Présidentielle sénégalaise : Wade touché, pas encore coulé
Le président sénégalais sortant Abdoulaye Wade clamait qu’il l’emporterait dès le premier tour du scrutin. Avec près de 35 % des voix, il doit déchanter. Mais pour tenter de battre Macky Sall, « le Vieux » a encore plus d’un tour dans son sac.
La musique crachée par une sono poussée à fond fait danser quelques dizaines de partisans dans la rue. À l’intérieur du QG de Macky Sall, il y a foule. Les résultats de la présidentielle sénégalaise ne tombent que depuis quelques heures, mais tout le monde fait le pied de grue pour le voir, lui, le possible quatrième président de la République, l’éventuel tombeur d’Abdoulaye Wade, le grand vainqueur du jour.
Dès le milieu de la soirée, ce 26 février, le verdict du premier tour de la présidentielle sénégalaise est clair : il y aura un second tour. Avec près de 685 000 voix (26,58 % des suffrages), l’ex-Premier ministre a obtenu le droit d’affronter en tête à tête son ancien mentor. Wade, c’est une surprise, n’en a recueilli que 220 000 de plus (34,81 %). Soit près de 1 million de moins qu’en 2007. Un échec cuisant, alors que le président sortant et son entourage n’avaient cessé de clamer, au fil des dernières semaines, qu’il l’emporterait dès le premier tour, avec 53 %, 54 %, voire 55 % des voix.
Le challenger Macky Sall à son domicile, le 27 février 2012.
© Émilie régnier
En ce dimanche soir du premier tour, dans un immeuble dont rien n’indique qu’il s’agit du QG du candidat Wade, la sobriété contraste avec l’euphorie des « mackistes ». Ici, rétorque Amadou Sall, porte-parole de la campagne, « on ne fait pas la fête, on travaille ». De fait, un bataillon d’informaticiens compilent les résultats devant leurs ordinateurs. À ce moment de la soirée, Amadou Sall sait déjà que Wade ne fera pas plus de 40 %. Il l’admet à demi-mot : « Il n’y a aucune indignité à passer au second tour. Nous ne disons pas comme Gbagbo : je gagne ou je gagne. Nous disons : je gagne ou je perds. »
Wade digère
Il n’ya aucune indignité à passer au second tour.
Amadou Sall, porte-parole d’Abdoualye Wade
Au Palais, jusque tard dans la nuit, des proches du président sortant ont bien tenté de lui faire croire qu’il allait l’emporter avec 55 %, mais, rapidement, d’autres conseillers le ramènent à la réalité. À l’annonce des résultats, « le président ne réagissait pas vraiment », indique un proche. « Il enregistrait sans mot dire », ajoute un autre. Depuis, il digère et tente de remédier à ce qui n’a pas marché.
Les derniers sondages dont il disposait le donnaient à deux doigts des 50 %. Comme en 2007. Mais, à l’époque, la machine à gagner du Parti démocratique sénégalais (PDS) était opérationnelle : une bonne équipe de campagne – menée par un certain Macky Sall -, des cadres locaux surmotivés… Cette année, rien à voir : « La campagne a été mauvaise, regrette un proche du président. Il n’y a eu aucune réflexion, aucun travail. » Et pour cause : hormis Souleymane Ndéné Ndiaye, Premier ministre et directeur de campagne, Amadou Sall, porte-parole, et Pape Diop, président du Sénat chargé du « trésor de guerre », le reste de l’équipe n’avait pas de rôle déterminé.
En Casamance, une guerre à huis clos
Alors que tous les regards sont braqués sur Dakar, qui se doute qu’une guerre se mène dans le sud du pays ? Dans un black-out total imposé par l’État, du 23 janvier au 29 février, des affrontements d’une rare intensité ont opposé l’armée sénégalaise au Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). Selon une source militaire, dans ce laps de temps, les opérations de ratissage ont été menées tous les jours dans la région du Nord-Sindian, tout près de la frontière gambienne. « Il s’agissait de riposter à la recrudescence des violences constatée depuis novembre », indique un officier, qui affirme avoir démantelé quatre bases du MFDC – ce que nient des responsables du mouvement indépendantiste. À quel prix ? L’armée a perdu « quelques hommes », les rebelles aussi. Aucun chiffre n’est avancé. Quant aux déplacés qui ont fui les combats, ils se comptent par centaines. Plusieurs villages ont été rasés. Dans cette région, on n’a pas voté le 26 février.
