Patrick Besson : « L’Afrique est partout dans ma vie »

Sarcastique et iconoclaste, l’écrivain français publie un recueil de ses chroniques parues dans l’hebdomadaire dirigé par Franz-Olivier Giesbert. Littérature africaine, révoltes arabes… Ce fort en gueule fait « Le Point ».

Patrick Besson, auteur des Braban, prix Renaudot 1995. © AFP

Patrick Besson, auteur des Braban, prix Renaudot 1995. © AFP

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Publié le 13 mars 2012 Lecture : 7 minutes.

Il ne respecte rien ni personne. Il ne craint ni dieu ni diable. Aucune religion n’a grâce à ses yeux – pas même le communisme, dont il fut pourtant, autrefois, un thuriféraire patenté. Mais lorsqu’il égratigne l’islam ou se moque du christianisme, c’est plus par goût de la provocation que par méchanceté. Échantillons : « La victoire la plus comique du terrorisme islamique : nous obliger à enlever nos chaussures avant de monter dans un avion. Comme si nous pénétrions dans une mosquée. » Ou bien : « Aux noces de Cana, Jésus transforme l’eau en vin. S’il avait fait l’inverse, il y aurait eu des plaintes. »

Patrick Besson adore transgresser ainsi les tabous, prendre l’opinion à contre-pied et son lecteur par surprise. On l’a compris : rien ne l’agace plus que ce qui est convenu d’avance, aveuglément admis, enfermé dans les conventions. D’où le sous-titre qu’il a donné à son dernier ouvrage : Journal d’un Français sous l’empire de la pensée unique. Au Point regroupe les quelque 405 chroniques qu’il a publiées, semaine après semaine, dans Le Point au cours des années 2002 à 2010.

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S’il déteste la pensée unique, la sienne a une originalité qui la rend, par son style au moins, sinon unique, du moins reconnaissable entre toutes. Son humour, sa férocité, ses coq-à-l’âne, ses sautes d’humeur ont fait de son billet hebdomadaire un must, attendu chaque jeudi par bien des lecteurs. Redouté par la classe politique, craint du microcosme germanopratin, Patrick Besson excelle dans tous les genres : les inventaires à la Prévert, les jeux de mots improbables, les pastiches littéraires (ne pas manquer celui dans lequel il s’en prend à Christine Angot, la papesse de l’autofiction).

Même lorsqu’on les a déjà lues au moment de leur parution, on éprouve encore et encore du plaisir à les relire dans ce recueil. Les satires de Besson ne vieillissent pas : si les hommes changent, les travers humains demeurent. Il y a du moraliste chez ce gaillard immoral, qui se vante d’avoir pour seule devise « ni travail, ni famille, ni patrie » !

Jeune Afrique : Bien que les sujets abordés dans vos chroniques soient extraordinairement variés, on y trouve quelques thèmes récurrents : les femmes, l’amour, la littérature, bien sûr – mais aussi l’Afrique. D’où vous vient ce tropisme tropical ?

Patrcik Besson : L’Afrique, Dieu et moi, comme pourrait dire mon directeur, Franz-Olivier Giesbert. J’ai été élevé à Montreuil, au milieu de Maliens. J’ai fait mon service militaire dans les spahis. Ma première fiancée était née à Tizi-Ouzou : fille de sous-officier. Ma première femme était née à Niamey : fille de coopérant. Mon actuelle belle-soeur est née à Rabat : fille d’ambassadeur. L’Afrique est partout dans ma vie comme dans la vie de beaucoup de Français. En 1987, j’ai participé, avec une délégation du Parti communiste français, au premier congrès des écrivains africains contre l’apartheid, à Brazzaville. Je me suis senti chez moi au Congo et je comprends que les Africains se sentent chez eux en France. Leurs ancêtres sont les Gaulois, pourquoi les miens ne seraient-ils pas les Bantous ? En 2009, j’ai fait paraître ce gros roman sur le Congo et le Rwanda : Mais le fleuve tuera l’homme blanc. J’ai essayé d’y expliquer toute ma relation intime avec l’Afrique.

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Vous avez souvent dit que Sony Labou Tansi (1947-1995) était un de vos écrivains préférés. Vous avez soutenu la carrière littéraire d’Alain Mabanckou, fait obtenir le Renaudot à Tierno Monénembo, applaudi récemment le roman d’Henri Lopes…

Je suis extrêmement touché par la poésie secrète et acide de Scholastique Mukasonga

Sony, c’est le Rimbaud de l’Afrique francophone. Je ne comprends pas qu’il ne soit pas encore en Pléiade, où il y a cette idiote de Yourcenar, cet âne de Sainte-Beuve, cette nullité de Sarraute… et aucun écrivain d’Afrique du Nord ou d’Afrique noire ! Je place très haut Monénembo, Mabanckou et Lopes, bien qu’ils soient extrêmement différents. Monénembo, c’est l’épopée ; Mabanckou, la satire ; Lopes, l’élégie. Ce sont trois hommes d’une forte culture, d’un haut degré de civilisation. Comme dirait Guéant ! J’aime aussi beaucoup, dans un autre genre, la furia de Beyala. Et suis extrêmement touché par la poésie secrète et acide de la Rwandaise Scholastique Mukasonga. Pour l’instant, je ne suis pas encore tombé sur un mauvais écrivain francophone africain.

