Russie : Poutine dans un fauteuil… branlant

Selon toute vraisemblance, il retrouvera sans problème, le 4 mars, le fauteuil présidentiel qu’il a laissé quatre ans durant à Dmitri Medvedev. Les choses pourraient ensuite se gâter…

Vladimir Poutine, lors d’une conférence de presse, le 9 février à Moscou. © Sergei Karpukhin/Reuters

Vladimir Poutine, lors d’une conférence de presse, le 9 février à Moscou. © Sergei Karpukhin/Reuters

JOSEPHINE-DEDET_2024

Publié le 2 mars 2012 Lecture : 4 minutes.

« Mon asile psychiatrique vote Poutine… » Depuis les législatives de décembre 2011, qui ont vu Russie unie l’emporter sans gloire avec 49,3 % des voix (30 %, selon l’ONG Golos) au terme d’un scrutin entaché de fraudes, cette chanson fait le tour d’internet, et les quolibets pleuvent sur le « parti des escrocs et des voleurs ». Vladimir Poutine vit une situation inédite. Sa cote de popularité avoisine 53 % d’opinions favorables. C’est beaucoup, bien sûr, mais sensiblement moins que les 68 % qu’il recueillait au début de l’an dernier. Disposant encore d’une base solide, le Premier ministre se rassure en se moquant de cette opposition hétéroclite et divisée, incapable d’élaborer un programme. Il n’empêche que les manifestations, rassemblant périodiquement des milliers de personnes dans les grandes villes, annoncent des temps difficiles. Le pouvoir se raidit et le pays attend, dans un climat d’incertitude et de peur latente. S’il est quasi assuré de remporter l’élection présidentielle du 4 mars, dans un système taillé sur mesure où nul n’est en mesure de lui disputer la victoire, l’ancien chef de l’État, qui avait cédé son fauteuil à Dmitri Medvedev en 2008, ne voit pas ce troisième mandat s’ouvrir sous les meilleurs auspices.

Sifflé par le public à la fin d’un match de boxe, brocardé dans une pièce de théâtre qui fait fureur, traité de manière irrévérencieuse dans le journal Kommersant (dont le rédacteur en chef et le PDG ont été limogés), lâché par d’anciens proches… Poutine n’était pas habitué à subir pareilles avanies. Lui qui se comparait au serpent Kaa (du Livre de la jungle) et se flattait d’hypnotiser les foules est forcé de reconnaître que son charme n’opère plus.

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Impunité

Principale responsable ? La corruption qui gangrène et paralyse le pays. Frappée de plein fouet par la crise économique de 2009, la classe moyenne – qui a émergé sous Poutine et représente le tiers de la population – ne supporte plus d’être à la merci de fonctionnaires indélicats et de voir le clan au pouvoir accaparer les richesses nationales en toute impunité, dans les ministères, bien sûr, mais surtout dans les entreprises d’État comme Gazprom, Rosneft ou Rosatom, les géants du gaz, du pétrole et du nucléaire.

En septembre 2011, l’annonce de la candidature de Poutine a déclenché la colère de ces patrons de PME, médecins ou professeurs qui ont vu fondre leurs revenus et pour qui l’avenir – et celui de leurs enfants – semble bouché. Ce n’est pas un hasard si le Premier ministre est aujourd’hui comparé à Leonid Brejnev, ce dirigeant soviétique dont l’interminable règne (1964-1982) fut marqué par l’immobilisme le plus complet. Ce n’est pas un hasard non plus si les contestataires sont pour la plupart des citadins adeptes des réseaux sociaux Facebook et Twitter, alors que Poutine se méfie d’internet comme de la peste, fait régulièrement bloquer des sites d’opposition et se vante de ne jamais se servir d’un ordinateur. Les provinces, elles, restent réceptives à la politique clientéliste de Moscou, qui distribue des aides sociales à ceux qui votent « comme il faut », et sensibles à l’allure macho cultivée par Poutine qui, année après année, apparaît dans les médias en chasseur de tigre, pilote de chasse ou de motoneige.

Il promet d’augmenter les salaires des médecins et des professeurs d’université de 200%!

Une image que le probable futur président va toutefois devoir changer s’il ne veut pas faire le mandat de trop. En sera-t-il capable ? Beaucoup en doutent, à commencer par Mikhaïl Gorbatchev, l’un de ses illustres prédécesseurs, qui lui conseillait ces dernières semaines de se retirer pendant qu’il en est encore temps. « Comment un homme au pouvoir depuis douze ans pourrait-il avoir des idées neuves ? » renchérit pour sa part le milliardaire Mikhaïl Prokhorov, l’un de ses concurrents – pourtant bien timide – à la présidentielle. Surtout, comment réduire le contrôle de l’État sur l’économie et la société, bref, comment changer le système sans risquer d’en faire les frais ?

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Tel est le paradoxe auquel Poutine est confronté, et qui le met fort mal à l’aise. À preuve, il continue de réagir comme il l’a toujours fait, traitant l’opposition par le mépris et affectant de voir dans les manifestations un complot de l’étranger. Comme lors de ses campagnes de 2000 et de 2004, il a refusé de participer au moindre débat télévisé (cela, dit-il, le distrairait de son travail). Tout juste a-t-il concédé qu’il pourrait être contraint à un second tour – ce qui ne lui est encore jamais arrivé -, s’empressant d’ajouter que cela « ne serait pas bon pour la stabilité du pays ».

Populisme effréné

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Sans répondre aux aspirations des manifestants, qui réclament une vie politique réellement pluraliste, le candidat Poutine a versé ces dernières semaines dans le populisme le plus effréné. L’action de Medvedev, son ex-dauphin, cette « parenthèse », dit-il, est désormais chargée de tous les maux : « corruption systémique », « dépendance intolérable aux hydrocarbures », « fuite des capitaux »… Son programme pour les années à venir ? Augmenter de 200 % les salaires des médecins et des professeurs d’université, éradiquer la corruption dans les entreprises publiques (où une chasse aux sorcières a été décrétée à la hâte), accroître les investissements dans des secteurs de pointe (chimie, aéronautique, etc.), faciliter l’accès au logement et doper la natalité d’un pays engagé dans un déclin démographique accéléré. Rien que ça ! Quant au bilan de ses années de pouvoir (infrastructures insuffisantes, éducation sinistrée, accès aux soins médiocre, économie reposant quasi exclusivement sur l’exploitation des hydrocarbures et des matières premières, instabilité dans le Caucase…), c’est une autre histoire. Une histoire que Poutine promet à ses concitoyens de corriger dans les années qui viennent. S’il n’est pas trop tard.

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