Cameroun : Marafa Hamidou Yaya, un dauphin en eaux troubles

Plusieurs fois déjà, la presse a annoncé son arrestation imminente. Autrefois tout-puissant, Marafa Hamidou Yaya se sait sur la sellette depuis qu’il a été écarté du gouvernement, en décembre. Portrait d’un homme dont les ambitions risquent de précipiter la chute.

Marafa Hamidou Yaya a commis l’imprudence de s’aliéner les « durs » du régime de Paul Biya. © journal.rdpcpdm.cm

Marafa Hamidou Yaya a commis l’imprudence de s’aliéner les « durs » du régime de Paul Biya. © journal.rdpcpdm.cm

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 20 mars 2012 Lecture : 7 minutes.

D’ordinaire posée, la voix de Marafa Hamidou Yaya trahit, ce jour-là, une pointe d’agacement. Nous sommes le 2 mars, et l’ancien tout-puissant secrétaire général de la présidence devenu ministre d’État chargé de l’Administration territoriale (jusqu’en décembre dernier) peine à garder ce flegme si cher aux Peuls du nord du Cameroun, si caractéristique de leur pulaaku (état d’esprit).

Le 31 janvier, Hubert Otélé Essomba, directeur général adjoint de la société Aircraft Portfolio Management, l’a publiquement accusé, devant un tribunal de Yaoundé, d’avoir détourné 27 millions de dollars (20,5 millions d’euros) avec la complicité d’Yves-Michel Fotso, l’ancien patron de Cameroon Airlines, incarcéré depuis décembre 2010. Marafa, à en croire Otélé Essomba, serait mouillé jusqu’au cou dans l’affaire dite de l’Albatros, liée à l’achat non abouti d’un Boeing présidentiel, en 2001 (lire encadré à la fin de l’article). L’accusation est grave, et Marafa n’entend pas laisser dire n’importe quoi.

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Lui qui s’était jusqu’à présent bien gardé de commenter les péripéties judiciaires de cette affaire affirme aujourd’hui qu’il ne connaît pas Otélé Essomba. « Je ne l’ai jamais rencontré », dit-il, avant d’ajouter qu’il se « réserve le droit de porter plainte pour diffamation quand les juges se seront prononcés dans cette affaire ». L’étau se resserre, et Marafa le taiseux s’efface au profit de Hamidou le combattant.

Marafa Hamidou Yaya

1952 Naissance dans une grande famille peule de Garoua

1984 Soupçonné d’avoir comploté contre Paul Biya, il est arrêté et incarcéré pendant deux mois

1992 Nommé secrétaire d’État aux Finances

2002 Ministre d’Etat chargé de l’Administration

Décembre 2011 Limogé du gouvernement

Depuis qu’il a été écarté du gouvernement, le 9 décembre, celui qui fut le numéro deux du pays vit retiré dans sa luxueuse villa du quartier Mélen, à Yaoundé. À 59 ans, dont dix-neuf passés à servir le président Paul Biya, il n’a jamais aimé les dîners en ville. Aujourd’hui, c’est chez lui qu’il reçoit ses amis ; sa femme, Jeannette, une chrétienne duala du Littoral, s’en est accommodée.

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Une bataille inévitable

Ces dernières semaines, la presse camerounaise a annoncé à plusieurs reprises « l’arrestation imminente » de ce natif de Garoua (Nord), descendant d’une grande famille de l’aristocratie peule, mais aucun juge d’instruction n’a encore frappé à sa porte. L’ancien patron de la préfectorale prépare toutefois l’inévitable bataille judiciaire qui se profile, avec la conscience de jouer son va-tout.

Aucun juge n’a pour l’instant frappé à sa porte, mais Marafa Hamidou Yaya est soupçonné de corruption.

