En Algérie, le patron de l’UGTA a-t-il été contraint à la démission ?
Annoncée à la veille de l’examen par le Parlement de deux projets de loi encadrant plus strictement l’exercice du droit syndical, la démission du secrétaire général du principal syndicat du pays alimente toutes les spéculations.
C’est par un communiqué rendu public dimanche 5 mars que le secrétaire général de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), Salim Labatcha, a annoncé sa mise en retrait. Évoquant des problèmes de santé qui ne lui permettent plus d’exercer ses fonctions, le patron de l’organisation syndicale, considérée comme très proche du pouvoir algérien, précise aussi que l’intérim sera assuré par Hamou Touahria, qui occupait jusque-là le poste de secrétaire général de la Fédération nationale des hydrocarbures.
L’explication avancée, pourtant, ne convainc pas Boualem Amoura, président du Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation (Satef). « C’est devenu une tradition, ironise-t-il. Dès qu’on veut pousser un responsable vers la sortie, on évoque un problème de santé. » La question est posée : Salim Labatcha a-t-il été contraint à la démission ?
Cette hypothèse est renforcée par un contexte de vives tensions entre les différents syndicats et le gouvernement, qui veut réorganiser et restreindre le champ d’action des organisations représentatives des salariés à travers deux projets de loi relatifs à l’exercice du droit syndical, au droit de grève, ainsi qu’à la résolution des conflits sociaux au sein des entreprises et des administrations de la fonction publique.
Limitation du recours à la grève
Le premier de ces textes, qui sera soumis au vote ce mardi 7 mars de l’Assemblée nationale, exige l’adhésion d’au moins 30 % des travailleurs du secteur à une organisation syndicale pour que celle-ci soit reconnue comme représentative. Il prévoit aussi de limiter le nombre de mandats syndicaux à deux par personne et interdit de mener une carrière politique parallèlement à une activité syndicale.
Le deuxième projet de loi limite drastiquement les possibilités de recours à la grève et élargit la liste des secteurs sensibles, où le débrayage ne sera plus permis, aux hôpitaux. Pour beaucoup, ces deux textes font craindre une dérive vers une forme de criminalisation de l’exercice syndical et l’UGTA, seule structure syndicale jugée représentative par les autorités algériennes, avait surpris, au mois de janvier, en manifestant par un communiqué signé de Salim Labatcha, son hostilité à ces projets de loi qui ne sont, selon elle, pas « conformes aux droits civiques contenus dans la Constitution et aux conventions internationales signées par l’Algérie ».
Pas l’étoffe d’un frondeur
Le secrétariat national de la centrale syndicale avait enchaîné en chargeant ses structures d’organiser des rencontres régionales visant à définir les modalités d’une riposte contre ces projets, après que les unions de wilayas ont réclamé leur retrait et l’organisation d’un débat préalable incluant toutes les parties concernées par cette réforme.
En sus de leurs réserves de fond, les opposants à ces textes dénonçaient en effet aussi l’absence de concertation lors de leur élaboration, les deux projets ayant atterri sur le bureau de la commission santé et travail de l’Assemblée nationale sans que les syndicats aient jamais été consultés.
Ces événements récents ont-ils poussé le patron de l’UGTA au départ ? En poste depuis juin 2019, quand il avait succédé à Abdelmadjid Sidi Saïd, fortement contesté par la base, dans un contexte de bouillonnement de la rue contre les hauts responsables symboles du régime d’Abdelaziz Bouteflika,
Salim Labatcha, informaticien de formation aujourd’hui âgé de 55 ans, n’a pas, tout comme de son prédécesseur, l’étoffe d’un frondeur. Il était précédemment, et depuis 2011, secrétaire général de la Fédération nationale des travailleurs de l’agroalimentaire. Il a été également député, élu sur la liste du Parti des travailleurs (PT). Une formation politique qu’il a désertée pour rejoindre l’UGTA, sans jamais jusqu’alors éloigner l’organisation syndicale de sa ligne conciliante avec la politique sociale de l’exécutif et de son rôle de frein à l’action des syndicats autonomes plus représentatifs .
« S’il est sorti du bois pour s’élever contre les deux projets de loi, c’est parce qu’il a été contraint de le faire par la base militante qui le pressait de bouger pour défendre les acquis du mouvement syndical », confie à Jeune Afrique un membre du secrétariat national. Labatcha, poursuit notre source, comptait sur l’appui du chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune, pour obtenir leur retrait.
Saisie du Bureau international du travail
Mais cet espoir a pris fin lorsque, le 2 février dernier, le président a déclaré publiquement que les deux projets de loi auraient le mérite de remettre de l’ordre dans l’exercice de l’activité syndicale en Algérie, marquée par une trop grande profusion d’organisations. Un argument repris par le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, Youcef Chorfa, devant le Parlement. « Le paysage syndical est composé de 160 organisations agréées, dont 43 sont inactives », a-t-il soutenu.
Contactée par la Confédération des syndicats algériens (CSA), qui regroupe 13 syndicats autonomes de la fonction publique, pour organiser des actions conjointes contre les projets de loi, l’UGTA s’est alors abstenue et n’a pas participé à la journée de protestation du 28 février.
Malgré l’absence de la plus importante centrale syndicale du pays, la confédération ne désarme pas. Elle prévoyait pour ce 7 mars, jour du vote des textes à l’Assemblée, un grand meeting à Alger, mais celui-ci n’a pas été autorisé par les pouvoirs publics. La CSA prévoit maintenant de saisir le Bureau international du travail (BIT). « Tans pis si ça se fait sans l’apport de l’UGTA, qui observe d’ailleurs un silence radio sur la dégradation du pouvoir d’achat depuis au moins trois ans« , conclut le syndicaliste Boualem Amoura.
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