Petit manuel de survie à l’intention de nos chefs d’État, par François Soudan

Quelques conseils destinés aux présidents qui veulent consolider leur pouvoir ou que taraude la perspective de leur succession…

 © Vincent Fournier/JA

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Publié le 13 mars 2023 Lecture : 8 minutes.

Comment rester au pouvoir sans trop se fatiguer. Cela pourrait être le titre de l’un de ces livres américains de psychologie comportementale qui encombrent les rayons des trop rares librairies du continent, farcis de recettes bon marché sur comment réussir dans la vie, séduire ses clients, s’exprimer en public ou manipuler son entourage. Les conseils de ce type n’engageant que ceux qui les écoutent, nous n’aurons pas cette prétention. Prenons donc ce qui suit pour ce dont il s’agit : un petit manuel de survie destiné à nos chefs d’État, subjectif et évidemment non exhaustif, issu d’une modeste expérience d’observation quadragénaire de la comédie du pouvoir.

·         Multipliez les promesses, elles ne vous engagent pas

Ce conseil, que l’on pourrait juger entaché d’une bonne dose de cynisme, vaut pour tous les chefs, mais en particulier pour ceux d’entre eux que taraude la perspective de leur succession. D’Alassane Ouattara à Paul Biya, de Teodoro Obiang Nguema à Denis Sassou Nguesso, de Yoweri Museveni à Ismaïl Omar Guelleh, ils sont une bonne demi-douzaine dans ce cas, répartis en deux catégories. Ceux qui feignent d’être en quête d’un dauphin mais qui, en réalité, n’ont aucune intention de quitter le pouvoir de leur vivant et ceux qui, sincèrement, ont l’intention d’adouber l’oiseau rare et de lui passer le témoin. Aux premiers, ma préconisation est la suivante : n’hésitez pas à promettre à plusieurs postulants à la fois, individuellement bien sûr et sous le sceau du secret absolu, que vous les avez choisis comme dauphin.

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Rien de tel que l’espoir pour tenir les hommes. L’échéance est incertaine, éloignée dans le temps, alors qu’un refus clair de votre part déclenchera immédiatement l’hostilité de l’aspirant éconduit. « Tout le monde est ainsi, disait Cicéron, on aime mieux un mensonge qu’un refus. » Aux seconds, je ne saurais mieux dire que d’écouter le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh qui, interrogé par JA sur l’identité du successeur de son choix, répondait ceci : « N’attendez pas de moi que je vous donne un nom à l’avance. Dieu me garde de connaître les mêmes problèmes que mon ami Alassane Ouattara dont les deux dauphins successifs n’ont pas survécu. » Désigner, c’est exposer.

·         Sachez choisir vos ministres (et les contrôler)

Tout d’abord, repérez ceux dont la bonne réputation et l’estime qu’ils auront su gagner au sein de l’opinion sont susceptibles de vous servir. La valeur d’un ministre ne diminue en rien la grandeur de son chef, car avec un minimum d’habileté, le mérite de ses bonnes actions vous reviendra. Quant au choix du Premier ministre, soyez avisé. Beaucoup de chefs d’État africains (mais pas que) préfèrent avoir un chef de gouvernement transparent, haut commis béni oui-oui et sans réel pouvoir. C’est une erreur car, pour paraphraser Victor Hugo, ils sont comparables aux carreaux des vitres : « On voit le président à travers. » Et il vous est impossible de leur faire porter la responsabilité de vos échecs.

En revanche, il est compréhensible que vous cherchiez à éviter que vos collaborateurs ne vous fassent de l’ombre : le pouvoir ne se partage pas. Vous devez donc les contrôler. Non pas en les doublant par autant de conseillers à la présidence qu’il y a de ministres – détestable habitude de nombre de chefs, qui les expose à être manipulés à leur insu et empêche leurs ministres de donner le meilleur d’eux-mêmes –, mais en leur faisant comprendre que rien n’est plus facile que de les remplacer. Et en veillant jalousement sur ce qui relève de l’essence de votre pouvoir : les nominations, les récompenses et les limogeages.