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Il n’a d’ailleurs pas attendu de quitter le gouvernement pour s’expliquer devant la justice. Excédé par les rumeurs, l’ex-ministre d’État a, dès 2008, écrit au président pour lui demander l’autorisation d’être entendu comme témoin par la justice. Le 16 juillet de la même année, il a reçu des enquêteurs de la police judiciaire pendant près de trois heures, mais rien n’a filtré de cette audition. À l’époque, il préférait laisser dire, refusant obstinément de répondre aux attaques de ses ennemis que relayait la presse.

En février 2009, un pas supplémentaire a été franchi quand, à la demande d’un juge d’instruction, le patron de la police, Emmanuel Edou, lui a confisqué son passeport. Cela était allé trop loin. Paul Biya s’est alors interposé et a ordonné la restitution du document, mais Marafa a senti le vent du boulet. En février 2010, selon un câble diplomatique publié par le site WikiLeaks, il a fait part de ses inquiétudes à Janet Garvey, ambassadrice des États-Unis à Yaoundé : « Je peux me retrouver en prison ! »

Depuis le début de cette année, la pression s’est encore accentuée. Le 24 février, parce qu’il les soupçonnait de l’épier, Marafa a congédié les seize policiers affectés à sa garde. Il se méfie. Il sait que depuis le déclenchement de l’opération Épervier de lutte contre la corruption, en 2006, le licenciement d’un poids lourd du gouvernement a souvent précédé une arrestation médiatique et une incarcération sans possibilité de liberté provisoire.

Or, de tous les « jeunes » soupçonnés de lorgner la succession de Paul Biya (79 ans), cet ingénieur en pétrochimie formé à l’université du Kansas (États-Unis) est l’un des plus intelligents et des plus ambitieux. Ne s’en est-il pas ouvert à des diplomates américains dès 2007, toujours selon WikiLeaks ? « Marafa est le seul Camerounais à avoir admis, fût-ce en privé, qu’il avait des ambitions présidentielles », écrivait l’ambassadeur de l’époque, Niels Marquardt.

Erreur tactique

Sans conséquence ailleurs, ces confidences passent pour une erreur tactique majeure au Cameroun. Au palais d’Etoudi, un seul scénario est envisagé. Comme Ahmadou Ahidjo avait choisi Biya en 1982, ce dernier choisira, le moment venu, son successeur. Tant que ladite succession n’est pas ouverte, toute déclaration de candidature est considérée comme une provocation par les caciques de l’ethnie beti-bulu, ce groupe du centre et du sud du Cameroun dont est issu Biya. Imprudent, Marafa s’est aliéné cette coterie régionaliste alors même qu’il est toujours membre du bureau politique du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir).

Les « durs » du régime n’aiment pas ce musulman du Nord, qui fut arrêté et incarcéré pendant deux mois après la tentative de coup d’État du 6 avril 1984, pour la seule raison qu’il était peul, comme l’ancien président Ahidjo, instigateur présumé du complot. Ils craignent que Marafa ne cherche à se venger s’il parvient au pouvoir. N’a-t-il pas essayé d’obtenir le rapatriement des restes d’Ahidjo, enterré dans un cimetière de Dakar ?

Voici Marafa devenu la cible d’un système enferré dans son réflexe défensif. On scrute ses faits et gestes, on évalue sa popularité, on tente d’identifier la portée de ses réseaux et la force de ses appuis à l’étranger… Des dizaines de notes de renseignement rédigées par des fonctionnaires plus ou moins consciencieux atterrissent quasi quotidiennement sur le bureau du président.

Amitiés

On y ausculte ses liens passés avec son ancien mentor, Haman Adama, ex-ministre de l’Éducation de base, emprisonnée depuis janvier 2010. On le soupçonne de vouloir bâtir une alliance électorale avec les Bamilékés, et on étudie de près ses amitiés avec Claude Juimo Monthé, président du conseil d’administration de la Société camerounaise de palmeraies (Socapalm), et avec Yves-Michel Fotso. Que trame-t-il avec les députés RDPC de la Bénoué (Nord) que sont Aliyoum Fadil et Ahmadou Adjoudji ? Et que prépare-t-il avec Mohaman Toukour, maire UNDP (opposition) de la commune de Ngaoundéré II ?

