Maroc : les socialistes de l’USFP à la dérive
Son net recul aux législatives marocaines de 2011 et la cacophonie au sein de son groupe parlementaire fragilisent l’USFP. Même le capitaine, Abdelouahed Radi, a quitté le navire.
« Imaginez un secrétaire général qui quitte le pays en pleine crise provoquée par la démission du chef du groupe parlementaire ! C’est surréaliste, non ? » Ce militant de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) manque de s’étouffer en évoquant la situation au sein du grand parti de la gauche marocaine, en recul constant depuis sa participation au gouvernement, en 1998. Abdelouahed Radi a en effet déserté le parti après son élection à la tête de l’Union interparlementaire (UIP), une retraite dorée depuis qu’il a dû quitter le perchoir. Riyad, Genève, New York ou Koweït City, le recordman de longévité électorale snobe aujourd’hui les réunions du bureau politique (BP), dont celle du mardi 28 février, qui a rejeté la démission d’Ahmed Zaïdi, chef du groupe parlementaire. Pour ce dernier, fin tacticien, cette annonce était le seul moyen de faire respecter son autorité sous la coupole du Parlement.
Le 19 décembre, le groupe socialiste s’était retiré de la séance consacrée à l’élection de l’istiqlalien Karim Ghellab au perchoir. Les camarades entendaient protester contre le mépris de l’interdiction du cumul des mandats. Derrière ce coup de théâtre se profilait déjà un style d’opposition assumé par deux ténors du groupe et membres du bureau politique, Abdelhadi Khairat et Driss Lachgar, ce dernier ayant été chef de groupe de 1999 à 2007. Ce jour-là, Ahmed Zaïdi note l’appétit oratoire de ses camarades et ronge son frein. Rebelote, le 14 février, quand les socialistes boudent le vote du règlement intérieur sous la pression des mêmes personnages. Mais, contrairement à l’usage élémentaire, la décision n’a pas été coordonnée avec le chef du groupe. C’en est trop pour Zaïdi, qui fulmine et prépare sa lettre de démission. Depuis, « tout est rentré dans l’ordre », répètent à l’unisson les dirigeants du parti contactés par Jeune Afrique.
Mais, au-delà du traditionnel « retenez-moi ou je fais un malheur », cette minicrise met en évidence le risque que court l’USFP, à savoir de se transformer en une opposition folklorique. « Notre opposition de forme ne semble pas convaincre les Marocains », remarque Mounir Bensalah, jeune ingénieur et membre du Conseil national. Cinquième parti sur l’échiquier politique au lendemain du scrutin législatif de novembre dernier (39 sièges), l’USFP n’en finit pas de ruminer son amertume. « Le BP est démobilisé. En trois mois, nous n’avons même pas pu tenir un conseil national d’évaluation des législatives », regrette un militant sous le couvert de l’anonymat.
Le PAM nouveau est arrivé !
À l’issue de son deuxième congrès, du 17 au 19 février, le Parti Authenticité et Modernité (PAM) a choisi un successeur à Mohamed Cheikh Biadillah, président de la Chambre des conseillers (Sénat). Le nouveau secrétaire général, Mustapha Bakkoury, président de l’Agence marocaine de l’énergie solaire (Masen), a été, de 2001 à 2009, le directeur général de la Caisse de dépôts et de gestion (CDG), bras financier de l’État. Ce technocrate avait été l’un des fondateurs, en 2008, du Mouvement pour tous les démocrates (MTD) avec Fouad Ali El Himma, préalable à la création du PAM. Ce profil de gestionnaire met en veilleuse les tensions entre deux tendances au sein du parti : d’un côté, les ex-gauchistes ralliés à Fouad Ali El Himma, du temps où « l’ami du roi » avait lancé l’Instance Équité et Réconciliation ; de l’autre, les notables entrés au PAM par la voie des petits partis absorbés en 2008, puis ceux moissonnés lors des communales de 2009, que le « Tracteur » (l’emblème du PAM) avait remportées haut la main. Y.A.A.
Impuissance
Voici un parti qui a négocié avec Hassan II la réconciliation de la monarchie et de l’opposition nationale (issue du « mouvement national » hostile au protectorat), puis mené l’alternance consensuelle. Mal récompensée par la nomination de Driss Jettou, un Premier ministre technocrate, l’USFP a assisté, impuissante, à la percée des islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD) et à celle, plus récente, du Parti Authenticité et Modernité. « Nous avons incarné l’opposition pendant des décennies et avons été les seuls à revendiquer une réforme constitutionnelle, tout en l’accompagnant en 2011 », résume le maire de Rabat, Fathallah Oualalou. « Nous avons oeuvré pour les réformes et pouvons en revendiquer fièrement les acquis, mais nous payons le prix des espoirs que nous avons soulevés et déçus. La popularité de l’USFP a reculé lorsque nous avons perdu la faculté de dire non », avance pour sa part Mohamed Achaari, ancien ministre et membre du BP, aujourd’hui en délicatesse avec sa direction.
Dilemme
L’USFP n’incarne plus aujourd’hui l’espoir de changement auprès des classes moyennes, employés comme fonctionnaires, ni auprès des professions libérales (médecins, avocats, pharmaciens), toutes catégories conquises par le PJD. Logique, le refus de participer au gouvernement Benkirane, avalisé par le conseil national du 4 décembre ? « Notre choix est une bonne nouvelle pour la démocratie et une consécration de l’esprit d’alternance », assure Fathallah Oualalou, membre du bureau politique et ancien tribun du temps de l’opposition avant d’occuper le portefeuille de l’Économie et des Finances de 1998 à 2007.
Difficile de reprendre le flambeau de la contestation après quatorze ans au pouvoir
En fait, les socialistes refusent d’être une simple force d’appoint dans la majorité. Mais après quatorze années d’expérience de gouvernement, il n’est pas évident de reprendre le flambeau de la contestation. « Il faut avoir le courage d’ouvrir notre prochain congrès aux autres partis de gauche et à la société civile si nous voulons que l’USFP redevienne le grand parti de la gauche », avance Ali Bouabid, délégué général de la Fondation Abderrahim Bouabid, un think-tank proche du parti. L’autre orientation, encore discrète pour l’heure, serait la préparation d’une alternance politique, en concertation avec les deux autres grandes forces de l’opposition actuelle, plutôt centriste : les libéraux du Rassemblement national des indépendants (RNI) et le PAM. Survivre, c’est choisir.
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