Présidentielle française : halal, dites-vous ?
Conséquence de l’émergence de l’islam dans l’espace public, le mot « halal » a fait une entrée fracassante dans la campagne présidentielle française. L’abattage rituel des animaux destinés à la consommation a certes un fondement religieux. Mais il est surtout un signe d’appartenance communautaire. Et le prétexte à bien des amalgames.
Il y a trente ans à peine, le mot halal était introuvable dans le lexique français. Aujourd’hui, on le trouve un peu partout à Paris, sur les enseignes des restaurants et des magasins d’alimentation, en particulier dans les quartiers habités ou fréquentés par les musulmans. Depuis quelque temps, il s’invite même dans la campagne pour l’élection présidentielle de 2012. Les amalgames concernant la notion de halal sont devenus légion. Ils ne sont que le révélateur des difficultés concrètes d’insertion de la communauté musulmane.
Revenons aux origines. Appliquée à la nourriture, la notion de halal (« licite ») est l’opposé de haram (« illicite », mais également « sacré » dans d’autres contextes). Contrairement à l’Ancien Testament (voir, par exemple, Deutéronome XIV), où les interdits alimentaires sont nombreux, le Coran limite les nourritures illicites à quatre. Voici ce que dit le verset 145 de la sourate VI, l’un des derniers révélés, selon les sources des asbab al-nuzul (« circonstances de la révélation ») : « Déclare : "Je ne trouve dans ce qui m’a été révélé rien d’illicite pour celui qui consomme une nourriture, en dehors des animaux crevés, du sang répandu, de la viande de porc – car c’est une souillure – ou ce qui, par perversité, a été sacrifié à [une divinité] autre que Dieu. Cependant, celui qui en consommerait par contrainte et non dans l’intention d’être rebelle ou transgresseur, Dieu [lui pardonne] car ton Seigneur est indulgent et miséricordieux" » (traduction de B. Hamza). Même la consommation du vin, réputée pour être illicite dans la littérature du Fiqh, n’y est pas incluse.
Qu’est-ce à dire, sinon que les interdits alimentaires sont communs aux trois religions monothéistes et, à l’instar des rites communautaires, n’ont pas tous leur fondement dans les textes sacrés ? Si les juifs pratiquants respectent toujours ces interdits rigoureux, les chrétiens, à l’exception, jusqu’à aujourd’hui, de ceux d’Éthiopie, s’en sont débarrassés assez tôt, se fondant sur la célèbre formule de Jésus : « Il n’y a rien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur » (Marc 7, 15).
Quant aux musulmans, leur attitude envers la nourriture en général et envers les interdits alimentaires en particulier est loin d’être univoque. Sihem Missaoui lui a consacré une belle thèse de presque mille pages publiée en arabe, à Tunis, en 2008. Autant dire qu’on a toujours tort de réduire cette question à caractère anthropologique, sociologique, économique et politique à sa seule dimension religieuse.
Cependant, le thème qui défraie plus que d’autres la chronique pro- et antihalal concerne la consommation de viande égorgée rituellement et l’abattage des animaux destinés à cette consommation. On doit alors se demander pourquoi ce problème soulève tant de passions en France, alors que, d’une part, les musulmans dans les pays de tradition chrétienne avaient coutume, jusqu’au regain récent de religiosité, de manger la viande qui se trouve sur le marché, exceptée celle de porc, considérant que le Coran ne l’interdit pas (« La nourriture de ceux qui ont reçu l’Écriture est licite pour vous », Coran V, 5), et que, d’autre part, les règles d’abattage instituant l’évanouissement de l’animal avant de le tuer ne datent que de 1965, et n’avaient point soulevé à l’époque de réactions de la part des chefs religieux musulmans.
Les arguments avancés par les uns et les autres n’aident guère à comprendre le problème. La consommation de viande halal est devenue un signe d’appartenance communautaire. Elle est semblable en cela à la circoncision, qui n’a pas non plus de base coranique et n’occupe dans la littérature jurisprudentielle qu’une partie infime et très marginale, mais qui, dans la conscience islamique commune, est centrale. Comme on ne conçoit pas qu’un musulman ne soit pas circoncis, on ne conçoit plus qu’un musulman consomme de la viande d’un animal qui ne soit pas égorgé rituellement, selon la doctrine islamique.
Les explications par la nécessité de respecter les préceptes religieux, d’un côté, et par des considérations d’hygiène et de non-cruauté envers les animaux, de l’autre, ne sont en définitive que prétextes à occulter des enjeux d’un autre ordre, relatifs à la visibilité culturelle de la communauté musulmane et à la place des musulmans dans la vie politique et économique, d’où ils sont généralement exclus tant qu’ils ne se conforment pas aux normes sociales communes. Sans tenir compte des causes profondes de cette exclusion dans le contexte de la crise économique structurelle que traverse l’Europe, il est illusoire de prétendre résoudre la question du repli identitaire, dont l’attachement à la nourriture halal n’est qu’une des manifestations publiques, à l’instar du foulard, par des solutions faisant appel aux débats théologico-religieux stériles qui n’aboutissent qu’à renforcer ce repli.
* Islamologue tunisien, auteur, entre autres, de l’Islam entre le message et l’Histoire (Albin Michel, 2004).
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