·         Méfiez-vous des flatteurs…

Vous le savez, me dites-vous et vous n’en êtes pas dupes : il nait perpétuellement autour de vous de nouveaux griots, prompts à chanter vos louanges et à truffer le moindre discours de « Son excellence Monsieur le Président, Chef de l’État » suintant d’une courtisanerie d’autant plus vile qu’elle est réversible. Pas dupes, vraiment ? Le flatté, à la longue, est rarement lucide, et votre ego se gonfle à force d’entendre dire de lui plus de bien encore qu’il n’en pense. Vous finissez par vous persuader que les panégyriques dressés de votre personne correspondent à la réalité, qu’on vous aime pour vous-même et que vous ne devez rien à quiconque.

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Du coup, les quelques ministres et collaborateurs honnêtes, ceux qui n’hésitent pas à vous dire des vérités dérangeantes ou à vous prévenir que l’impopularité croît, tous ces talents que vous écoutiez au début de votre « règne » trouvent votre porte close, écartés de votre vue comme autant d’oiseaux nuisibles et de mauvaise augure. Manipulés par les paroles mielleuses des griots, vous perdez votre vigilance. Et bientôt, votre pouvoir. D’Alpha Condé à Robert Mugabe, d’Ibrahim Boubacar Keïta à Hosni Moubarak, de Bourguiba à Ben Ali, les victimes de ce syndrome du flatteur sont nombreuses sous les cieux africains.

… et de l’ingratitude

En politique, le chef est souvent ingrat et se détache de ceux qui l’ont aidé à parvenir au sommet. C’est parfois une nécessité, quand le chef de parti devenu chef de l’État cherche à se débarrasser d’attaches claniques ou communautaristes susceptibles d’entraver une gouvernance inclusive. C’est aussi un penchant très humain que d’être importuné par la vue de ceux qui vous ont servi et dont un seul regard suffit à vous rappeler ce que vous leur devez. Mais c’est surtout un gros défaut quand vous finissez par vous convaincre que le don de votre personne fait de vous un créancier et le peuple votre débiteur. Pénétré de votre mission et de votre importance, persuadé d’être indispensable, vous tombez de très haut quand on vous renverse, par la force ou par les urnes.

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Vous criez alors à l’ingratitude et vous n’avez pas forcément tort, surtout lorsque ceux à qui vous avez prodigué postes et honneurs se retournent contre vous du jour au lendemain. Mais n’en soyez pas étonné : rien n’est plus évanescent que la mémoire des bienfaits reçus. Le sentiment d’être redevable est de ceux dont on se débarrasse aisément, soit en dévalorisant le geste du bienfaiteur – « après tout, ce n’était pas son argent mais celui qu’il a volé » –, soit en le haïssant secrètement. Les griots, c’est bien connu, mangent dans la main de qui les paie. Avant de la mordre.

·         Tenez toujours compte de l’opinion

Démocrate ou pas, autocrate ou pas, il faut avoir l’opinion avec soi. L’écouter et en tenir compte n’est pas un signe de faiblesse mais une preuve de sagesse. Sachez gouverner sans l’irriter afin que ses colères ne se soldent pas par des révolutions, tout en évitant bien sûr de la séduire par des propos démagogiques et des doctrines toxiques. Pour avoir donné dans le racisme de bazar et offert aux pulsions xénophobes d’une partie de sa population l’onction d’un discours officiel, le président Kaïs Saïed a pris le risque de transformer l’opinion publique tunisienne en la plus mauvaise des opinions, suscitant une vague d’opprobre internationale dont il sera un jour ou l’autre comptable. Considérez toujours ce que vous dit le peuple donc, mais restez suffisamment fort pour être en capacité de trancher les têtes et les problèmes.

