Stromae, une biographie sur les dessous d’un phénomène

Le journaliste belge Thierry Coljon revient sur le succès d’un artiste pluriel, en perpétuelle quête identitaire. Une bio express.

Le chanteur belge, Paul Van Haver alias Stromae, sur scène près de Paris, en février 2023. © Bertrand Guay/AFP

eva sauphie

Publié le 17 mars 2023 Lecture : 4 minutes.

« Mais t’es Hutu ou Tutsi / Flamand ou Wallon / Bras ballants ou bras longs / Finalement t’es raciste / Mais t’es blanc ou t’es marron, hein. » Voici les quelques vers de la chanson « Bâtard », extraite du deuxième album de Stromae, Racine Carrée (2013), qui résument l’ambivalence dans laquelle l’artiste s’est vu enfermer. Si dans cette biographie, le journaliste belge Thierry Coljon, qui a rencontré le chanteur plusieurs fois lors d’entretiens au long cours pour le journal Le soir, tente d’expliquer les dessous d’un phénomène, il analyse moins les raisons d’un succès que le caractère pluriel qui définit le génie de Paul Van Haver, de son vrai nom. Ce métis né d’un père rwandais disparu trop tôt, Pierre Rutare, architecte installé à Kigali, et d’une mère belge, Miranda Van Haver.

À la recherche du père perdu

« Papa était invisible. Je ne l’ai pratiquement pas connu, juste vu trois ou quatre fois. Ce n’est que plus tard que j’ai compris qu’il était mort dans le génocide rwandais. On ne me l’a pas dit tout de suite mais j’ai fait des recoupements », confie-t-il au journaliste en 2010. Stromae cherche son père et le formule explicitement dans sa chanson à succès « Papaoutai », mais il se cherche surtout lui-même. D’abord en empruntant le pseudo d’Opsmaestro et en camouflant sa frêle silhouette dans des baggy. Il a 15 ans, et chez les jésuites, à Saint-Paul, « il est le seul métis ou noir parmi des enfants qu’il considère tous comme des fils de bourgeois », relate Thierry Coljon. Popaul, comme le surnomment ses trois frères et sa sœur, fait pourtant bientôt la rencontre de Jean-Didier Longane, « d’origine africaine, comme lui », alias Jedi.

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À l’aube des années 2000, ils forment ensemble le duo Suspicion. Le rappeur a 18 ans et s’impose sur la scène locale, à Laeken. Quatre ans plus tard, « Paul réfléchit. C’est là l’une de ses plus grandes qualités. Il sent bien qu’il lui manque quelque chose, que le rap lui résiste, qu’il n’y trouve pas vraiment sa place. » Le maestro autoproclamé conserve son nom de scène, mais opte pour sa variante en verlan. Il se cherche une fois encore. Après le pseudo, il lui faut trouver un style. Stromae abandonne ses pantalons bien trop grands et les troque contre des bermudas sages qu’il associe à des polos de jeune premier rehaussés d’un nœud papillon. Aux pieds, des chaussettes glissées dans des mocassins lui montent jusqu’aux genoux. Musicalement, aussi « il doit évoluer, quitter le cocon du rap, pour aller voir ailleurs, innover, mêler d’avantage les styles musicaux qu’il apprécie depuis sa prime enfance (…) la rumba congolaise de Franco, de Papa Wemba ou de Koffi Olomide. » Nous sommes en 2010 et celui que la Belgique voit comme le nouveau Brel débarque avec son hymne électro, « Alors on danse », issu de son premier album Cheese.

Retour aux sources

Mais Stromae ne veut certainement pas être l’homme d’un seul tube. Avec Racine carré, un deuxième album en forme de retour aux sources pour celui qui n’est allé au Rwanda qu’une seule fois avec son père, à l’âge de 5 ans, enchaîne les tubes (« Formidable », « Papaoutai »…) Et les prestations. Après 192 dates effectuées partout dans le monde, il est temps pour lui de jouer au pays. « Paul est ici pour connaître l’histoire de son père et mieux se connaître lui-même. Avec sa famille, il tient à visiter le mémorial du génocide, qui, depuis 2004, marque durablement ses visiteurs, raconte Thierry Coljon. S’il termine ses deux ans de tournée à Kigali, ce n’est pas un hasard. La boucle est bouclée. Racine carrée trouve ici tout son sens, vu ses doubles racines. Stromae l’a redit sur la scène de Kigali, devant les vingt mille personnes réunies au stade, il est à moitié belge, à moitié rwandais. » En jouant au Rwanda, l’enfant prodige se trouve et trouve une partie de son public. « Le fait que Stromae propose un concept original basé sur la danse compte beaucoup. C’est le handicap d’un Jadi ou d’un Corneille dont le style touche moins les jeunes ici », décryptera auprès du journaliste l’oncle par alliance de Stromae, Albert Brion Rudagingwa. Mais le maestro est épuisé.

Et, c’est à l’abri des radars médiatiques qu’il poursuit son chemin, en réalisant des clips pour d’autres artistes, ou en créant sa marque Mosaert inspirée des sapeurs congolais avec son épouse Coralie Barbier. Il lui faudra huit ans et demi de pause, après Racine carrée, pour accoucher d’un troisième album, Multitude, en mars 2022. Un opus qui porte bien son nom, pour l’artiste multiple qu’il est, dans lequel il revient sur sa « Santé » et « L’enfer » qu’il a vécu. « Paul ne compte pas reproduire les mêmes erreurs que lors de sa précédente tournée qui l’avait épuisé au point de le pousser au burn-out. » Et malgré l’engouement du public rwandais, « il n’est pas pour le moment question de retourner en Afrique », confie Thierry Coljon.

Stromae, les dessous d’un phénomène,Thierry Coljon, éditions Mardaga, 160 pages, 19,90 euros

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