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Vous êtes parti au Congo pour écrire Mais le fleuve tuera l’homme blanc et en Thaïlande pour Come Baby, vos deux derniers romans. On dit que vous vous apprêtez à partir au Mexique : pour y chercher quoi ? La France, l’Europe ne vous inspirent donc plus ?

C’est mon problème du moment… J’ai toute l’histoire, je veux dire l’anecdote, les personnages. Ça devrait être mon meilleur livre, j’ai même le titre : Puta Madre. Il y a deux obstacles : 1) je n’arrive pas à l’écrire ; 2) je n’arrive pas à partir au Mexique. C’est pourtant un pays excitant : 55 000 assassinats depuis 2006. Blague macabre à part, je suis évidemment attiré par ce monde à la fois antique, à l’histoire prodigieuse, et ultramoderne, avec les pires côtés de la modernité : corruption, crime, cruauté, cynisme, aliénation… C’est le capitalisme dans toute sa folie destructrice parfaitement incarnée dans le commerce de la drogue.

À vos yeux, la Chine est-elle un pays communiste ? L’Algérie, un pays socialiste ? Le Congo-Kinshasa, un pays démocratique ? Et les révoltes arabes sont-elles révolutionnaires ?

C’est l’épreuve écrite d’entrée à Sciences-Po, ou quoi ? Je l’ai ratée en 1975… La Chine, communiste ? Soixante millions d’adhérents au Parti en Chine, ça ne vous suffit pas ? L’Algérie, socialiste ? Moins endettée que la France, en tout cas. Le Congo-Kinshasa, démocratique ? Quand il y a le mot « démocratique » dans le nom d’un pays, ça veut dire qu’il y a un problème démocratique dans le pays. C’est comme au restaurant, quand le serveur vous dit « tout de suite », ça signifie « pas tout de suite ». Les révoltes arabes, révolutionnaires ? Quand un bébé pleure, il y a cinq explications possibles : 1) sa couche est sale ; 2) il a faim ; 3) il a soif ; 4) il a froid ; 5) il a chaud. Quand vous avez résolu ces problèmes, il s’endort, parce qu’il a sommeil. Ce qu’il faut, c’est résoudre les problèmes des habitants du Maghreb. Je ne veux évidemment pas dire que les Arabes sont des bébés, loin de là. Quand vous satisfaites les besoins de votre peuple, il n’a aucune raison de pleurer. Voilà tout.

Manifestement (cela se sent à travers plusieurs de vos chroniques), vous aimez bien Carla Bruni. C’est sans doute réciproque, puisque Nicolas Sarkozy vous a invité à sa table. Avez-vous parlé politique ? sexe ? littérature ?

On n’était pas à table, on était dans son bureau. On a parlé de lui. Il est toujours en train de régler les problèmes des gens et personne ne règle les siens. C’est le Verseau type : assommant d’énergie (Mozart, Simenon, Dickens, mon beau-frère Yann Blanc). Ces mecs-là ne s’arrêtent jamais. Puis ils tombent comme des arbres. Quand ce sont des arbres solides, comme Simenon, ils tombent tard. Carla Bruni, il faut bien admettre que c’est l’une des femmes les plus séduisantes de la terre, et sa séduction réside presque entièrement dans sa gentillesse et son intelligence, comme chez toutes les grandes séductrices.

Concernant la Libye, j’espère que BHL a eu raison. Si ça tourne mal, il va porter une faute trop lourde, même pour lui.

Chaque semaine, Le Point s’ouvre sur votre chronique et se ferme sur celle de Bernard-Henri Lévy. Approuvez-vous ce qu’il y écrit. Par exemple, sur Israël ? Avez-vous approuvé le rôle qu’on lui prête dans la décision de bombarder la Libye ? Vous n’égratignez jamais BHL, pourquoi ?

J’ai cessé de me plaindre de Bernard-Henri Lévy, pas seulement parce que nous travaillons dans le même journal. À quoi bon ? Autant râler contre le froid. Ou la canicule. Sur la Libye, j’espère qu’il a eu raison. Si ça tourne mal, comme c’est à craindre, il va porter une faute trop lourde, même pour lui. Ce sera peut-être son châtiment. Quand on tue quelqu’un, on ne le punit pas, on le soulage. Pour que quelqu’un soit puni, il faut qu’il soit vivant. Si vous voyez ce que je veux dire.

Vous affirmez que Jeune Afrique est « le seul hebdo dont [vous lisez] tous les articles ». Qu’y trouvez-vous donc de si palpitant ?

Je ne vais pas faire l’éloge de Jeune Afrique dans Jeune Afrique, c’est d’ailleurs pour ça que je l’ai fait dans Le Point. Je suis fatigué de l’ethnocentrisme des médias : il leur a fallu plusieurs mois pour s’intéresser aux inondations en Thaïlande, qui avaient déjà fait plusieurs centaines de morts. J’aime les journaux qui s’ouvrent sur le monde. Le Monde diplomatique, Courrier international, et bien sûr Jeune Afrique. Le XXI de Patrick de Saint-Exupéry est bien aussi, mais un peu trop pensée unique du capitalisme humanitaire pour moi.

Avez-vous l’intention de continuer longtemps à écrire ainsi sur n’importe quoi ?

Sur quoi d’autre voulez-vous écrire ? 

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Propos recueillis par Jean-Louis Gouraud

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