Médias : magazines féminins black-blanc-beur
Les grandes marques rechignent encore à s’intéresser à la presse « ethnique » quand il s’agit de diffuser leurs publicités.
Le 13 janvier, un article sur les égéries noires américaines parues dans le magazine Elle a provoqué un véritable tollé. En cause : les clichés grossiers dont usait la journaliste, qui se demandait si le style des fashionistas blacks n’est pas un « effet du couple Obama », avant de se féliciter que ces femmes de couleur aient « intégré tous les codes blancs », même si elles continuent d’arborer des touches ethniques. Maladroit, complètement déconnecté de ce qui se passe dans les rues des villes occidentales, cet article a révélé en tout cas une cruelle réalité. Non seulement la presse féminine généraliste ignore les femmes de couleur, mais elle véhicule à leurs propos des clichés très ordinaires, voire grossiers.
Ces magazines sont accusés de véhiculer des clichés à travers une vision communautariste.
C’est pour combler ce vide que la presse féminine dite ethnique est née, avec la conviction que les femmes d’origine africaine et maghrébine avaient, tout autant que les autres, soif de conseils beauté et de séries mode. Mais en France, où domine le sacro-saint principe républicain, ces magazines pâtissent d’un préjugé défavorable et sont souvent accusés de véhiculer eux aussi des clichés à travers une vision communautariste de la société. La presse féminine n’est-elle finalement qu’une presse de ghetto ?
La réalité est plus complexe, et des titres comme Miss Ébène, Fashizblack ou Gazelle cherchent à dépoussiérer le genre. Ils s’adressent aux filles d’immigrés, bien intégrées en France, modernes et ouvertes sur leur environnement. Ils reprennent tous les codes de la presse féminine classique, en y ajoutant une touche de traditionnel ou d’ethnique. Résultat : des magazines décomplexés qui parlent à des jeunes femmes libérées et soucieuses de pouvoir s’identifier à des modèles de réussite ou de beauté qui leur ressemblent. Exit Kate Moss, bienvenue Beyoncé et autres Leïla Bekhti !
Segmentant
Si Gazelle s’adresse aux trois millions de femmes d’origine maghrébine en France et évoque les produits de beauté orientaux ou les tenues de mariage traditionnelles, le bimestriel n’enferme pas pour autant ses lectrices dans les problématiques habituelles liées à l’immigration ou à l’islam. Pas besoin d’être maghrébine pour s’intéresser à un article de société sur le chômage ou à la beauté naturelle. D’ailleurs, 15 % des lectrices ne sont pas originaires du Maghreb ! Grace, 25 ans, d’origine ivoirienne, est une lectrice occasionnelle de magazines spécialisés. « J’y cherche des conseils pour ma peau noire ou pour mes cheveux et je m’intéresse aux créateurs africains, explique-t-elle. En même temps, contrairement aux magazines anglo-saxons comme Ebony ou Essence, les magazines ethniques en France ne sont pas très pointus, et leur offre n’est pas vraiment originale ou branchée. »
Dans l’Hexagone, les magazines ethniques souffrent d’un problème d’image et ont du mal à être dissociés des produits défrisant les cheveux, des salons marocains ou des paquets de semoule. Même si on sait que les femmes à peau foncée achètent cinq fois plus de cosmétiques et sept fois plus de produits capillaires que celles dotée d’un épiderme clair, les marques comme L’Oréal, Lancôme ou encore Gemey Maybelline n’apparaissent que rarement dans les pages de ces revues. « On a beau expliquer que les Maghrébines boivent de l’eau ou payent leur électricité, on a du mal à attirer des annonceurs non "ethniques". Une marque de shampooing ne pensera à nous contacter que si elle a une gamme spécifique pour cheveux frisés ! Nous ne sommes pas un magazine communautaire mais un magazine segmentant au même titre qu’un journal qui s’adresse aux jeunes ou aux homosexuels. Notre idéal serait de sortir de cette image cliché et que notre lectrice soit vue comme une Française, tout comme la lectrice de Vogue ou de Elle », explique Nathalie Durand, directrice de la rédaction de Gazelle et elle-même non maghrébine.
À l’image des sociétés actuelles, où coexistent l’uniformisation due à la mondialisation et des identités culturelles fortes, ces magazines rappellent surtout que les jeunes femmes, qu’elles soient blacks, blanches ou beurs, portent toutes du Zara… Un constat que les grandes marques ne devraient pas tarder à intégrer.
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