Côte d’Ivoire : Laurent Gbagbo à la CPI, une vie derrière les barreaux
Déjà plus de trois mois que l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo est incarcéré dans la prison de la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye. Ses conditions de détention, ses proches en conviennent, sont bien meilleures qu’à Korhogo. Enquête sur le quotidien d’un homme qui a tout perdu, mais qui n’a renoncé à rien.
« Ils me tuaient à petit feu. » Lorsqu’il arrive à la prison de Scheveningen, le 29 novembre 2011, Laurent Gbagbo est très affaibli. À ses premiers visiteurs, il raconte les huit mois de réclusion qu’il a passés là-bas, à Korhogo, dans le nord de la Côte d’Ivoire, sans jamais voir la lumière du jour. Les semaines passent, l’ancien président reprend du poil de la bête. Son « séjour » dans la petite station balnéaire des Pays-Bas lui réussit.
Ses conditions de détention, dans le quartier VIP du centre pénitentiaire de la Cour pénale internationale (CPI), n’ont plus rien à voir avec Korhogo : une nourriture convenable, une cellule individuelle (comme celle sur la photo ci-dessous © Damir Sagolj/Reuters), un bureau, une télévision, un accès à la bibliothèque. Il bénéficie de soins médicaux pour ses problèmes d’arthrose et peut, chaque jour, se promener dans la cour de la prison ou aller à la salle de sport. Sa nouvelle vie, Laurent Gbagbo l’organise autour de trois axes : le spirituel, le politique et le juridique.
Évangéliste, il reçoit la visite régulière d’un ministre du culte. Un « pasteur noir », selon l’un de ses amis, qui ne souhaite pas en dire plus. Depuis qu’il a survécu à un accident de la route avec son épouse Simone Gbagbo, en 1996, [lire ici Jours tranquilles à Odienné pour Simone Gbagbo, NDLR] Laurent Gbagbo est un pratiquant fervent, qui aime à lire et relire la Bible – avec un goût particulier pour l’épisode de Daniel dans la fosse aux lions. Il en est convaincu, lui aussi fera la preuve de son innocence et sera libéré, avant de pouvoir à nouveau jouer un rôle de premier plan en Côte d’Ivoire.
Rencontres confidentielles
Laurent Gbagbo a la foi. Il a le moral aussi. En trois mois, il a déjà reçu plus de visites qu’à Korhogo : ses avocats, d’anciens collaborateurs et plusieurs membres de sa famille font régulièrement le voyage jusqu’aux Pays-Bas. Les rencontres se déroulent en toute confidentialité dans une petite salle du pénitencier – des retrouvailles souvent pleines d’émotion et toujours suivies de longues discussions.
Bernard Houdin, son ancien conseiller français à la présidence, a été le premier à obtenir le fameux sésame du greffe de la CPI, le 20 décembre. Marie-Laurence Kipré, sa fille née de son mariage avec Simone Gbagbo, et Marie-Antoinette Singleton, sa belle-fille installée aux États-Unis, ont passé une semaine à La Haye, fin janvier. Elles ont pu lui transmettre des nouvelles du reste de la famille et des amis proches.
Fatou Bensouda, celle qui mènera la charge
Nommée le 2 décembre au poste de procureur général de la CPI, Fatou Bensouda devrait mener l’accusation si Gbagbo est inculpé
Elle prendra ses fonctions en juin et devrait participer à l’audience de confirmation des charges le 18 du même mois
Moins médiatique que son prédécesseur, Luis Moreno-Ocampo, la Gambienne n’a qu’un seul credo : la défense des victimes. La politique, très peu pour elle.
Début février, l’ancien président s’est également entretenu avec Alima Fadika, la femme de l’ex-directeur général de la Société nationale d’opérations pétrolières de Côte d’Ivoire (Petroci), qui est aussi la soeur de Nady Bamba, seconde épouse de Laurent Gbagbo et mère de son dernier fils, Koudou Ismaël. Le 19 février, c’est un ami de trente ans, Guy Labertit, qui est venu à la prison. Fidèle parmi les fidèles, l’ex-« Monsieur Afrique » du Parti socialiste français reste l’un de ses soutiens indéfectibles.
