Deux ex-ministres de Bouteflika inculpés pour « dilapidation de la manne publicitaire »
En Algérie, trois anciens responsables liés au ministère de la Communication et à l’agence chargée d’attribuer les publicités de l’État font l’objet de poursuites. Ils sont soupçonnés d’avoir utilisé leur important budget pour favoriser des médias proches du pouvoir à la fin de l’ère Bouteflika.
L’ANEP (Agence nationale de l’édition et de la publicité), le puissant organisme étatique qui gère les budgets publicitaire des administrations et des entreprises publiques, intéresse décidément la justice algérienne.
Après une première vague d’inculpations fin novembre 2022, de nouveaux noms viennent d’apparaître, toujours liés à des dossiers de corruption présumée, de malversations et de dilapidation de deniers publics. Le parquet d’Alger a annoncé lundi 6 mars l’ouverture d’une enquête auprès des services de police judiciaire de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) sur la gestion de l’ANEP durant la période 2014-2019.
Selon le communiqué du parquet, le nouvelle enquête est liée à l’« octroi d’espaces publicitaires à des journaux minuscules et d’autres fictifs, n’existant pas sur la scène médiatique, sans atteindre l’objectif de la publicité, outre le népotisme qui sévissait à travers le choix de titres donnés, avec la complicité de responsables à l’ANEP ». Le préjudice causé au Trésor public se chiffrerait à « plusieurs milliards de centimes de dinars », selon la même source, qui ne donne pas de précisions sur les journaux ayant bénéficié de cette manne publicitaire ni de détails sur les montants en question.
Trois anciens responsables sont au cœur de ces investigations. Il s’agit de Hamid Grine, ministre de la Communication entre mai 2014 et mai 2017 sous le gouvernement de Abdelmalek Sellal (lequel purge plusieurs peines de prison pour des faits de corruption et d’abus de fonctions). Placé sous contrôle judiciaire, cet ancien journaliste et écrivain s’était montré, au cours de son passage dans l’exécutif, un ardent défenseur du régime du président déchu Abdelaziz Bouteflika.
L’ombre de Ali Haddad et de Saïd Bouteflika
Le deuxième responsable à être poursuivi dans cette affaire, et incarcéré à la prison d’El Harrach, est Djamel Kahouane, PDG de l’ANEP de mai 2015 à mai 2017 avant d’être nommé ministre de la Communication jusqu’au mois d’avril 2019.
Ancien rédacteur en chef du journal gouvernemental El Moudjahid, Djamel Kahouane a dirigé de 2008 à 2015 deux quotidiens appartenant au groupe ETRHB d’Ali Haddad, condamné dans plusieurs affaires de corruption. À l’époque de sa toute-puissance, c’est Haddad qui avait placé Kahouane à la tête de l’ANEP, puis avait soufflé son nom pour prendre le poste de ministre de la Communication. Personnage effacé et docile, Djamel Kahouane tenait ses instructions directement de Ali Haddad et de Saïd Bouteflika, ex-conseiller à la présidence également en prison.
Le troisième responsable inculpé est Amine Echikr, qui a dirigé l’ANEP entre mai 2017 et avril 2019, avant d’être débarqué à la faveur de la chute du régime de Bouteflika. Ancien journaliste, Echikr a été le directeur de la communication du Premier ministre Abdelmalek Sellal entre 2014 et 2017.
Dans les trois cas, tout laisse à penser que la désignation des inculpés à la tête de la régie publicitaire, voire du ministère, visait à contrôler la distribution de la manne publicitaire aux journaux proches du pouvoir et à en priver les publications hostiles à l’ancien clan présidentiel. Durant les deux dernières décennies, l’ANEP était devenue une véritable poule aux œufs d’or pour certains patrons de presse, agences de communication, responsables civils et militaires, ainsi que pour certains élus et hommes d’affaires.
Pour la période 2016-2020, l’ANEP a distribué pour 40 milliards de dinars (environ 1,1 milliard d’euros) de publicité à des journaux dont la ligne éditoriale était favorable à l’ancien régime. Éphémère PDG de l’agence entre avril et septembre 2019, Larbi Ounoughi l’avait lui-même qualifiée publiquement de « nid de corruption », de « vache à traire » ou de repaire de la « Issaba », le vocable utilisé pour qualifier l’ancien clan présidentiel, assimilé à une bande mafieuse.
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