Défenseurs des droits humains : 25 ans de luttes acharnées
Dans le nouveau rapport qu’elle présente ce 15 mars au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, la rapporteuse Mary Lawlor se félicite des succès enregistrés par les militants des droits humains. Mais beaucoup reste à faire, notamment pour leur protection.
-
Mary Lawlor
Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les défenseurs des droits humains
Publié le 15 mars 2023 Lecture : 5 minutes.
Chaque semaine, nous apprenons l’assassinat d’un défenseur ou d’une défenseuse des droits humains (DDH) quelque part dans le monde. Chaque semaine, en moyenne cinq ou six personnes sont assassinées pour avoir défendu pacifiquement les droits d’autres individus. La presse se fait l’écho de ces crimes à juste titre et j’ai moi-même beaucoup écrit sur les dangers auxquels sont exposés les DDH.
Ni reconnu ni salué
En revanche, on parle beaucoup moins de leur travail pourtant indispensable. Il n’est généralement ni reconnu ni salué. Ces deux choses sont pourtant liées, car les DDH sont souvent les premières victimes de leurs succès : parce qu’ils se dressent contre des intérêts personnels puissants, parce qu’ils mettent au jour des faits de corruption, parce qu’ils refusent l’injustice, parce qu’ils défient des groupes criminels, parce qu’ils expriment tout haut des choses que certains gouvernements préféreraient garder secrètes, parce qu’ils osent dire la vérité, parce que leurs actions sont porteuses de progrès. Sur chaque continent, les DDH obtiennent des résultats remarquables, dans les démocraties comme dans les dictatures, dans les villes, les forêts et les déserts, et ce en s’exposant souvent à de terribles dangers.
Ce mois-ci, je présente mon nouveau rapport au Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Intitulé « Persévérance et solidarité : les clés de 25 ans de réussite en matière de défense des droits humains », ce rapport présente de nombreux exemples d’accomplissements des DDH depuis l’adoption de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme, en 1998. Les États signataires se sont engagés à respecter et mettre en œuvre la Déclaration par consensus.
Au Bangladesh, malgré les menaces de mort, une organisation gérée par des enfants se bat contre les mariages forcés de mineurs. En 2021, en Thaïlande, des DDH ont remporté une bataille judiciaire majeure pour les communautés locales en faisant annuler les titres de propriété de 23 parcelles illégalement attribuées à des plantations de palmiers à huile. Au Zimbabwe, des DDH ont obtenu des dommages et intérêts en mettant le gouvernement face à ses responsabilités après plusieurs affaires de violence policière.
Rôle essentiel
En même temps, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples insiste toujours sur l’importance absolue de la protection des défenseurs et défenseuses qui risquent tout pour défendre les droits des autres. L’année dernière, des défenseuses des droits humains indonésiennes ont joué un rôle essentiel dans l’adoption d’une loi qui criminalise les abus sexuels, y compris les violences conjugales, l’exploitation sexuelle, les mariages forcés, notamment les mariages d’enfants, et la circulation de contenus à caractère sexuel comportant des actes non consentis.
Ces dernières années, des DDH ont également remporté des victoires importantes en matière de droits des personnes LGBT. De Belize au Botswana, de Sainte-Lucie au Sri Lanka et dans bien d’autres endroits, des lois et des pratiques discriminatoires ont été contestées et abrogées. Grâce au travail de DDH, des personnes emprisonnées à tort ont été libérées. En Ukraine, des défenseurs et défenseuses qui se battent contre la corruption ont réussi à faire baisser de façon considérable le prix de certains médicaments. En 2015, l’Ukraine a confié ses approvisionnements en médicaments à des organisations internationales. Les prix ont alors baissé de 40 % en moyenne. Le prix d’un comprimé d’Imatinib, un traitement efficace contre certaines leucémies, est ainsi passé de plus de 80 € à moins de 2 €.
Après le déclenchement de l’épidémie de Covid-19 à Wuhan, 18 avocats spécialisés dans la défense des droits humains en Chine et à l’étranger ont créé un groupe de conseil juridique spécial proposant un accompagnement gratuit aux familles ayant perdu des proches à Wuhan et à Shanghai. Ils ont réussi à obtenir des dédommagements importants pour ces familles.
Rani Yan Yan est une DDH autochtone originaire des Chittagong Hill Tracts, au Bangladesh. Dans cette région, l’armée souhaitait construire un hôtel cinq étoiles qui aurait menacé les ressources en eau et entraîné le déplacement de 10 000 personnes de l’ethnie Mro. Elle a aidé de jeunes gens à consulter les villageois de la région au milieu de la nuit pour éviter la surveillance. Elle et d’autres ont fait connaître cette situation partout dans le monde et les militaires semblent désormais avoir renoncé au projet.
Risques et menaces extrêmes
Pour certains DDH, poursuivre leurs activités en dépit des risques et des menaces extrêmes est déjà en soi une victoire. En Afghanistan, en Birmanie et en Iran, des défenseuses organisent des manifestations en faveur des droits des femmes, et ce malgré des risques considérables.
En dépit des menaces, des campagnes de diffamation, de la surveillance et de la perquisition de leurs locaux, les DDH qui travaillent pour Al-Haq, une organisation palestinienne de défense des droits humains, font preuve d’une résilience remarquable. Étant donné les grandes difficultés auxquelles ils font face, leur ténacité et celle de tous les DDH qui continuent de révéler des violations des droits humains sont des gages de réussite.
Depuis le début de mon mandat, il y a maintenant trois ans, j’ai recueilli personnellement le témoignage de plus d’un millier de DDH. Ils m’ont raconté comment ils se sont consacrés à la protection des plus vulnérables pendant la pandémie de Covid-19, comment ils ont sauvé des vies en portant secours à des réfugiés et des migrants naufragés, comme ils ont fait avancer le droit des femmes à disposer de leur corps, comment ils sont parvenus à faire libérer des personnes emprisonnées à tort, comment ils ont réussi à faire traduire en justice les auteurs d’actes de violence étatique, comment ils ont mis au jour l’impact négatif de certaines entreprises sur les terres, l’environnement et les droits des peuples autochtones, comment ils ont réussi à aider les autres d’une manière ou d’une autre.
Victoires envers et contre tout
Grâce à leur imagination et leur persévérance, des défenseurs et défenseuses des droits humains remportent des victoires envers et contre tout, animés par l’espoir et la solidarité, malgré les menaces et les attaques. Ces succès arrivent souvent après de longues batailles. Elles sont généralement remportées grâce à une collaboration avec d’autres défenseurs et défenseuses des droits humains et de nombreux autres alliés.
Il y a 25 ans, les autorités gouvernementales du monde entier ont signé la Déclaration sur les DDH et promis de protéger et de soutenir leur travail. Pourtant, partout dans le monde, des responsables étatiques calomnient et prennent pour cible des DDH afin de saper leur travail. Il est temps de mettre fin aux menaces et de commencer à saluer et rendre hommage à leur travail indispensable.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?