Palestine : le Hamas, ou l’attente de la résurrection
En quête de reconnaissance et de leadership, le Hamas, mouvement islamiste palestinien, veut profiter de la nouvelle légitimité que lui confère le Printemps arabe pour intégrer l’OLP, quitte à procéder à une révision idéologique.
Confortablement installé dans un salon du palais royal d’Amman, Khaled Mechaal (à g. sur la photo ci-dessous, avec le roi de Jordanie, Abdallah II, le 29 janvier à Amman. © Handout/Reuters) a certainement dû méditer le retournement de l’Histoire qui l’a conduit jusque-là. Il y a douze ans, lui et d’autres cadres du Hamas, mouvement islamiste palestinien, avaient été expulsés du royaume de Jordanie pour « activités illicites et nuisibles ». Mechaal n’avait eu alors d’autre choix que d’aller s’installer à Damas. Aujourd’hui, non seulement le chef du bureau politique du Hamas est en visite officielle dans le royaume, mais il a en outre eu l’honneur d’être reçu pendant trois heures par le roi Abdallah II en personne, le 29 janvier. Cette rencontre marque une évolution notable du mouvement islamiste, dont les leaders ont d’ailleurs été successivement reçus ces deux derniers mois en Turquie, en Tunisie, en Égypte et dans plusieurs pays du Golfe. Les portes qui leur étaient fermées depuis de nombreuses années se sont subitement ouvertes.
Les dirigeants de la région, à l’instar d’Abdallah II, savent que l’islam politique a actuellement le vent en poupe. La vague de changement qui a déferlé sur le monde arabe, après avoir installé les partis islamistes au Parlement, voire au gouvernement, permet aujourd’hui au Hamas, le mouvement islamiste palestinien, de revenir en grâce. Si les États-Unis, l’Europe et Israël continuent de le qualifier d’organisation terroriste, il n’en dispose pas moins désormais dans le monde arabe de nouveaux alliés et d’une légitimité renouvelée.
Débat
Les révolutions arabes ont cependant provoqué des tensions internes en son sein, l’ont contraint à déplacer son centre géographique de Damas vers d’autres capitales arabes et ont mis une distance entre le mouvement et ses deux principaux parrains : la Syrie et l’Iran. Elles ont également obligé ses leaders à ouvrir un large débat sur l’orientation du parti. Mais pour les Occidentaux et les Israéliens, traiter avec un mouvement national palestinien marqué par la renaissance du Hamas pose problème, car ce dernier se méfie des négociations de paix avec Israël, à qui il conteste même le droit d’exister. Parallèlement, le retour en grâce du parti islamiste dans le monde arabe va obliger les Occidentaux à redéfinir leurs relations avec lui.
Des cadres du Hamas affirment que le mouvement est en train de réexaminer ses structures internes et la nature de ses liens avec les autres composantes palestiniennes. Certains membres lancent même des signaux laissant à penser qu’il pourrait assouplir ses positions, notamment sur la question de la lutte armée. Ahmed Youssef, haut cadre du Hamas à Gaza, est allé jusqu’à évoquer un « changement de modèle ». Une évolution pour le moins dictée par les circonstances, les leaders du mouvement s’étant mis à dos le président syrien Bachar al-Assad en refusant de le soutenir. Cette rupture a conduit certains responsables du Hamas à quitter Damas, siège de leur bureau politique depuis 1999. Aujourd’hui, Khaled Mechaal est à la recherche d’une nouvelle base, même si le mouvement rechigne à abandonner officiellement la capitale syrienne. La position du Hamas à l’égard de la Syrie a également contrarié les Iraniens. Selon des sources israéliennes, Téhéran aurait en retour considérablement réduit son aide financière pour en transférer une partie aux radicaux du Djihad islamique. Si le Hamas se refuse à tout commentaire, Mohamed Chihab, cadre du parti à Gaza, a reconnu que les financements « étrangers » s’étaient taris. Une délégation du Hamas s’est d’ailleurs rendue le 11 février à Téhéran pour tenter de recoller les morceaux.
Divisés
D’aucuns pensent que les tensions récentes entre le Hamas et ses parrains syrien et iranien ne sont que le prolongement d’un glissement plus profond. Les leaders du mouvement ont, semble-t-il, conclu que leurs protecteurs sortiraient du Printemps arabe très affaiblis, si tant est qu’ils y survivent. Ils se sont donc attelés, non sans succès, à renforcer leurs relations avec les puissances régionales montantes, comme la Turquie et le Qatar. Parallèlement, ils ont pris soin de cultiver leurs liens avec les Frères musulmans égyptiens – leurs inspirateurs – pour s’aligner sur eux. « Il est clair que le Hamas est en train de s’éloigner de l’orbite iranienne, avec le soutien du Qatar et des Frères musulmans, pour retourner dans le giron arabe », explique le professeur Beverley Milton-Edwards, de la Queen’s University Belfast.