Amaigri mais en bonne santé
Comment se porte Gbagbo ? Ses visiteurs l’ont trouvé amaigri, mais en bonne santé et prêt à reprendre la lutte. « Il est de mieux en mieux physiquement, affirme Sylvain Miaka Ouretto, président par intérim du Front populaire ivoirien (FPI), qui l’a rencontré le 6 février. Sur le plan intellectuel, il est toujours aussi brillant et a toute sa lucidité. » Il est aussi bien conscient des bénéfices qu’il peut y avoir à incarner la résistance de l’Afrique face aux puissances occidentales. Ouretto, ce jour-là, a pris soin de ne pas venir les mains vides et a remis au prisonnier une chemise de Pathé’o, le célèbre créateur de mode ivoirien qui l’habille lui et de nombreuses autres personnalités, comme Nelson Mandela, Paul Kagamé ou Kofi Annan. Avec le cadeau, une petite carte : « De la part de tes compatriotes et des membres de ton parti qui mèneront la lutte jusqu’à ta libération. Au nom du peuple de Côte d’Ivoire, reçois cette chemise. »
Mais avec Ouretto il a surtout été question de politique. Laurent Gbagbo, qui sait les difficultés que connaît le parti, tiraillé entre ses porte-parole installés au Ghana et les membres de la direction basés à Paris, voulait faire le point. C’est lui d’ailleurs qui a fait savoir à son visiteur qu’il souhaitait lui parler. Ensemble, pendant près de trois heures, ils ont évoqué le sort des cadres du FPI encore emprisonnés, les querelles internes au parti et la situation – sécuritaire notamment – en Côte d’Ivoire. Gbagbo l’a chargé « de prendre les dispositions pour mettre de l’ordre dans la maison », sans jamais se hasarder à formuler des commentaires négatifs sur les nouvelles autorités. Il s’inquiète plutôt du comportement de certains « vautours » qui profitent de sa cause pour aller extorquer des fonds. « Il ne faut pas perdre de vue l’essentiel, la raison de notre combat », a-t-il rappelé à Ouretto, à qui il a demandé de faire le tour des amis socialistes français pour repositionner le FPI à l’échelle internationale et remercier les intellectuels qui continuent le combat. Parmi eux, l’écrivaine Calixthe Beyala ou Charles Onana, auteur de Côte d’Ivoire, le coup d’État, livre à charge contre l’ancienne puissance coloniale qui a appuyé l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara.
Activisme politique
L’activisme politique de Gbagbo, abondamment relayé dans les médias, n’est pas passé inaperçu. Fin février, les responsables de la CPI s’en sont agacés et ont suspendu jusqu’à nouvel ordre les autorisations de visite accordées à la famille et aux proches du détenu. Mais Scheveningen est déjà devenu un lieu de pèlerinage où les partisans de Gbagbo viennent manifester leur mécontentement à l’égard d’une justice internationale accusée d’être à la solde des Blancs (voir photo ci-dessous, le 23 décembre 2011 devant la prison de la CPI © Anoek de Groot/AFP). Le 18 février, ils ont célébré, au pied de la prison, les vingt ans de son arrestation par les forces de sécurité de Félix Houphouët-Boigny après une marche du FPI, en 1992.
Fort de ce soutien, Laurent Gbagbo prépare activement sa défense avec son avocat principal, le Français Emmanuel Altit (ancien défenseur des infirmières bulgares en Libye). De longs entretiens qui, chaque semaine, prennent l’allure de confessions. L’ancien président y ressasse les années qui ont suivi le coup d’État de décembre 1999, et tout y passe : ses liens avec Ouattara, avec l’ancien président Bédié, avec Guillaume Soro, le rebelle devenu Premier ministre puis président de l’Assemblée nationale, mais aussi avec les présidents Chirac et Sarkozy… Il revient longuement sur le jeu des grandes puissances occidentales et régionales, sur les intérêts économiques des multinationales françaises et américaines, sur ses liens avec le Burkinabè Blaise Compaoré, avec des hommes d’affaires comme le Français Vincent Bolloré… Emmanuel Altit et ses confrères recueillent méthodiquement ces confidences qui leur permettront de préparer la défense de leur client, de chercher des témoins et de trouver des arguments contradictoires.
