Tunisie : les hommes de Marzouki

Militants politiques ou membres de la société civile, ils forment le cercle rapproché du président tunisien Moncef Marzouki. Portraits.

Cheville ouvrière du palais, Imed Daïmi a rencontré le futur chef de l’Etat en 2001. © ONS ABID Pour J.A.

Cheville ouvrière du palais, Imed Daïmi a rencontré le futur chef de l’Etat en 2001. © ONS ABID Pour J.A.

Publié le 20 mars 2012 Lecture : 5 minutes.

Composé de vingt-cinq femmes et hommes plutôt jeunes, bardés de diplômes, acquis aux nouveaux outils de communication et aux idéaux de la révolution, le staff présidentiel du nouveau Carthage s’est mis en place par touches successives. Comme on s’en doute, la majorité des conseillers est issue du parti du chef de l’État, le Congrès pour la République (CPR, deuxième force politique du pays). Mais Moncef Marzouki a également puisé dans d’autres sensibilités pour étoffer son équipe, qu’il réunit une fois par semaine.

Si les vingt-cinq membres du staff rencontrent « régulièrement » le président, tous ne sont pas sur un pied d’égalité. Trois ont rang de ministre : Imed Daïmi, directeur de cabinet ; Aziz Krichen, conseiller politique ; et Abdallah Kahlaoui, chef de la cellule diplomatique. Deux disposent du statut de secrétaire d’État : Adnane Mansar, porte-parole, et Sami Ben Amara, premier conseiller du chef de l’État. Une sixième personne complète ce qui constitue une sorte de premier cercle. Il s’agit d’Ikbal Msadaa, députée CPR à la Constituante, chargée du dossier des martyrs et victimes de la révolution au sein de la présidence.

la suite après cette publicité

Imed Daïmi (voir photo ci-dessus)

41 ans, directeur de cabinet

Natif de Mednine, dans le Sud, le directeur de cabinet de Moncef Marzouki, qui fait également office de secrétaire général (le poste ne figurant plus dans l’organigramme), est passé par la case prison. Nous sommes en 1991. Responsable régional au sein de l’Union générale tunisienne des étudiants (UGTE, d’obédience islamiste, à ne pas confondre avec l’Union générale des étudiants de Tunisie, Uget, proche de la gauche), il est arrêté par la police de Ben Ali en juin et passe cinq mois en détention. Profitant d’un heureux concours de circonstances, il parvient à s’évader en novembre, avant de quitter le pays pour un long exil qui durera près de vingt ans. Un exil qui lui permet d’achever ses études et de poursuivre dans le même temps des activités politiques. Il crée une association de soutien aux migrants tunisiens, travaille au corps la diaspora, multipliant les conférences et débats au sein de la communauté tunisienne de France, et milite pour les droits de l’homme dans son pays.

En 2001, un compagnon de lutte, Chokri Hamrouni, le met en contact avec Moncef Marzouki. Imed est séduit par le discours et par l’homme. Ensemble, ils rédigent les textes fondateurs du futur CPR. Quelques mois plus tard, Marzouki arrive en France. Imed ne le quittera plus. Appréciant son sens de l’organisation, ses talents de meneur d’équipe et ses capacités de travail, le président en fait son premier collaborateur quand il arrive à Carthage.

la suite après cette publicité

Aziz Krichen

63 ans, conseiller politique.

la suite après cette publicité

Doyen de l’équipe, cet ancien collaborateur de J.A. (1995-1997) est sans doute le seul ministre conseiller au monde à traîner pareil casier judiciaire : le cumul de ses peines de prison dépasse le demi-siècle. Ancien de Perspectives, un mouvement de gauche qui s’est opposé à Bourguiba à la fin des années 1960, Aziz Krichen, sociologue et essayiste, est arrêté une première fois en 1968. Il passe deux ans au bagne de Borj er-Roumi, « le Tazmamart de Bourguiba ».

