Burkina Faso : Koudougou la rebelle

C’est dans cette agglomération du plateau mossi qu’a éclaté la révolte burkinabè de 2011. Si le climat est aujourd’hui plus apaisé, le mécontentement couve toujours à Koudougou, la « cité du cavalier rouge ».

La capitale de la région Centre-Ouest est à 100 km de Ouagadougou. © Hippolyte Sama pour J.A.

La capitale de la région Centre-Ouest est à 100 km de Ouagadougou. © Hippolyte Sama pour J.A.

Publié le 12 mars 2012 Lecture : 5 minutes.

Burkina Faso : Compaoré face au changement
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Burkina Faso : Compaoré face au changement

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Un an après avoir réussi à faire débarquer le gouverneur et le directeur régional de la police à la suite des émeutes, les Koudougoulais ont obtenu la tête du maire. Suspendu de ses fonctions en octobre dernier pour mauvaise gestion, le Burkinabè Seydou Zagré était réapparu publiquement le 20 janvier pour participer à une cérémonie de lancement de travaux de bitumage des voies. La suspension était arrivée à échéance, mais la population n’a pas apprécié ce retour aux affaires. Pour éviter tout nouveau débordement dans la cité frondeuse, les autorités ont vite réagi en le révoquant. « C’est une bonne et une mauvaise nouvelle, explique un opposant de l’ancien maire. Tout le monde désirait son départ, même les militants de son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès [CDP, au pouvoir, NDLR]. Mais avec lui aux commandes de la ville, l’opposition était sûre de remporter les élections législatives et municipales du mois de novembre prochain. »

Les autorités mettent actuellement les bouchées doubles pour organiser les festivités de l’indépendance qui auront lieu à Koudougou le 11 décembre 2012, avec un an de retard, la célébration ayant été annulée l’an dernier. Les habitants auront bientôt une salle polyvalente de spectacles, des bâtiments administratifs rénovés, des routes bitumées. Des parcelles seront également données à ceux qui veulent investir pour construire des logements. Et un projet d’aménagement de la place de la Nation devrait voir le jour.

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« La tendance est aux retrouvailles et à la réconciliation, explique Hermann Yaméogo, enfant de la ville et président de l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD). Les partis politiques, les autorités religieuses et les chefs traditionnels se parlent dans le cadre du comité des sages et font tout pour calmer les esprits. »

Raisons de la colère

Le 22 février 2011, les étudiants et élèves de Koudougou avaient bruyamment protesté en apprenant la mort de leur camarade, Justin Zongo, décédé après avoir été passé à tabac dans un commissariat. Aussitôt, la population était descendue dans les rues pour demander justice et réclamer la fin de l’impunité pour les violences policières. Ce fut le déclic. Un vent d’émeutes populaires et de soulèvements dans les casernes a secoué tout le pays jusqu’à la mi-2011.

La révolte était spontanée. Pourtant, Yaméogo a été accusé d’avoir reçu de l’argent de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo pour semer les troubles. Dans les semaines qui ont suivi, les tensions entre ses partisans et ceux du CDP ont continué, provoquant des affrontements et la mise à sac de plusieurs domiciles. Avant que le calme revienne et que le président de l’UNDD soit blanchi par la justice.

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Le combat politique est aujourd’hui plus civilisé, mais les esprits sont loin d’être tous apaisés. « On va enlever tous les vautours du pouvoir », rumine un cafetier. Et l’un de ses clients matinaux de renchérir : « Les Sénégalais vont faire leur révolte, et après on fera la nôtre. Si Compaoré veut rester au pouvoir, il ne devrait pas développer l’éducation… On comprend ce qui se passe dans le monde. »

Un an après la révolte, la population de la ville, très politisée, est sur le qui-vive, et les braises de la contestation encore ardentes. « La mort de Justin Zongo a été un élément déclencheur qui a mis le feu aux poudres, explique Cyrille Zoma, correspondant de L’Observateur Paalga. Les Koudougoulais vivent une crise de confiance et ne croient plus en leurs gouvernants. »

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Ici, la population, composée de Gurunsis et de Mossis, est indépendante et fière de l’être. La cohabitation ethnique et religieuse se passe relativement bien, les uns et les autres s’invitant à leurs fêtes respectives. Mais personne n’a vraiment d’emprise sur les habitants. Le rôle de la chefferie est limité, et les autorités administratives ont perdu beaucoup de leur crédit.

Mausolée

Surnommée la « cité du cavalier rouge », la ville est la troisième du pays par sa population : environ 150 000 habitants, dont près de 9 000 étudiants, plus de la moitié d’entre eux fréquentant les bancs de l’Université de Koudougou (UK).

Tout au long de son histoire, Koudougou a connu une série de traumatismes. Notamment celui du 27 octobre 1987. Le bataillon d’intervention aéroporté (BIA) stationné localement, dirigé par le capitaine de garde Boukari Kaboré, s’opposait alors au renversement de Thomas Sankara. Les troupes du Front populaire (présidé par Blaise Compaoré) avaient débarqué dans la ville et abattu sommairement les résistants, dont certains ont été brûlés vifs, devant les yeux de leurs concitoyens. Chaque année, des sankaristes viennent se recueillir devant le mausolée abritant les cercueils de ces soldats.

Dans les années 1970 et 1980, la ville était particulièrement animée, son économie s’organisant autour du rail (le chemin de fer la relie à Ouagadougou, mais aussi à la capitale économique ivoirienne, Abidjan, via Bobo-Dioulasso), de l’entreprise textile Faso Fani, de la fabrique de pneus et de la brasserie. Mais la fermeture de toutes ces usines a jeté des milliers de familles dans la rue. Beaucoup d’habitants considèrent que le pouvoir les a abandonnés.

« La pauvreté est extrême, affirme Kisito Dakio, responsable du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) pour la région du centre. Les gens peinent à faire deux repas par jour. »

Diplômés-chômeurs

La ville vit d’agriculture, de commerce – notamment grâce à son marché central de près de 30 000 m2 -, de petits boulots. Le chômage est très important, surtout parmi les jeunes. « La formation n’est pas adaptée aux besoins de la société, déplore Francis Nikièma, président de l’Association nationale des étudiants burkinabè (Aneb). Les diplômés vivent une traversée du désert avant de trouver un emploi. Sans perspectives, ils sont solidaires des populations locales et aspirent au changement. »

La lutte pour l’amélioration des conditions scolaires n’est qu’un pan d’un combat plus général pour l’égalité des classes, l’accès au logement, une plus juste répartition des richesses du pays, la gratuité et l’accessibilité des soins et de l’enseignement.

Dans ce fief contestataire, où les valeurs du marxisme vivent encore de beaux jours, l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo conserve des partisans. Beaucoup sont encore sensibles aux discours qu’il prononçait sur l’indépendance politique et économique de l’Afrique.

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