France : Youssoupha, l’intranquille
Arrivé de Kinshasa, en RDC, à l’âge de 10 ans pour suivre des études en France, Youssoupha aurait dû devenir journaliste. Il est finalement rappeur.
Le rap français est rempli de racontars au sujet de l’Afrique ; de rimes radieuses qui mythifient la vie paisible sur les rives du fleuve Congo, dans le creux des dunes maliennes ou les banlieues d’Alger. Les disques de Youssoupha, valeur montante du rap français, racontent une autre histoire. Dans son dernier album, Noir Désir, l’Afrique ne ressemble pas à ces clichés : « Ceux qui l’ont visitée à l’occasion de vacances sont peut-être dans ce fantasme de l’eldorado. Le fait d’y être né, d’y avoir vécu et d’y retourner souvent m’empêche de tomber dans une catégorisation simpliste du type : la France, c’est Babylone, et l’Afrique, c’est la terre mère, le berceau des ancêtres. » Ce genre de nuances différencie Youssoupha du commun des rappeurs. C’est le résultat d’un parcours baigné de contrastes entre l’Afrique et la France, les cités de Cergy et les bancs de la Sorbonne, le parler des rappeurs et celui des poètes classiques. L’histoire d’une tension constante entre rêve et réalité : « La France que j’imaginais à mon arrivée ressemblait à la série Maguy, que je regardais au Congo. Je suis donc venu, comme beaucoup, avec des idées reçues. Mais ma tante, chez qui je vivais, habitait un foyer à Osny [dans le Val-d’Oise, NDLR], un endroit particulièrement délabré, et ça a été un choc. »
Arrivé en région parisienne au début des années 1990, Youssoupha découvre un pays qui devient vite le théâtre de ses premières déconvenues. « Je n’avais qu’une idée en tête : les études. Je me suis battu, j’ai avancé, je me destinais au journalisme ou à la communication. Mais après ma maîtrise à la Sorbonne, pendant deux longues années j’étais surtout au chômage et je l’ai très mal vécu. » Le rap, qui n’était qu’un passe-temps, prend alors le dessus, engageant le jeune homme sur une voie imprévue, sans pour autant résoudre le problème : « Le rap a marché pour moi à ce moment-là, mais le fait de n’avoir pu récolter le fruit de mes diplômes m’a frustré. J’en ai gardé une certaine amertume, car c’est comme ça qu’on m’avait vendu la France. »
Une amertume qui ne semble pas l’avoir quitté, malgré les disques et le succès. Derrière son calme apparent, ses diplômes et son élocution claire qui plaisent aux journalistes, c’est cette colère rentrée qui se signale. « En apparence, il a effectivement les atouts du gentil rappeur, commente Olivier Cachin, spécialiste du rap. On pourrait presque le comparer à MC Solaar. Mais la vraie différence, c’est qu’il est hanté par une réalité sociale qu’il a très mal vécue. Il y a une humeur pesante dans ses textes, quelque chose qui fait qu’il n’est pas du tout le rappeur béat et intello qui a fait des études. »
À 32 ans, Youssoupha est un paradoxe vivant. Africain de naissance, Français d’adoption, étudiant par inclination puis rappeur par défaut, son parcours illustre un chemin qu’ont emprunté des milliers d’Africains. « Je suis venu avec l’idée de repartir un jour au pays. Cette idée ne m’a jamais totalement quitté, mais j’ai composé avec la réalité. Et, comme beaucoup, je suis resté en France. » S’il avoue ne s’être jamais totalement accoutumé à cet état de fait, il porte pourtant un oeil lucide sur son parcours : « Finalement, je ne suis pas si blédard que ça, même si mon rap fait souvent référence à mes racines, parce que je ne veux rien en oublier. En réalité, je suis beaucoup plus d’ici que de là-bas. J’ai passé mon adolescence en France, j’y ai terminé mes études… » D’autant qu’aujourd’hui la France est aussi le pays de son fils, un môme hexagonal étranger à l’Afrique et qui remet en question le retour. « C’est amusant, parce que je n’ai jamais pensé à acheter une maison en France ; mais désormais, il y a mon fils, et cela change tout. Il est français, il ne connaît pas l’Afrique et pourrait très bien me dire : "Je ne veux pas aller là-bas." Et je ne peux pas lui ôter le droit de choisir. »
La vie de Youssoupha est ainsi devenue plus complexe que son rêve d’origine. Celui qui se voyait journaliste de retour au pays est resté en France, où il est devenu un artiste dont la carrière est source de questionnements imprévus. Lorsque l’on aborde le sujet, il évoque immédiatement son père, Tabu Ley Rochereau, un ponte de la rumba congolaise, avec lequel il n’a pas grandi. « Mon père a passé sa vie à tourner dans le monde entier. Il a eu de nombreux enfants, et on a pu lui reprocher d’être absent. C’est quelque chose que je comprends, parce que je mène à mon tour cette vie, mais que j’ai peur de reproduire. J’y pense énormément quand je suis en tournée loin de mon fils. » Dans un sourire, il ajoute : « D’autant qu’il ne se passe pas un concert sans que quelqu’un vienne me voir en disant : "Hé, mec, je suis aussi le fils de Tabu, tu es mon frère !" »
Le jeune rappeur est loin d’être arrivé au bout de son chemin, maintes fois modifié. Après avoir rêvé de la France, puis d’un retour en Afrique, il ne s’interdit désormais pas de regarder ailleurs : « Je ne crois plus, comme j’ai pu le croire à une époque, que nous sommes des Africains finis, des Français finis, des Américains finis… Il est important de comprendre qu’il n’y a pas de règles, que nous avons le choix. Sarcelles n’est pas une fin en soi, Kinshasa ou Cotonou non plus. Et New York pas plus. »
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