Sur le terrain, cette impréparation a donné lieu à une véritable foire d’empoigne : des militants qui s’affrontent à mains nues, se lancent des pierres, font d’un village le théâtre à ciel ouvert de leurs dissensions… « On a commis une grosse erreur, admet un proche de Wade. Au lieu d’autonomiser les sections locales, de donner de l’argent à chacune d’elles pour organiser la mobilisation, on a nommé des comités dont les responsables ne faisaient pas l’unanimité. » Résultats : des menaces de démission lancées par certains ministres oubliés, et surtout un invraisemblable vote sanction. « En voyant nommer un responsable, les autres leaders locaux ont estimé qu’ils étaient lésés en vue des législatives qui approchent, analyse la même source. Et ils ont raisonné ainsi : "Si Wade fait un bon score, c’est X qui en recueillera les fruits. Je vais donc faire voter pour un autre candidat." Si les cadres locaux avaient pensé qu’un second tour était possible, ils n’auraient pas agi ainsi. Nous avons été trop confiants. » En dépit de l’évidence…
Car la colère grondait depuis longtemps. Contre le projet supposé de Wade de faire de son fils, Karim, son successeur. Contre les inondations et les délestages, qui polluent depuis deux ans la vie des habitants de Dakar et de ses banlieues. Contre la vie chère enfin. Est-ce un hasard si les prix de certains produits de grande consommation se sont envolés ces derniers jours ? Si le sac de 50 kg de riz parfumé est passé de 17 000 à 24 000 F CFA ? Certains pensent que les grands commerçants ont lâché le président. D’autres avancent que cette hausse s’explique par le climat de tension dans lequel s’est déroulée la campagne. Quoi qu’il en soit, pour beaucoup, la cherté de la vie est la première des priorités. Et le président, le premier des responsables.
Mais il y a une autre explication à son échec : cette fois, Wade compte un adversaire de poids, issu comme lui de la famille libérale. Malgré les divisions de l’opposition, Sall a recueilli plus du quart des suffrages. En tête à Dakar, il fait bonne figure dans l’ensemble du pays. Le fruit d’un travail de longue haleine, qui l’a vu traverser le Sénégal en long et en large depuis 2009, et d’une campagne efficace au cours de laquelle il a visité jusqu’aux plus petites localités, contrairement aux autres candidats, à l’exception de Wade lui-même.
Diviser pour gagner
Néanmoins, ses proches le savent, Sall n’aura pas la partie facile au second tour, qui devrait se tenir le 18 ou le 25 mars. « Wade n’accepte jamais la défaite. On s’attend à tout avec lui », indique un conseiller de l’ancien Premier ministre. D’un point de vue arithmétique, c’est bien mal engagé pour le président sortant : Wade n’a plus beaucoup de réserve de voix, et les principaux candidats s’étaient engagés il y a des mois à soutenir au second tour celui d’entre eux qui l’affronterait. « En 2000, Abdou Diouf n’avait pu l’emporter malgré un score supérieur au premier tour [41,3 %, NDLR] », note le juriste Babacar Gueye.
Comment peut-il renverser la tendance ? « En divisant ses adversaires. Dans ce domaine, Wade est le meilleur, indique un de ses anciens collaborateurs. Et en sortant beaucoup, beaucoup d’argent ! » Il sait qu’il n’obtiendra probablement pas un soutien explicite des autres candidats. « Après avoir combattu sa candidature, qu’ils jugent illégale, ils ne pourront pas se rallier à lui », juge le politologue Babacar Justin Ndiaye. Mais il va tâcher de nouer des alliances souterraines, d’inonder d’argent et de promesses les représentants locaux des partis, qui ont une vraie influence sur les électeurs.
Moustapha Niasse est arrivé troisième (avec 13,20% des voix). Il s’est rangé derrière Macky Sall, le 2 mars. Ousmane Tanor Dieng et Idrissa Seck ont fait de même.
© Émilie Régnier
Il sait que le « tout sauf Wade » qui se dessine depuis huit mois est « tout sauf sûr » et que, dans certains partis, il pourrait même se transformer en « tout sauf Macky ». Il suffirait pour cela de rappeler que Sall a été le premier (avant Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng) à rompre le serment du 4 février, selon lequel huit candidats s’étaient engagés à mener campagne commune. Et de réaffirmer ce que Wade dit depuis plusieurs semaines : dans trois ans, quand il aura fini ses chantiers, il passera la main. « Avec Wade, les jeunes loups du Parti socialiste de Tanor, de Rewmi d’Idrissa Seck ou de l’Alliance des forces du progrès de Niasse en ont pour trois ans. Avec Macky, qui n’a que 50 ans, ils savent qu’ils en prennent pour dix ans », explique un allié du président sortant, dans une rhétorique désormais bien rodée.
Il s’agira aussi pour le camp Wade de draguer avec plus de moyens encore qu’au premier tour ceux qu’on appelle ici les « grands électeurs » – marabouts, chefs de village, dignitaires religieux – et de pousser les abstentionnistes du 26 février, très nombreux (48 % du corps électoral), à se mobiliser. Après tout, tente-t-on de se persuader au PDS, « c’est une autre élection qui commence ».
C’est bien ce qui inquiète l’opposition, qui craint plus que jamais des fraudes. « En ne trichant pas au premier tour, Wade a endormi les observateurs et la communauté internationale. Il ne pouvait rien faire, il était épié. Le sera-t-il autant au second tour ? » s’inquiète un cadre du Parti socialiste, qui relève des éléments troublants, comme cette abstention presque uniforme dans les différentes régions, conjuguée au discours de l’entourage de Wade selon lequel les abstentionnistes sont forcément des partisans du président sortant. Ou comme ce chiffre révélé par la mission de l’Union européenne : encore aujourd’hui, le fichier électoral compterait 130 000 morts…
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Par Rémi Carayol, envoyé spécial à Dakar
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