L’équipe d’avocats s’étoffe de jour en jour. Elle compte aujourd’hui des Européens, des Africains et des Américains. Mais c’est toujours à son avocat principal que Gbagbo fait en priorité confiance, et c’est lui qui, à la demande de l’ancien président, briefe les autres sur les questions de procédure. En Côte d’Ivoire, l’équipe juridique est à pied d’oeuvre. Elle collecte des témoignages photo, vidéo et écrits. « Les traces de la dernière crise s’effacent et les témoins peuvent changer d’avis. Il faut faire vite », confie l’un des défenseurs.
Gbagbo et Bemba, amis de détention ?
Gbagbo, affirment ses proches, a eu le temps de faire son autocritique. « Il a bien analysé les raisons de sa défaite, explique l’un d’eux. Un entourage divisé, des luttes de clans au sein de la galaxie politique qui l’a soutenu, le rôle de la France… Il veut mettre fin à l’amateurisme et préparer sa défense avec beaucoup de professionnalisme. » Géraldine Odéhouri Brou, sa conseillère juridique, a quitté son exil ghanéen pour s’installer, mi-février, à La Haye. Elle est, depuis longtemps, la pierre angulaire du système juridique mis en place par Laurent Gbagbo quand il était encore au pouvoir et travaille en étroite collaboration avec les équipes de Me Altit. En revanche, la famille Gbagbo a été priée de mettre fin à ses déclarations dans la presse, et les différents mouvements de soutien sont chargés de ne pas déstabiliser le FPI à Abidjan.
Pendant ce temps, l’ancien président lit. Des ouvrages sur Jésus, des essais politiques, des magazines que lui apportent ses proches (Le Nouvel Observateur, Le Canard enchaîné, mais, sans doute par déception amoureuse, jamais Jeune Afrique, que Gbagbo ne veut plus feuilleter). À la télévision, il suit l’actualité électorale en France et au Sénégal. Dans la journée, il fréquente ses codétenus.
Gbagbo lit beaucoup mais ne veut plus entendre parler de Jeune Afrique.
Il y a là Jean-Pierre Bemba, l’ancien vice-président congolais jugé pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, avec qui Gbagbo discute régulièrement ; Charles Taylor, l’ex-président libérien, qui doit répondre des mêmes chefs d’accusation et qu’il rencontre en salle de gym ou à la bibliothèque. L’Ivoirien a aussi fait la connaissance des autres hôtes du pénitencier : les Congolais Thomas Lubanga, Matthieu Ngudjolo et Gervais Katanga, les Serbes Ratko Mladic et Radovan Karadzic… Sa condition physique ne lui permet pas de prendre part aux matchs de foot, mais il lui arrive de suivre les parties. Un jeune pensionnaire congolais qui l’a pris en sympathie vient également lui tenir compagnie et fait chaque jour son lit.
Bien sûr, l’ex-chef d’État regrette sa liberté d’antan, les dîners avec ses fidèles et les échanges qu’il pouvait avoir avec ses amis historiens et intellectuels. Des discussions au cours desquelles il avait l’habitude de refaire le monde et prenait plaisir à éclairer ses compagnons sur les dessous de la politique africaine.
Ses plus proches soutiens ont prévu de relancer la mobilisation dans les semaines qui viennent. Ses filles espèrent aussi être autorisées à le voir le 31 mai prochain. Ce jour-là, Gbagbo fêtera ses 67 ans. Quelques jours plus tard, le 18 juin, il comparaîtra pour son audience de confirmation des charges devant la chambre préliminaire III de la CPI. Une échéance décisive devant les caméras du monde entier que Laurent Gbagbo prépare avec le plus grand soin. Ce jour-là, promet-il, il y aura quelques surprises.
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