Pierre Nkurunziza : « Le Burundi n’a jamais été aussi stable depuis l’indépendance »
Les critiques de l’opposition, le pessimisme des observateurs internationaux, le président burundais Pierre Nkurunziza n’y attache que peu d’importance. Il en est convaincu : les troubles apparus après les élections de 2010 ne menacent pas la paix dans la région.
La première fois que le chef d’État burundais nous reçoit, c’est en fin d’après-midi, le 10 février, dans les gradins d’un petit stade de football de Bujumbura situé non loin de la présidence. Pierre Nkurunziza est assis seul dans la petite tribune, vêtu d’un survêtement, une casquette vissée sur la tête. Derrière lui, l’arme en bandoulière, quelques policiers veillent. Parce que le chef de l’État souffre ce jour-là d’une contracture musculaire, il n’a pas pu rejoindre sur le terrain les joueurs de son équipe, l’Halleluya FC. Le football est l’une des passions de ce diplômé en éducation physique, qui y voit, dit-il, un excellent moyen pour réconcilier les Burundais.
Notre deuxième rencontre a lieu une semaine plus tard. Cette fois, c’est une visite de chantiers, à Bujumbura et dans la province proche de Bubanza. Des villageois construisent leurs futurs logements, et le gouvernement fournit les tôles. Chaussé de bottes, le président burundais porte des briques, plonge les mains dans le mortier et monte sur une échelle pour enfoncer quelques clous dans un toit. Populiste ? Sans vision ? Il balaie les critiques d’un revers de main. Ses adversaires, pourtant, ne le ménagent pas et citent, pêle-mêle, la corruption de son administration et la brutalité des forces de sécurité. Pierre Nkurunziza, 48 ans, affirme ne pas s’en soucier. Passé par la rébellion dans les années 1990, cet évangélique est, depuis août 2005, à la tête d’un pays dont le budget est en partie financé par l’aide extérieure et où les rancoeurs sont encore tenaces.
Jeune Afrique : Depuis les élections de 2010, boycottées par l’opposition, les violences se sont multipliées. Le Burundi n’est-il pas mal en point ?
Pierre Nkurunziza : Non, au contraire. Depuis l’indépendance, nous n’avions pas connu une telle stabilité. Après toutes les crises qui ont secoué le pays, nous avons signé des accords de cessez-le-feu et des accords de paix qui ont été bien appliqués. Le Burundi, qui hier encore était considéré comme un pays à problèmes, participe désormais aux missions de maintien de la paix en Somalie, au Soudan… Nous avons également adhéré à la Communauté d’Afrique de l’Est. Beaucoup de chantiers sont en cours et ils seront bientôt achevés. Ces réalisations seront inaugurées en juillet, à l’occasion du cinquantenaire de notre indépendance.
La situation politique est toutefois tendue. Ne craignez-vous pas que le Burundi fasse un bond en arrière ?
Je ne le pense pas. Encore une fois, le pays est stable. Il n’y a pas de guerre ici. Comme partout, la période électorale a été un moment de tensions, mais ces élections ont été bien organisées ; des observateurs étaient même dans le pays deux mois avant leur tenue.
Certains observateurs affirment qu’une rébellion est en préparation dans les pays voisins et citent surtout le nom d’Agathon Rwasa, dont on dit qu’il est dans l’est de la RD Congo, ainsi que celui d’Alexis Sinduhije…
Il y a des gens qui cherchent à faire accréditer cette thèse, dont certains médias. Ce n’est pas parce que deux ou trois personnes se sont réfugiées à l’étranger qu’il faut s’attendre à une rébellion. Compte tenu de l’évolution politique positive du Burundi et de la situation géopolitique dans la région, c’est impossible. La vraie opposition est ici. Elle participe aux institutions et à la vie politique. Ceux qui sont à l’extérieur ne représentent pas une menace pour nous.
Depuis plusieurs mois, des informations font état de tueries, d’assassinats dont se seraient rendus coupables des policiers, des militaires et des membres des services de renseignements… Êtes-vous au courant de cette situation ?
S’il existe en Afrique ou dans le monde un président qui est toujours sur le terrain, c’est bien moi. Je ne passe pas trois jours sans aller à l’intérieur du pays. Tous les trois mois au moins, je sillonne l’ensemble du Burundi. Je peux vous dire que la paix et la sécurité règnent aujourd’hui. Il y a eu, il est vrai, des cas isolés liés à la survivance d’un certain passé chez quelques-uns, à des règlements de comptes, à la déviance de quelques éléments des forces de sécurité. Mais 95 % de ceux qui commettent ces crimes sont arrêtés.
Le Burundi est considéré comme un pays où la corruption est un fléau. Qu’en dites-vous ?
Nous déployons beaucoup d’efforts pour lutter contre la corruption et arriver à une bonne gouvernance. L’année dernière, grâce à la réforme des services douaniers, les recettes de l’État ont augmenté de près de 40 %. Cela mérite des encouragements. Des efforts économiques sont en cours depuis 2005. Une brigade anticorruption existe. Les résultats sont là parce que nous avons attaqué de front cette question.