À ceux qui prétendent que l’union fait la force, répondez que c’est la force qui fait l’union. À Barack Obama et à Emmanuel Macron, qui ont tous deux lors d’un voyage sur le continent affirmé qu’il fallait préférer les institutions fortes aux hommes forts, rétorquez que la mise en place des premières ne peut être faite que par les seconds. Et n’écoutez pas ceux qui vous conseillent de placer votre exercice du pouvoir sous le signe de l’empathie, de la compassion, du soft power et de l’amour universel. L’opinion feindra de vous en être reconnaissante, mais vous vous apercevrez qu’elle méprise vite les politiciens qui en font un fonds de commerce.

·         Faites confiance, mais avec modération

C’est entendu : la défiance est un signe de faiblesse. Être rongé par le doute, se méfier de tous, craindre en permanence la trahison, avoir l’obsession des fuites sont autant de caractéristiques d’un pouvoir qui a perdu le soutien de l’opinion. S’ils sentent que vous n’avez pas confiance en eux ou s’ils découvrent que vous avez demandé à d’autres d’exécuter la même tâche que vous, vos collaborateurs sont prêts à vous trahir. Sans que vous vous en aperceviez, les petites humiliations que vous leur faites subir au quotidien nourrissent chez eux un désir de vengeance que vous découvrirez à votre grande surprise, le jour où ils porteront le coup pour vous abattre.

Faire confiance oui, mais à qui se fier ? me répondrez-vous. Et de citer les exemples, qui manifestement vous traumatisent, de ces dauphins ingrats qui de Luanda à Nouakchott, une fois installés au pouvoir, n’ont eu de cesse de s’en prendre à celui qui les avait fait roi, histoire de fonder leur légitimité sur une forme de parricide. Le fait d’avoir commis ensemble un acte hors la loi, comme un coup d’État, ne présente pas plus de garanties. La chute du colonel putschiste Damiba à Ouagadougou, ainsi que les tensions scissipares qui minent les juntes au pouvoir à Bamako et à Conakry démontrent que le pacte tacite qui lie les militaires pour leur participation à un « crime fondateur » ne tarde pas à être violé.

·         Tenez votre famille à l’écart

Reste la famille. Certains d’entre vous, c’est un secret de polichinelle, songent à adouber l’un de leurs enfants, même si, lucides, ils savent que ce dernier n’a pas forcément les qualités requises pour le job. C’est le seul moyen pensent-ils de se protéger, de protéger leurs proches et leur clan des velléités revanchardes de leur successeur, quel qu’il soit. À moins de se dire « après moi, le déluge », cette obsession vaut y compris pour ceux qui ont décidé de demeurer au pouvoir jusqu’à leur ultime souffle. Un conseil : méfiez-vous de cette tentation. D’abord parce que les exemples gabonais et togolais démontrent que même dans le cadre d’une succession dynastique, votre famille n’est nullement à l’abri des déchirements et des règlements de compte.

Les familles présidentielles ont pour caractéristiques d’être nombreuses, traversées de tensions et de clivages, issues de lits divers suscitant des lignées rivales, qui toutes ont leur candidat à votre succession. Seule votre présence parvient à maintenir un semblant d’unité. Après vous, c’est la foire d’empoigne, et il y aura forcément des gagnants et des perdants, sans compter que plus les années passent et moins votre peuple est disposé à accepter que ce soient toujours les mêmes patronymes qui siègent à la table du banquet. Seul, en fait, un exercice vertueux du pouvoir pourrait vous permettre de vous abstraire de la plupart de ces préoccupations et de vous offrir, à vous et aux vôtres, un minimum d’assurances. Il n’est jamais trop tard pour en prendre conscience.

Tout cela, me dira-t-on, n’a que peu de choses à voir avec la morale. À juste titre. Sauf qu’il s’agit de politique, et que morale et politique ont chacune leur logique. Comme deux lignes parallèles, elles ne se rencontrent jamais.

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