Amar Drissi : « L’avenir est dans l’engrais sur mesure »
Le groupe marocain OCP va tripler sa production de fertilisants d’ici à 2020. Un développement qui renforce son poids et son engagement en matière de sécurité alimentaire, comme le souligne son directeur exécutif chargé des opérations industrielles Amar Drissi.
Sécurité alimentaire : le paradoxe africain
Jeune Afrique : Quel rôle peut jouer la filière phosphates dans l’amélioration de la sécurité alimentaire ?
Amar Drissi : Avec l’accroissement de la population, la demande alimentaire augmente. Y répondre nécessite une meilleure productivité agricole. Sachant que la surface de terres cultivables par habitant a diminué de moitié par rapport aux années 1950, la seule façon d’accroître les rendements est de recourir aux engrais, en l’occurrence ceux issus du phosphate, un élément nutritif essentiel qui ne peut être obtenu par synthèse.
Crédité de 85 % des réserves mondiales de phosphates – 51 milliards de tonnes sur les 60 milliards répertoriées dans le monde -, assurant 30 % des échanges mondiaux en produits phosphatés, l’OCP a un rôle stratégique et proactif à jouer pour améliorer la sécurité alimentaire. Pour cela, nous sommes engagés dans une stratégie de développement afin d’augmenter nos capacités, de réduire les coûts, d’assurer la flexibilité (c’est-à-dire la capacité de répondre aux aléas du marché) et de développer l’innovation pour produire davantage et mieux.
L’Afrique pourrait se nourrir et nourrir une bonne partie du monde.
Comment cela se traduit-il ?
Par un programme d’investissement de 115 milliards de dirhams [plus de 10 milliards d’euros, de 2010 à 2020, NDLR], engagé à plus du tiers. Il vise à doubler la production minière et à tripler la production d’engrais. Nous sommes en train de créer à Jorf Lasfar la plus grande plateforme chimique au monde, avec la construction de dix nouvelles unités de fabrication d’engrais d’une capacité de 1 million de tonnes par an chacune. Ce qui aura pour effet d’accroître les capacités et de contribuer à réduire les coûts. L’OCP a également entrepris d’optimiser la chaîne logistique, par exemple en construisant un pipeline destiné à transporter le phosphate sur 200 km entre la ville minière de Khouribga et le site de Jorf Lasfar, sur la côte atlantique.
Les engrais phosphatés restent-ils trop chers pour l’Afrique ?
Leur consommation est très inégale de par le monde et ne dépend pas uniquement des coûts de production, mais largement des problèmes de transport, de distribution et de financement. Elle est en moyenne de 100 kg/ha à l’échelle mondiale, voire 200 kg/ha dans les pays développés, mais est limitée à 9 kg/ha en Afrique, continent qui offre pourtant un fort potentiel de développement agricole grâce notamment à l’étendue de ses terres arables. En augmentant significativement sa production agricole, l’Afrique pourrait se nourrir et nourrir une bonne partie du monde. L’idée, c’est d’y faire émerger une révolution « doublement verte », c’est-à-dire une agriculture raisonnée et rationnelle : conciliant productivité accrue, respect de l’environnement et équité entre les hommes.
La capacité d’innovation est un enjeu essentiel. Quelles sont vos priorités de recherche et développement ?
Les travaux en cours portent notamment sur le développement d’engrais solides, d’engrais low cost, ou encore sur l’enrichissement des phosphates pauvres ou stériles. En partenariat avec l’Institut national de la recherche agronomique [Inra] et le ministère marocain de l’Agriculture, l’OCP a développé une carte de fertilité des sols. En cours d’élaboration pour le Mali, cette carte sera étendue à d’autres pays d’Afrique subsaharienne dans le cadre d’un partenariat Sud-Sud. Elle permettra de créer des engrais sur mesure, adaptés à la nature des sols, pour une utilisation plus performante.
Enfin, l’innovation, ce n’est pas simplement développer de nouveaux produits, mais aussi mettre en place des modèles de distribution alternatifs. Nous y travaillons dans le cadre de partenariats public-privé.
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