Pour une refondation de la démocratie sénégalaise

Mamadou Diouf est professeur d’histoire à l’université Columbia (New York).

Publié le 20 mars 2012 Lecture : 3 minutes.

Difficile de ne pas être saisi par le contraste entre la campagne électorale et le scrutin. La campagne fut rythmée par les déclarations belliqueuses du camp présidentiel et par les déclarations arrogantes d’un chef d’État qui s’adjugeait la victoire avant la bataille. Face à lui, le premier pôle de l’opposition sénégalaise, qui avait décidé d’aller à l’élection, s’est présenté en ordre dispersé. Après avoir entretenu l’illusion d’une candidature unique, cette désunion a eu un impact négatif sur les scores de Moustapha Niasse et d’Ousmane Tanor Dieng. En revanche, elle a favorisé le second pôle de l’opposition, qui réunissait les « héritiers » d’Abdoulaye Wade : Macky Sall, Idrissa Seck et Cheikh Tidiane Gadio. Mais le traitement auquel les électeurs les ont soumis n’est pas uniforme.

Le premier semble avoir été récompensé par la constance dans son opposition au Parti démocratique sénégalais (PDS) et à son leader après sa défenestration politique. Même s’il n’a pas toujours été facile d’identifier les contours de son programme, Macky Sall avait une certitude. Il était possible de battre Wade dans les urnes si on ne parvenait pas à invalider sa candidature. Il a maintenu le cap, refusant de suivre les nouvelles propositions de ceux qui exigeaient le report des élections.

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Idrissa Seck s’est pour sa part accroché à cette solution probablement parce qu’il avait compris que son étoile avait fortement pâli. On trouve aussi les leaders du troisième pôle, dominé par des individualités comme Ibrahima Fall et Cheikh Bamba Dièye. Même s’ils n’ont pas obtenu des résultats significatifs, ils ont mené avec courage et détermination le combat pour la non-participation du candidat du PDS à l’élection présidentielle. En faisant le choix de ne pas faire campagne, ils ont comme beaucoup d’observateurs (moi y compris) sous-estimé trois éléments : le désir d’élections ; la détermination des Sénégalais à voter sans violence ; la capacité des trois principaux partenaires économiques et politiques du Sénégal (France, États-Unis et Union européenne) à tenir la bride au régime libéral sénégalais et à déjouer les manoeuvres de dernière minute des faucons, Farba Senghor et Serigne Mbacké Ndiaye, prêts à proclamer une victoire de leur candidat au premier tour.

En cas de victoire, Macky Sall doit mettre fin aux liaisons dangereuses entre élites maraboutiques et politiques.

Les élections se sont passées dans le calme. En démentant les prédictions les plus pessimistes, la tenue d’une élection sans incident a départagé ceux qui ne pouvaient pas envisager un scrutin sans violence avec Wade et ceux qui misaient sur la maturité citoyenne du peuple sénégalais. Avec beaucoup d’assurance, il s’est progressivement libéré de la contrainte religieuse et des achats d’allégeance. De cette trajectoire, il en ressort une dissociation entre le politique et le religieux, et une « démonétisation » des marabouts mondains connus pour leurs alignements partisans qui ont fini d’écorner leur légitimité.

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Le premier enseignement du premier tour du 26 février est ainsi l’expression d’une capacité citoyenne à faire respecter la loi et à défaire le président sortant, quand bien même sa candidature a été validée par la Cour constitutionnelle. Le deuxième enseignement est la leçon infligée à Idrissa Seck, dont les volte-face ont fini par donner le tournis aux citoyens sénégalais. Le troisième enseignement est la manifestation des premiers signes d’épuisement du modèle islamo-wolof, et ce plus tôt que prévu. Je lui avais pourtant prédit une belle carrière pour les deux décennies à venir. Même s’il s’y réfère et y participe activement – ne dit-on pas qu’il est talibé mouride -, Macky Sall s’octroie des périphéries sérères et halpulaar (toucouleurs). Le vote ethnique, qui serait, selon certains, la raison principale de sa qualification pour le second tour, devrait plutôt être interprété comme l’esquisse d’une nouvelle alliance aux contours plus conformes au pluralisme ethnique et confrérique caractéristique de la société sénégalaise. Un pluralisme malmené par l’opportunisme de l’actuel président, qui a tenté, heureusement sans succès, de se présenter comme le candidat d’une confrérie, la Mouridiya.

En cas de victoire, l’ancien Premier ministre de Wade aura l’extraordinaire opportunité de mettre fin aux liaisons dangereuses entre les élites maraboutiques et politiques. C’est une opération essentielle à la refondation de la démocratie sénégalaise. Sera-t-il à la hauteur de cette mission historique ? C’est en tout cas une condition indispensable à la négociation d’un nouveau contrat social, après et sans Wade.

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