Chaque jour ou presque, des fonctionnaires zélés informent le président Paul Biya du moindre de ses faits et gestes.

Cette abondante littérature tient aussi Biya au courant de la vieille rivalité qui oppose Marafa à la famille Hayatou, l’informe des tacles et des coups bas échangés avec ses rivaux Bello Bouba Maïgari et Issa Tchiroma Bakary, deux opposants entrés au gouvernement qui lui disputent le leadership politique dans le Nord. Biya sait tout, enfin, des conflits qui couvent avec les autres barons régionaux que sont le vice-Premier ministre, Amadou Ali, et Mohamed Iya, à la tête de la Société de développement du Coton (Sodecoton).

Surtout, avec Marafa, c’est « l’homme des Français » que les proches du palais ont à l’oeil. L’intéressé a de bonnes relations avec l’homme d’affaires Vincent Bolloré, concessionnaire du terminal à conteneurs du Port autonome de Douala, actionnaire de Camrail, la compagnie de transport ferroviaire locale, et propriétaire d’agro-industries dans le sud du pays… Personne n’ignore non plus qu’il a été le favori de tous les ambassadeurs de France (et des États-Unis) qui se sont succédé à Yaoundé, ainsi que de la plupart des ministres de l’Intérieur nommés à Paris, de Charles Pasqua à Claude Guéant en passant par Nicolas Sarkozy lui-même. Tout cela alimente les soupçons sur d’éventuels projets de conquête du pouvoir par le biais des réseaux de la droite française, remontant de la tour Bolloré, à Puteaux (région parisienne), jusqu’à l’Élysée.

Autre élément probant aux yeux de ses détracteurs : pourquoi la France a-t-elle refusé de donner suite aux commissions rogatoires que lui a adressées la justice camerounaise pour enquêter sur les biens immobiliers que Marafa détiendrait sur son territoire ? Doutant de l’impartialité des juges, Paris a réduit sa coopération judiciaire avec Yaoundé, mais peu importe. Épervier, véritable machine à broyer, ne fait pas dans la nuance.

Marafa, lui, fait le dos rond. Le 9 février, il est allé tester sa popularité à l’occasion d’un voyage dans la région de Garoua. Manière, sans doute, de rappeler son « apport » dans la victoire de Biya à l’élection présidentielle d’octobre. Près de 42,7 % des suffrages exprimés en faveur du président sortant provenaient du Grand Nord, soit 1,6 million de voix sur les 3,8 millions recueillies par Paul Biya. Cela suffira-t-il à sauver sa tête ?

Les millions envolés de l’Albatros

C’est l’affaire qui menace de faire exploser la République. En 2001, quand Paul Biya a décidé d’acquérir un nouvel avion pour ses déplacements, c’est vers son secrétaire général, Marafa Hamidou Yaya, qu’il s’est tourné. Celui-ci a choisi l’américain Boeing, mais avec le risque que le Fonds monétaire international et la Banque mondiale s’opposent à cette dépense jugée inappropriée en pleine période d’ajustement structurel. Il fallait donc contourner le possible veto. En août 2001, Marafa a ordonné le versement de 31 millions de dollars à GIA International, une société basée aux États-Unis et « recrutée » pour négocier l’achat de l’appareil aux meilleures conditions. Mais en 2002, quand Jean-Marie Atangana Mebara a remplacé Marafa, l’avion n’avait toujours pas été livré. Deux ans plus tard, en mars, la faillite de GIA était prononcée. On sait aujourd’hui que la société n’a transféré que 4 millions de dollars à Boeing. Où sont passés les 27 millions restants ? Marafa a-t-il validé de bonne foi le contrat avec GIA ? Autant de questions qui attendent des réponses.                   G.D.

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