décidé d’y mettre un terme. Or il n’en est rien. Ils y ont été contraints, acculés par des jeunes qui ont rendu le pays ingouvernable, comme le leur avait recommandé Oliver Tambo, le président de l’ANC en exil.

Avec une pointe de fierté, Ronnie Kasrils, ancien dirigeant de MK d’origine lituanienne, revient sur les lieux de leur première attaque à la bombe. La cinéaste, qui a pris le parti de toujours s’intéresser aux héros oubliés, dit avoir fait ce film pour que cette période essentielle de l’histoire de l’Afrique du Sud cesse d’être minorée et que soit rendue aux jeunes volontaires la part qu’ils y ont pris.

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Mandela édulcoré ?

Elle dit aussi avoir voulu révéler le véritable visage de Mandela, « tout en contraste, non-partiel et non-partial ». Car, avant de devenir un vieux sage pacifiste, Madiba fut un révolutionnaire à la tête d’une armée de guérilleros. « Nelson Mandela est arrêté une première fois en 1962 pour avoir appelé à des manifestations non-violentes, rappelle Osvalde Lewat. Alors qu’il est en prison à Rivonia, on découvre, grâce à des documents, qu’il a fondé et dirigé le MK, ce qui lui vaudra d’être condamné à la réclusion à perpétuité. Comment se fait-il qu’aujourd’hui on édulcore tout cela ? »

La cinéaste a son explication : l’image de la plupart des héros africains qui se sont battus contre la domination coloniale a été enjolivée et pacifiée. Un procédé qui déplaît à Mac Maharaj, un ancien dirigeant de l’ANC qui fut, par la suite, ministre des Transports : « Dépeindre Mandela en pacifiste, c’est encore une façon de nous déposséder de notre histoire et de l’inscrire dans un schéma de mentalité coloniale. » Et un tel schéma requiert que l’on passe sous silence la révolte et la résistance des Noirs. Selon Osvalde Lewat, raconter cette histoire, c’est raconter l’histoire de chaque Africain.

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Ce qui transparaît tout le long du film, c’est le désenchantement ainsi que l’amertume des ex-soldats. L’aventure a déstructuré leurs familles. Si la plupart se disent fiers d’avoir accompli la mission de leur vie et être prêts à recommencer, ils sont quelques-uns à penser qu’au regard des mandats présidentiels d’un Jacob Zuma et de la corruption qui mine aujourd’hui l’ANC, ce sacrifice est trop cher payé. Ils ont, certes, acquis leur dignité d’homme, mais ils restent des laissés-pour-compte et vivent dans la précarité.

Pensions dérisoires

À la fin de l’apartheid, une fois revenus en Afrique du Sud, les soldats du MK qui le souhaitaient ont été intégrés au sein de l’armée sud-africaine, mais à des grades inférieurs à ceux qu’ils avaient atteints pendant la résistance, après leur formation dans les armées des pays de l’Est. Cette « injustice » avait d’ailleurs conduit à une mutinerie. La plupart de ceux qui voulaient rester dans le civil étaient peu préparés à évoluer dans la nouvelle Afrique du Sud. Ceux qui ont réussi leur réinsertion étaient généralement issus de familles de cadres.

Pour les autres s’était posée la question de l’éducation. Enrôlée à l’âge de 13 ans, Dudu a eu le courage, vingt ans plus tard, de reprendre des études. D’autres, en revanche, étaient trop vieux à leur retour pour en faire de même. Ils touchent une pension de 37 euros mensuels. « Il n’y a pas eu de véritable politique de prise en charge de ces vétérans – il ne s’agissait pas d’une victoire militaire contre un ennemi, et leur contribution au démantèlement de l’apartheid n’a jamais été officiellement reconnue – et les sommes qui leur étaient destinées se sont évanouies dans différents scandales de corruption », explique encore Lewat.

Le film charrie en creux les griefs que de nombreux Noirs nourrissent contre Mandela. Ils lui reprochent d’avoir fait trop de concessions au nom de la paix sociale, allant jusqu’à compromettre l’équité économique. Pour les membres du MK, le pays a embrassé un système capitaliste alors qu’il était pensé, au départ, comme un pays socialiste.

À leurs yeux, Nelson Mandela et ceux qui ont négocié les conditions de la fin de la ségrégation ont trahi la charte de la formation militaire, la Freedom Charter, sur laquelle lui-même s’appuyait au début de son combat. Pis, des soldats du MK sont passés devant la Commission vérité et réconciliation. Certains ont été condamnés pour des crimes commis au temps de l’apartheid, ce qu’ils déplorent puisque, à leurs yeux, ces crimes étaient commis en représailles à ce qu’on leur faisait subir.

L’avion de Samora Machel

Désormais, les ex-MK rêvent de manifestations de gratitude officielles, collectives et majeures, qui les rétabliraient dans leur dignité et permettraient qu’on se souvienne qu’ils ont sacrifié leur vie pour cette liberté chère à tous. Pourquoi pas un monument, un musée ? En 2020, Osvalde Lewat a filmé une cérémonie en l’honneur de deux ex-combattants qui avaient appartenu, en 1961, au premier détachement du MK. On avait offert à chacun une médaille et un ordinateur, à 90 ans… Ridicule, juge Lewat, qui espère pour eux une tout autre compensation : une retraite qui leur permettrait de vivre décemment.

Elle souhaite également que l’histoire de l’apartheid soit enseignée. « Tout se passe comme si, pour effacer la haine raciale, il fallait s’abstenir d’enseigner cette histoire. » Elle dit aussi regretter de n’avoir pas pu montrer dans ce film la part qu’ont pris les autres nations africaines dans cette lutte contre l’apartheid. Des unités du MK avaient essaimé dans la plupart des pays d’Afrique australe. L’avion du président Samora Machel a été abattu par l’Afrique du Sud parce que le Mozambique abritait une base du MK. C’est en Algérie, au Maroc, en Éthiopie, mais aussi en Guinée, au Sénégal et au Gabon que Mandela alla chercher des financements pour son armée.

« J’aurais voulu montrer ce moment où les Africains s’alliaient pour combattre le colonialisme et l’apartheid. Je voudrais que les Africains sachent que rien ne nous a jamais été offert : il nous a toujours fallu tout conquérir. »

"MK, l'armée secrète de Mandela", de Osvalde Lewat. © ARTE

"MK, l'armée secrète de Mandela", de Osvalde Lewat. © ARTE

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