France – Cameroun : Ketty Sina, ex-Clodette

Trente-quatre ans après la mort de Claude François, cette Camerounaise s’est reconvertie, non sans difficultés, dans la restauration et l’hôtellerie.

Dans le restaurant de la Camerounaise, l’univers Claude François reste très présent. © Bruno Levy pour J.A

Dans le restaurant de la Camerounaise, l’univers Claude François reste très présent. © Bruno Levy pour J.A

Clarisse

Publié le 16 mars 2012 Lecture : 3 minutes.

Elle a adoré Cloclo *, le biopic de Florent-Emilio Siri sur la vie de Claude François, vu en avant-première avec d’autres ex-­Clodettes invitées par le fils aîné du chanteur, Claude Junior. Ketty Sina dit l’avoir regardé un noeud à l’estomac, émue de retrouver chez Jérémie Renier la gestuelle, les mimiques et la personnalité « double et trouble » de celui qu’elle a accompagné sur scène pendant les deux années « les plus intenses de [sa] vie », entre 1976 et 1978. À demi-mot, elle regrette toutefois le peu de place que le film accorde aux musiciens et aux danseuses.

Corps sculpté et jambes galbées, l’ex-Clodette de 54 ans conserve les bénéfices des heures de danse avec l’icône de la chanson française et, trente-quatre ans après la disparition de son mentor, donne l’impression de vivre toujours dans son ombre. La voix posée, la Camerounaise tente d’aborder la fin tragique du chanteur, puis se ravise et revient à leur rencontre. Elle se prénommait alors Françoise, n’avait que 18 ans et était arrivée en France trois ans plus tôt. Mariée traditionnellement, la jeune Bafang (ouest du Cameroun), aînée d’une fratrie de six, était censée suivre des études de couture. Son conjoint se révèle violent, et elle, « cancre à l’école », fréquente plus les boîtes de nuit que les salles de classe. Extravagante, court vêtue, outrageusement maquillée, elle inquiète ses parents. Claude François la remarque, lui propose de l’engager. « J’ignorais ce qu’il représentait et cette légèreté lui a plu. » Trois jours plus tard, elle fait sa première télé. « Je n’avais pas conscience de ma chance. Il était très en avance sur son temps. » Suivent deux années grisantes. Ses pieds ne touchent plus terre : « J’avais l’impression que tout m’était dû. » Son éducation rigide l’empêche de déraper.

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Ketty Sina décrit Claude François comme un être exigeant, voire cassant, qui pouvait se séparer d’une Clodette qui avait pris du poids… Mais il était aussi courtois, loyal, généreux et ne faisait aucune différence entre ses danseuses. Enfin, elle avoue tout de même avoir profité de sa couleur pour négocier un contrat avantageux : les danseuses noires ne couraient pas les rues…

Ouvert il y a quinze ans, le restaurant de l’ex-danseuse, à Paris, est un hommage au chanteur. Le week-end, le disco y prend ses quartiers, Ketty Sina n’hésitant pas à enfiler une tenue à paillettes pour une chorégraphie endiablée. Mais elle réfute tout calcul. « Si j’avais voulu utiliser son nom comme fonds de commerce, j’aurais baptisé mon restaurant Chez Ketty la Clodette, plutôt que le Kamukera. » Il n’empêche que, pour attirer le chaland, elle avait fait dessiner le visage de son idole sur un pan de mur voisin aujourd’hui disparu. Si elle vit aujourd’hui la moitié du temps dans le Perche, « une région verdoyante et vallonnée qui [lui] rappelle l’Ouest-Cameroun », où elle a des chambres d’hôte, elle soutient que le restaurant l’a sauvée de ses remords.

À la mort de Cloclo, Ketty Sina était sur le tournage, à Libreville, du film franco-gabonais Ilombe. Elle avait quitté le groupe des Clodettes sur un mensonge, l’agonie imaginaire de sa grand-mère. Le décès tragique de la star fut un choc immense, et la culpabilité la poussa à fuir Paris.

En Italie, elle devint gogo danseuse. À son retour, elle rencontre Jean-Marie Rivière, grand nom de la nuit, et devient meneuse de revue à l’Alcazar, puis danseuse au Paradis latin, où elle joue Joséphine Baker. Elle reste plus de dix ans dans le music-hall, avant de se lancer dans l’événementiel, de travailler comme directrice de casting puis de créer son agence de mannequins. Un échec cuisant. « Je n’avais ni contacts chez les créateurs de mode ni notions de gestion », confesse-t-elle. Endettée, elle élève seule ses quatre enfants, prend des cachets pour dormir, d’autres pour rester éveillée. Songe à une reconversion dans la bureautique. Malade, elle découvre que, en tant qu’« invalide », elle a droit à une subvention pour créer son entreprise.

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Aujourd’hui, le Kamukera permet à cette chef d’entreprise de prouver que le temps ne s’est pas arrêté à la fin des années 1970. Les enfants ont pris leur envol, et elle retourne souvent au pays. Née au Gabon, parisienne depuis quarante ans, elle surveille de loin la construction d’une résidence hôtelière à Kribi. Tout en poursuivant son combat en justice, avec quelque quinze autres Clodettes, pour percevoir des droits sur l’utilisation de leur image. La Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes, dont elles n’ont découvert l’existence qu’en 2007, aurait récolté ces trente-quatre dernières années quelque 30 millions d’euros annuels, sans leur verser un centime. Un combat de principe… 

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