La Banque mondiale a-t-elle lâché la Tunisie ?

Se disant préoccupé par les « violences racistes » qui secouent le pays, le patron de la Banque mondiale a annoncé, lundi 6 mars au soir, la suspension de la collaboration avec Tunis. Une mauvaise nouvelle de plus pour l’État, qui peine déjà à boucler son budget 2023.

Manifestation de soutien aux migrants et contre le racisme, à Tunis, le 25 février 2023. © Nicolas Fauque

  • Frida Dahmani

    Frida Dahmani est correspondante en Tunisie de Jeune Afrique.

Publié le 7 mars 2023 Lecture : 4 minutes.

Profond émoi en Tunisie après la diffusion, dans la soirée du lundi 6 mars, d’une note interne adressée par le président de la Banque mondiale (BM) à ses collègues de la région Mena (Moyen-Orient et Afrique du Nord) par mail. L’Américain David Malpass y fait part des « préoccupations » de la BM concernant la situation en Tunisie à la suite de la prise de position des autorités au sujet des migrants subsahariens en situation irrégulière et la discrimination raciale qu’elle a révélée.

Dans cette note, le président Malpass déclare « mettre en pause le cadre de partenariat pays » et annonce le report sine die d’une discussion prévue le 21 mars avec le conseil d’administration de la banque sur le nouvel engagement stratégique avec le pays.

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« La Banque mondiale nous lâche » : telle a été la première réaction d’une opinion publique qui n’avait pas imaginé une telle réaction de la part de l’institution financière, partie prenante du développement et des réformes en Tunisie. Et c’est bien la première fois depuis plus de soixante ans de collaboration que la BM oppose à la Tunisie un argument éthique.

Frustration et agacement

La note interne, qui a été routée, on ne sait comment, par Reuters, rappelle en effet que « la sécurité et l’inclusion des migrants ainsi que des minorités font partie des valeurs fondamentales portées par notre institution, à savoir l’inclusion, le respect et l’antiracisme sous toutes ses formes ».

La frustration et l’agacement n’ont cessé de monter en cours de soirée, tandis que les esprits s’échauffaient à Tunis et sur les réseaux sociaux. « Au diable la BM ! lançait ainsi un internaute. Cela fait soixante ans qu’ils sont là et ça n’a fait qu’empirer ! »

D’autres prétendent qu’il n’y a pas de cadre de partenariat en cours actuellement, et chacun d’y aller de son information supposée confidentielle. Le communiqué de la BM, tombé vers 21h20, n’a pas calmé l’agitation ambiante, ni atténué les interprétations sauvages effectuées par des économistes autoproclamés.

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Le dialogue est maintenu

Pourtant, le texte se veut clair, conciliant, et prend en compte les mesures d’intégration des migrants réguliers annoncées hier par le pouvoir. Il n’empêche, la tension persiste. « Si cette décision se confirme, la Tunisie est bel et bien isolée », commente Nesrine, une consultante en ingénierie financière, qui éprouve de la révolte face à ce qu’elle considère comme une punition pour avoir pris une décision relevant de la souveraineté nationale et, en même temps, qui regrette que le pays en soit arrivé là. « Nous ne sommes pas des monstres. Mais qu’est-ce qu’on va devenir ? s’inquiète-t-elle »

Un désarroi presque général, même si certains, notamment du côté des soutiens à Kaïs Saïed, estiment que la Tunisie n’a besoin de personne et parlent d’une « tempête dans un verre d’eau ». Les autorités, quant à elles, ne se sont toujours pas exprimées.

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Pourtant, le communiqué officiel de la BM, après un rappel de la situation actuelle en Tunisie, estime que « le travail du Groupe de la Banque mondiale en Tunisie est consacré à améliorer les conditions de vie de tous les citoyens, résidents ou immigrants. Nous restons pleinement engagés dans nos opérations en Tunisie, œuvrant pour ses habitants dans le respect de nos valeurs. Par ailleurs, les discussions sur le Cadre de partenariat pays de la Banque mondiale avec la Tunisie, définissant les orientations stratégiques des engagements opérationnels à moyen terme (2023-2027), ont été temporairement suspendues par la direction. Le dialogue et l’engagement avec les autorités tunisiennes sont maintenus. » Un texte qui nuance celui de la note initialement dévoilée et qui devrait rassurer et apaiser l’atmosphère tendue qui a prévalu tard dans la nuit.

Le prêt du FMI compromis

Pour l’économiste Ezzeddine Saïdane, toutefois, la décision de la BM met la Tunisie en mauvaise posture dans ses discussions pour finaliser un prêt du Fonds monétaire international (FMI), et vient ajouter à l’inquiétude née du retard pris pour boucler le budget 2023 et répondre au service de la dette.

D’autres se veulent encore rassurants. « Le dialogue n’est pas rompu, la coopération est suspendue et, clairement, nous devons émettre les bons signaux pour ne pas être marginalisés sur la scène internationale », estime ainsi un ancien fonctionnaire du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).

L’impression qui prévaut après cet énième développement, c’est que nul n’avait estimé les dégâts et les conséquences des propos tenus par Kaïs Saïed. Plus les jours passent, plus les Tunisiens réalisent que cette affaire affecte, comme jamais, un pays déjà exsangue et en proie à une crise socio-économique aiguë. « Ne nous leurrons pas : nous avons détruit ce qui a été construit sur des décennies. Faute d’aide, nous risquons la faillite », conclut, pessimiste, un ancien député.

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