Le Hamas a également renoué avec ses adversaires dans les territoires palestiniens. Depuis mai, il est engagé dans un processus de réconciliation avec le Fatah de Mahmoud Abbas. Les discussions progressent « lentement », concède Mohamed Chihab, mais, contrairement aux tentatives précédentes, elles n’ont pas tourné à l’aigre. Abbas et Mechaal se sont même entendus sur la formation d’un gouvernement d’union dirigé par le premier. Les leaders du Hamas à Gaza ont grommelé que l’accord n’était pas équitable, laissant entendre qu’ils pourraient le torpiller. Mais l’orientation générale, quoi qu’il en soit, est claire.
L’intégration du Hamas dans le mouvement national palestinien lui permettrait d’avoir son mot à dire dans les négociations de paix avec Israël et confirmerait son statut de force politique incontournable – et légitime – sur l’échiquier palestinien.
Le Hamas et le Fatah ont déclaré qu’ils étaient déterminés à organiser des élections législatives et présidentielle dans le courant de l’année et à définir les modalités d’une intégration du parti islamiste dans l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Son intégration dans le mouvement national palestinien permettrait au Hamas d’avoir son mot à dire dans les négociations de paix avec Israël et confirmerait son statut de force politique incontournable – et légitime – sur l’échiquier palestinien. Mais, dans le même temps, les leaders du Hamas à Gaza ont annoncé un projet de fusion avec les radicaux du Djihad islamique. « Ils ont le même objectif que nous. Pourquoi les tenir à l’écart ? » plaide Mahmoud Musleh, un cadre du Hamas à Ramallah. Cette fusion donnerait naissance à un bloc puissant au sein du mouvement national palestinien, tout en préservant le leadership du Hamas dans la mouvance islamiste. « Je pense que le Hamas a peur que le Djihad islamique se sente pousser des ailes, analyse un observateur israélien, et cherche à le maintenir dans son giron plutôt que de le voir se rapprocher de Téhéran. »
L’évolution la plus frappante au sein du Hamas est le débat sur une refonte totale du mouvement pour qu’il redevienne la branche palestinienne des Frères musulmans, ce qui du coup le mettrait en phase avec les forces politiques montantes du Printemps arabe. Une telle évolution lui permettrait en outre de séparer ses branches politique et militaire. L’idée centrale est de maintenir intact son bras armé – les Brigades Ezzeddine al-Qassam – tout en regroupant ses activités politiques et sociales sous la bannière d’une nouvelle branche des Frères musulmans. Mechaal, qui a annoncé qu’il ne serait pas candidat à sa propre succession à la tête du bureau politique, lorgnerait la direction de cette nouvelle branche. « Je pense que le Hamas veut séparer ses branches politique et militaire, confirme le professeur Walid al-Moudallal, de l’université islamique de Gaza. Les Frères sont désormais un courant reconnu et accepté sur la scène politique arabe. Le Hamas veut saisir cette occasion pour redevenir une branche des Frères musulmans, tout en préservant son aile militaire. Les deux organisations seront séparées mais ne divergeront pas sur le plan idéologique. »
Pressions
Il n’est pas dit qu’une réorganisation interne du parti suffise à briser la glace avec l’Occident. D’autant que nombre de leaders du Hamas – à la différence de Mechaal – estiment que le Printemps arabe fait les affaires du mouvement et qu’un changement de cap serait de la folie. « Si votre voiture roule correctement, pourquoi s’arrêter et faire demi-tour ? » s’interroge Mahmoud Zahar, un responsable du parti à Gaza. Le Hamas est, par la force des choses, une organisation opaque. Il n’en est donc que plus difficile d’en décrypter les ressorts internes. Il est possible que les partisans de la ligne dure, comme Zahar, l’emportent sur ceux qui réclament des réformes. Mais il ne fait guère de doute que les pressions, qu’elles émanent de l’intérieur du mouvement ou de ses nouveaux alliés arabes, vont aller s’accentuant. Le Qatar et l’Égypte le pressent ainsi de se réconcilier avec le Fatah et d’oeuvrer à l’unité des Palestiniens – un processus qui devrait vraisemblablement conduire le parti à assouplir certaines de ses positions.
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© Financial Times et Jeune Afrique 2012.
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