Vos adversaires vous qualifient de président populiste. Est-ce le cas ?
Je ne m’occupe pas de ceux qui disent n’importe quoi. Depuis l’indépendance, le pays n’avait construit qu’un millier d’écoles primaires et secondaires. Entre 2007 et 2011, nous avons construit quelque 2 500 bâtiments scolaires, en plus d’autres infrastructures. Seuls comptent les résultats, le changement des mentalités, le fait de travailler ensemble sans miser sur l’extérieur. Grâce à ce prétendu populisme, le Burundi est aujourd’hui cité parmi les pays qui font le plus d’efforts dans les secteurs de la santé et de l’éducation.
En mars, votre parti, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD) tiendra son congrès. Est-ce que ce sera l’occasion d’un renouvellement des dirigeants ?
Le congrès sera consacré à la révision de nos statuts et du règlement d’ordre intérieur afin de les adapter aux nouvelles réalités. Nous allons également titulariser des responsables qui sont encore intérimaires. Les changements de personnes ont déjà eu lieu.
Le CNDD-FDD s’emploie aussi, dit-on, à essayer de susciter des tensions et des scissions au sein des partis de l’opposition…
Non. Les partis politiques s’organisent comme ils l’entendent. Nous avons nous-mêmes des difficultés pour organiser le CNDD-FDD. Si nos adversaires n’ont pas assez de force pour contrôler un parti et en assurer la cohésion, ce n’est pas nous qui allons le faire à leur place.
Seuls deux ou trois personnes sont en exil, et ils peuvent rentrer quand ils le veulent.
La compétition reste loyale. Les problèmes viennent du manque de démocratie dans certaines formations politiques. Comment voulez-vous, par exemple, qu’un chef de parti s’arroge le droit de prendre des décisions sans s’en remettre aux instances appropriées ? Tel est le cas de ceux qui, en 2010, ont décidé unilatéralement de quitter le processus électoral sans l’aval de la base, sans convoquer un congrès de leurs partis. C’était une erreur et ils ont eux-mêmes créé la division.
Y aura-t-il de votre part un geste à l’égard de chefs de parti qui se sont réfugiés à l’étranger – on pense notamment à Alexis Sinduhije, exilé à Paris ?
Mais nous avons déjà dit que le Burundi appartenait à tout le monde. Ceux qui sont partis ont la double nationalité. S’ils veulent revenir, il n’y a aucun problème. Le chef de la coalition dite de l’opposition [Léonce Ngendakumana, NDLR] vit ici, et il n’est pas inquiété. De même que les autres responsables des partis qui sont dans cette coalition. Combien sont à l’étranger ? Deux ou trois personnes, dont certaines ne sont pas chefs de parti. Avec leur double nationalité, ils ont des droits ici et là-bas. C’est à eux de choisir.
Pourquoi les rapports entre le gouvernement et la société civile sont-ils toujours tendus ?
Il n’y a pas de tensions. La preuve, c’est qu’il existe beaucoup de programmes que nous avons élaborés avec la société civile et nos autres partenaires. Le programme de lutte contre la pauvreté, la stratégie nationale de bonne gouvernance, de lutte contre la corruption… Tout cela est le fruit de consultations entre le gouvernement et la société civile.
Pourtant, des responsables de la société civile sont souvent arrêtés de façon arbitraire et malmenés…
Il faut relire l’histoire du Burundi pour savoir ce qui se passait ici dans les années 1960, 1970, 1980, 1990. Au cours de ces années-là, on arrêtait des centaines de milliers de gens qu’on condamnait à mort et qu’on exécutait après une justice expéditive. Aujourd’hui, toute personne arrêtée a le droit d’être immédiatement défendue par un avocat.
Mais pourquoi certains de vos partenaires, notamment l’Union européenne, estiment-ils que la justice burundaise est tout sauf indépendante ?
Ce n’est qu’une opinion. Or on ne gère pas un pays sur la base d’opinions, mais en s’appuyant sur la Constitution et les lois en vigueur.
Supportez-vous d’être critiqué par vos adversaires ?
Absolument ! C’est pourquoi je suis toujours avec la population. Au cours de nos rencontres régulières, les gens me disent librement ce qu’ils pensent de mon action. Quand c’est négatif, je l’accepte très sportivement.
Certains de vos compatriotes vous prêtent l’intention de procéder à une modification de la Constitution afin de briguer un troisième mandat en 2015. Y avez-vous pensé ?
On m’avait déjà prêté cette intention avant les élections de 2010, mais ce sont des affirmations gratuites. Nous avons mené des réformes sur les plans économique, social, juridique… Il y a des changements. C’est cela qui importe. Cela peut émaner du peuple, qui souhaiterait une révision de la Constitution afin qu’elle soit en adéquation avec notre adhésion à la Communauté d’Afrique de l’Est. Il faut réfléchir à cela. Mais voir dans une telle démarche une intention de se maintenir au pouvoir n’est pas sérieux.
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Propos recueillis à Bujumbura par Tshitenge Lubabu M.K.
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