Après un premier exil, il revient en Tunisie, devient consultant international et dirige une publication, Le Mensuel. Son engagement politique le conduit à croiser la route de Moncef Marzouki. « Nous faisions partie du même camp et nous nous retrouvions dans des combats ponctuels », rappelle-t-il. Même s’il a longtemps combattu Bourguiba, Aziz Krichen n’a pas sauté de joie le 7 novembre 1987. Harcelé par le pouvoir, il est de nouveau contraint à l’exil et poursuit sa lutte contre le régime à travers sa plume. Au lendemain de la révolution, il retourne en Tunisie. Marzouki l’invite à assister au congrès constitutif du CPR. Son long passé militant ainsi que son âge lui valent le surnom de « grand frère » au sein du staff présidentiel.

Adnane Mansar

47 ans, porte-parole de la présidence.

Agrégé d’histoire à 26 ans, maître de conférences à 40, professeur émérite cinq ans plus tard, ce natif de Sousse est un cas atypique dans le milieu des enseignants-chercheurs. Spécialiste de l’histoire du mouvement national, il élargit le champ de ses activités scientifiques aux institutions sous le protectorat et à l’histoire contemporaine de la Tunisie. Auteur de nombreux essais, il publie à partir de 2005 des articles dans des journaux d’opposition : El-Maoukef, organe du Parti démocrate progressiste (PDP), Mouwatinoune, celui d’Ettakatol, ou encore Tariq el-Jadid, celui d’Ettajdid (ex-Parti communiste). Sa notoriété dépasse le monde universitaire pour toucher l’élite et l’opinion quand il commence à écrire dans la presse arabophone basée à Londres, comme Asharq al-Awsat et Al-Qods al-Arabi.

Après la révolution, il est nommé au sein de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, qu’il quitte avec fracas en août 2011 pour dénoncer la répression des manifestants au cours des événements connus sous le nom de Kasbah 3. Réputé proche des islamistes (il a dirigé une liste se réclamant d’Abdelfattah Mourou, cofondateur et dissident d’Ennahdha), sa plume est appréciée par Moncef Marzouki, qui le nomme, le 22 février 2012, porte-parole de la présidence.

Maha Ben Gadha

33 ans, conseillère chargée de l’organisation des activités présidentielles.

Benjamine du staff présidentiel, Maha Ben Gadha se distingue également par un casier judiciaire immaculé. « Je n’ai pas la moindre garde à vue à mon actif sous Ben Ali », plaisante-t-elle, en comparant son parcours à ceux de ses collègues, parsemés de longs séjours carcéraux et de tortures. Native de Sousse, elle décroche en 2001 une maîtrise en économie de gestion et se rend en France, où elle obtient un DEA en finance internationale. Militante au sein de la diaspora, elle croise au milieu des années 2000 à Paris Imed Daïmi puis Moncef Marzouki. Après la révolution, elle abandonne son poste d’assistante de recherche à Rome, retourne en Tunisie et s’engage dans le CPR, dont elle assure l’opération structuration dans les régions de l’intérieur.

Wissam Tlili

34 ans, conseiller chargé des affaires culturelles et de l’image du président.

Né en 1978 à Djerba, cet informaticien surdoué a plusieurs cordes à son arc : réalisateur et auteur de plusieurs courts métrages, pionnier de la cyberdissidence tunisienne, blogueur disert créateur du pays imaginaire Normaland et du personnage Boudourou, Wissam Tlili est doctorant en anthropologie politique en France quand survient la révolution. Il rentre au pays, devient cyber-reporter puis adhère au CPR, dont il conçoit le site internet et les clips vidéo de campagne. Le 1er janvier 2012, il abandonne ses études pour rejoindre le staff de Marzouki, où il est chargé des affaires culturelles et de l’image du président. 

________

Par Cherif Ouazani, envoyé spécial à Tunis

Reportage photo : © ONS Abid

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires