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Agronome sénégalais, président du Consortium panafricain de l’agrobusiness et de l’agro-industrie.

Publié le 15 mars 2012 Lecture : 3 minutes.

Sécurité alimentaire : le paradoxe africain
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Sécurité alimentaire : le paradoxe africain

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Avec 500 milliards de tonnes de denrées produites par an, l’Afrique accuse un déficit de 50 % pour couvrir les besoins alimentaires de son milliard d’habitants. Elle est la région du monde la plus touchée par les ravages de l’insécurité alimentaire, et la situation est d’autant plus préoccupante que, d’ici à 2050, sa population aura doublé.

Pourtant, l’Afrique est un continent agricole par nature. Judicieusement exploitées, sa superficie et sa position géographique pourraient lui permettre non seulement de résorber son propre déficit, mais aussi de jouer le rôle de grenier du monde. La symétrie de ses climats, grâce à l’équateur qui la traverse, permet ainsi de produire chaque aliment au moins deux fois dans l’année, favorisant la constitution de réserves.

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Pour cela, il faut une nouvelle approche, une révolution dans la stratégie, dans la pratique (d’exploitation, de gestion, de transformation, de distribution), ainsi que dans les habitudes et dans la manière de nourrir l’homme. C’est une question de survie.

Concrètement, il s’agit de substituer à la révolution verte des années 1960 – qui a été exclusivement celle des céréales – une autre révolution, qui accorde une plus grande place aux fruits et légumes. Il faut donc changer le « menu mondial », actuellement composé à 40 % de céréales, 13 % de racines et tubercules, 15 % de fruits et légumes et 5 % de viande.

La production de fruits et légumes devra donc dépasser celle des céréales (qui doit aussi continuer de croître). Et c’est un véritable filon. Ainsi, alors qu’il existe seulement quatre grandes variétés de céréales (blé, riz, maïs, mil/sorgho), on en dénombre des milliers pour les fruits et légumes. Avec une production moyenne de 20 à 30 tonnes à l’hectare par an, voire 100 t pour certaines variétés (tomate, oignon…), les rendements sont vingt fois supérieurs à ceux des céréales, et ces denrées peuvent être récoltées plusieurs fois dans l’année en système irrigué, contrairement aux céréales, qui sont saisonnières.

Financièrement, les fruits et légumes coûtent moins cher au producteur et lui rapportent plus que les céréales, car ils sont vendus deux fois plus cher que ces dernières sur les marchés internationaux. En Chine, où la demande alimentaire est forte, la méthode a fait ses preuves. En 1998, la production de fruits et légumes y était quatre fois inférieure à celle de céréales. Cinq ans plus tard, elle a été multipliée par dix, pour désormais la dépasser, assurant au pays la sécurité alimentaire. Et, il ne faut pas l’ignorer, les grandes puissances d’aujourd’hui sont avant tout des puissances alimentaires.

La production actuelle du continent repose sur de petites exploitations : plus de 80 % d’entre elles font moins de 2 ha.

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Cette révolution d’un nouveau genre doit s’accompagner d’une plus grande industrialisation du secteur, qui permet d’augmenter de manière significative la production alimentaire. Une telle politique exige d’impliquer davantage le secteur privé. L’Afrique doit pouvoir s’appuyer sur une agriculture robuste et moderne, portée une agro-industrie et un agrobusiness dynamiques. Or la production actuelle du continent repose essentiellement sur de petits exploitants ruraux aux moyens rudimentaires : plus de 80 % des exploitations font moins de 2 ha.

La mise en oeuvre de cette stratégie suppose une meilleure compréhension des enjeux de l’agriculture par les États et des politiques adaptées. Les dirigeants africains devraient faire de l’agriculture un département régalien, au même titre que la défense, l’intérieur, les affaires étrangères ou les finances, en lui allouant un budget adapté : 10 % du budget national, suivant les recommandations de la rencontre de Maputo, contre au mieux 5 % actuellement, qui ne sont d’ailleurs pas investis mais dévolus aux frais de fonctionnement des ministères…

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En donnant ainsi toute sa place à l’agriculture, ainsi qu’aux chaînes de production et de distribution qui lui sont liées, l’Afrique pourra régler, pour de bon, le fléau de l’insécurité alimentaire, mais aussi résoudre ceux du chômage et de la pauvreté.

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